Nul n'est prophète en son pays

Nul n’est prophète en son pays

En ces temps-là, La Ligne Claire assistait à une conférence consacrée à la créativité quand une oratrice, se lamentant du départ des créateurs vers d’autres cieux, évoquait le proverbe« Nul n’est prophète en son pays ». Cet épisode témoignage tout à la fois de la permanence des Evangiles dans la langue française, que de son ignorance, puisqu’il s’agit ici non pas au départ d’un proverbe mais d’un verset tiré du chapitre IV de l’évangile selon saint Luc.

Dans ce petit ouvrage très didactique, Denis Moreau, professeur de philosophie à l’université de Nantes, sélectionne une cinquantaine de citations tirées des évangiles et s’attache à en montrer la présence dans la langue française. Chacun de ces cinquante petits chapitres est structuré de la même manière : le texte évangélique d’où est tiré la citation, suivi d’un commentaire de ce texte et d’exemples où cette citation apparaît dans la littérature française. Destiné à un large public, pas toujours familier des Evangiles, et de lecture aussi agréable qu’accessible, Nul n’est prophète en son pays se veut une tentative d’évangélisation du grand public par amour de la langue française, très imprégnée de culture chrétienne.

Amis lecteurs, un mois à peine nous séparent de la fête de Noël. Au lieu de recourir une fois de plus aux expédients de la savonnette parfumée et de la cravate en soie, offrez plutôt le bouquin de Moreau à votre conjoint.

  • Chéri c’est servi, la dinde est prête.
  • A la bonne heure car l’homme ne vit pas que de pain. Du reste, j’ai sorti une bonne bouteille car à vin nouveau, outres neuves.
  • Papa, tu a gardé le meilleur vin pour la fin.
  • Et maintenant les enfants, débarrassez la table.
  • Ah non Maman, à chaque jour suffit sa peine.
  • Je m’en lave les mains, faites ce que je vous dis.

Et puis, lorsqu’on aura allumé les bougies sur le sapin de Noël, car on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, ce livre se prêtera admirablement à des jeux de société en famille. Qui était le bon larron ?: a) un compagnon de supplice de J-C Notre Seigneur, b) Marlon Brando dans le Parrain ou c) J.C., ministre du budget de 2012 à 2013 ?

 

Denis Moreau, Nul n’est Prophète en son Pays, Editions du Seuil

Voir aussi Denis Moreau: Comment peut-on être catholique?

 

 

Comment peut-on être catholique?

Comment peut-on être catholique?

Cette question rhétorique, clin d’œil aux Lettres Persanes, donne son titre au livre paru il y a six mois sous la plume de Denis Moreau, professeur de philosophie à l’Université de Nantes. Catholique parce que philosophe, Moreau entend fournir en guise de réponse une argumentation raisonnée de la foi catholique et établir qu’elle constitue un choix raisonnable, au sens où il est conforme à la raison. Ce mariage de la foi et de la raison ne date pourtant pas d’hier : les Actes des Apôtres nous livrent le récit de Paul de Tarse s’adressant à l’Aréopage d’Athènes tandis que, face à la première grande crise doctrinale née de la diffusion de l’arianisme, le Concile de Nicée, réuni en 325, fera appel aux concepts empruntés à la philosophie grecque (nature, substance) et les réunira en une profession de foi que les catholiques de nos jours appellent le Credo.

Destiné à un large public, chrétien ou pas, l’ouvrage de Moreau est rédigé dans un langage très accessible, souvent drôle, qui tantôt fait appel aux classiques des lettres françaises, Pascal et Descartes en particulier, et tantôt fourmille des références les plus variées au monde actuel, le festival Hellfest, le philosophe Michel Onfray, ou encore le quotidien Libération, et qui fourniront autant de points de repères facilement identifiables. Car, faut-il le rappeler, le christianisme est la religion de l’incarnation, de la rencontre de Dieu avec l’homme tel qu’il est en réalité.

S’il s’adresse à un vaste public, le livre de Moreau n’en exige pas moins du lecteur un effort intellectuel honnête envers son sujet, celui-ci comme n’importe quel autre. Il invite le lecteur à s’intéresser tout autant à des concepts philosophiques, logos ou ontologie par exemple, à des citations bibliques ou à leurs commentaires par saint Augustin ou saint Thomas d’Aquin.

A l’issue d’un intermède délicieux que La Ligne Claire se gardera bien de dévoiler, dans la seconde partie de son livre, Moreau, qui s’affiche sans fard en catholique de gauche, une espèce désormais menacée en France, Moreau donc enjambe à grands pas  le terrain de la philosophie politique en vue de plaider la cause de la gauche. Selon lui, si elle est aussi malmenée en France comme en Europe, c’est qu’elle s’est dépourvue d’éthique, c’est-à-dire de la faculté de distinguer le bien du mal (1) (« pas de discours moralisateur »). En guise d’ersatz, elle s’est lancée dans une poursuite à outrance du libéralisme des mœurs, tout aussi mortifère que celui du capital, que Moreau dénonce à corps et à cri.

Moreau se défend haut et fort d’être prosélyte, tout simplement parce qu’il sait que ça ne marche pas. Il se propose au contraire, pour reprendre un terme quelque peu désuet, de faire une apologie du christianisme, à savoir une défense, une argumentation qu’il mène avec intelligence, foi et humour ; il  mérite d’être écouté car son sujet le mérite.

 

(1) cf Philippe de Woot: la finalité de l’économie 

Denis Moreau, Comment peut-on être catholique ? Editions du Seuil, 368 pages