L'épopée sibérienne

L’épopée sibérienne

Epopée, du grec epos, récit ou paroles d’un chant, long poème d’envergure nationale narrant les exploits historiques ou mythiques d’un héros ou d’un peuple. Le genre nous est connu depuis la plus haute antiquité et, dans la culture occidentale, est représenté par les archétypes que sont l’Iliade et l’Odyssée. Plus tard le Moyen Age en sera friand et le traduira dans les chansons de gestes, la Chanson de Roland ou encore le Cycle d’Arthur.

C’est dans cette lignée que s’inscrit l’ouvrage magistral d’Eric Hoesli, L’Epopée Sibérienne, la Russie à la Conquête de la Sibérie et du Grand Nord. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, d’un récit d’abord, celui de la conquête de la Sibérie, de l’Extrême Orient et du Grand Nord aujourd’hui russes, dans le but de le rendre présent c’est-à-dire de le transmettre aux lecteurs d’aujourd’hui et de vanter les hauts faits de tous ceux, trappeurs, aventuriers, explorateurs, forçats, ingénieurs, qui auront permis sa réalisation.

Eric Hoesli livre une somme monumentale de l’histoire de la Sibérie. Il a tout lu à ce propos et le livre avec passion à ses lecteurs. On a du mal à imaginer en scrutant une carte actuelle de la Russie que vers 1500, le grand-duc de Moscovie, bientôt proclamé tsar, régnait sur une région mal définie à l’ouest de l’Oural sans accès à la mer, ni la Baltique, ni la mer Noire et moins encore l’Océan Glacial Arctique. Ce livre fournit le récit de cette expansion par-dessus l’Oural en direction de contrées inconnues et peu peuplées en quête de richesses, la fourrure de la zibeline d’abord, celle de l’or et d’autres minerais ensuite, et enfin jusqu’à notre époque, celle du pétrole et du gaz.

L’intérêt tout autant que le charme de cette épopée qu’on lira avec entrain réside dans la manière dont Hoesli tisse des histoires individuelles au sein de la politique d’expansion de la Russie. En 1806, voici Nicolas Rezanov qui hisse les voiles, quitte l’Alaska, alors russe, et force la baie de San Francisco, possession du Roi d’Espagne. A peine débarqué, il aperçoit Conception de Argüello, dite Conchita, la jolie fille du gouverneur. Aussitôt sa passion s’enflamme, il s’octroie un titre de comte en vue d’impressionner le gouverneur, lui demande la main de la belle, qui la lui accorde, dans le but de sceller non seulement son propre destin mais celui de leurs deux pays face à la puissante menace anglaise. Ni l’une ni l’autre alliance en définitive ne se feront et Conchita, marrie, entrera au couvent sous le nom de Sœur Maria Dominga.

Et que dire des décembristes, ces conjurés, souvent issus de la meilleure aristocratie, qui, revenus de leurs campagnes contre Napoléon, avaient goûté aux libertés en vigueur en Occident et rêvaient de faire de leur Etat absolutiste une monarchie constitutionnelle ? Ceux qui ne furent pas fusillés furent condamnés au bagne sibérien dans des conditions atroces. Le Prince Serge Volkonski est de ceux-là, bientôt rejoint par sa femme Marie et les épouses d’autres conjurés, qui dans un geste d’abnégation qui émut l’Europe entière, renoncèrent aux titres, aux honneurs et à la fortune tant par idéal que par fidélité.

Ouvrage magistral, richement illustré de photographies et de cartes, il s’appuie sur un terreau de références extrêmement dense et qui lui confère tout son sérieux. Judicieusement structuré autour de sept grands thèmes qui auront marqué l’expansion russe en Sibérie, la recherche d’un accès au Pacifique ou la construction du transsibérien par exemple, ceux-ci se marient assez bien avec une chronologie accessible au lecteur occidental. Et, si le livre est fouillé, il n’est pas ardu (bien qu’avec ses 823 pages il exige qu’on lui consacre le temps qu’il mérite) car le style de Hoesli fait ici son œuvre. Hoesli raconte une histoire, puis une deuxième puis une autre encore qui emportent le lecteur vers ces territoires mystérieux à la fois enchanteurs et effrayants.

Eric Hoesli, L’Epopée Sibérienne, la Russie à la Conquête de la Sibérie et du Grand Nord, Editions des Syrtes, Paulsen, 823 pages.