La fille de Vercingétorix

Astérix chez les Français

Astérix renvoie aux Français un image d’eux-mêmes

Astérix naît en 1959, l’année où le Général de Gaulle est rappelé au pouvoir. Les lecteurs de La Ligne Claire se souviendront qu’elle estime que l’un et l’autre participent de la même œuvre de rédemption, qui consiste à exorciser la défaite française de 1940.  De même que l’Homme du 18 Juin, qui résiste encore et toujours à l’envahisseur, est le seul à même d’endosser le destin national, de même le village gaulois représente la France libre face aux légions romaines qui tiennent lieu de la Wehrmacht.

Ce point de vue de La Ligne Claire trouve sa pleine justification avec la publication ces jours-ci du nouvel album d’Astérix, dont le titre, La Fille de Vercingétorix [1], en fournit l’éclatante confirmation même.

Si nous connaissons le Vercingétorix historique grâce au De Bello Gallico de Jules César, le Vercingétorix mythologique lui naît sous le Second Empire ; Napoléon III entreprend les fouilles d’Alésia et y fait ériger une statue monumentale de Vercingétorix, dressée face à la Prusse menaçante. La France n’est pas encore défaite à Sedan que déjà le vaincu d’Alésia est érigé en héros national. Mais le vrai Vercingétorix sera emmené en captivité à Rome par César, où il mourra dans la prison Mamertine si bien qu’il ne pourra faire figure de héros dans un album d’Astérix. Signe des temps, là ou en 1983 Astérix avait un fils, cette fois-ci Vercingétorix aura une fille, Adrénaline.

En juin 1940, fuyant l’ennemi, Charles de Gaulle avait gagné Londres où Winston Churchill avait été fraîchement nommé Premier Ministre. Escortée par Ipocalorix et Monolitix [2], caricatures de De Gaulle et de Churchill justement, Adrénaline quant à elle tente aussi de gagner Londinium, en vue de se mettre à l’abri des Romains qui l’ont prise en chasse avec le concours du sinistre Adictosérix, le collabo de l’histoire.

France libre et village gaulois

L’album s’achève sur une pirouette. Adrénaline rencontre un amoureux ; ils s’embarquent tous deux vers des cieux lointains puis disparaissent. Incarnation improbable de la conscience nationale, Adrénaline confie le casque de cérémonie de Vercingétorix, sorte de sceptre d’Ottokar de la résistance gauloise, au village gaulois qu’elle estime être le véritable héritier de son père. Les Gaulois célèbrent leur banquet final en présence de Ipocalorix et Monolitix et nous voilà donc ramenés au village en qualité de figure de la France libre. CQFD.

 

L’image ci-dessous illustre parfaitement le point de vue de La Ligne Claire, avant même la naissance d’Astérix. Elle représente le monument aux morts de l’église Notre-Dame de Saulges (Mayenne). Un poilu et un guerrier gaulois se dressent en atlantes de part et d’autre d’un aumônier militaire qui administre les derniers sacrements à un soldat mourant.

 

 

[1] La terminaison en rix, qu’on retrouve dans les langues d’origines aryennes, indique que Vercingétorix était un chef ou un roi ; on peut la rapprocher du rex latin ou du raj en Inde. En revanche il n’y a pas lieu de la généraliser à l’ensemble des noms gaulois.

[2] Les lecteurs belges de la Ligne Claire savent bien entendu déjà que c’est à Victor de Laveleye, et non pas à Churchill, que revient la paternité du geste du V de la victoire.

Astérix chez les Français

Astérix renvoie aux Français une image d’eux-mêmes

 

La parution d’un nouvel album d’Astérix fournit l’occasion de s’interroger sur son succès. Certes, la série renvoie aux Français l’image qu’ils ont d’eux-mêmes: bagarreurs, irrévérencieux, amateurs de bonne chère, adeptes d’un mode de vie tout à la fois fier et désinvolte et qu’ils s’imaginent le monde leur envier, mais il y a plus.

 

France Libre et village gaulois

Astérix voit le jour en 1959, l’année même où le Général de Gaulle, rappelé au pouvoir l’année précédente, est élu président de la République. De Gaulle, le plus illustre des Français, est rappelé au pouvoir parce qu’il incarne tout à la fois l’homme de l’espoir avec l’appel du 18 juin, l’homme qui assure une place à la France dans l’échiquier des nations en 1944-45 et l’homme de la nouvelle Ve République ; en un mot, il est le seul qui sache à la fois faire front à l’adversité et incarner une certaine idée de la France. On le retrouve sans peine sous les traits du chef gaulois Abraracourcix, les bras tendus vers le ciel haranguant les habitants du village en termes de « Gaulois, Gauloises », incarnation d’une certaine idée de la Gaule. De même que de Gaulle crée à Londres la France libre, de même Astérix habite un village non-occupé qui résiste « encore et toujours » à l’envahisseur, sorte de portrait onshore de la France libre.

De plus il est tout aussi aisé de reconnaître sous les légions romaines les divisions de la Wehrmacht. Si les forces allemandes finissent par occuper l’ensemble du territoire français, le village gaulois symbolise ce qu’on ne peut conquérir matériellement, l’esprit de résistance, celui-là même dont de Gaulle s’est fait l’âme à Londres. Face à la réalité de fait, la défaite et l’occupation de la Gaule, Uderzo et Goscinny n’ont d’autre recours que de faire appel à la dérision pour dépeindre l’occupant. Certes les Romains disposent de la force mais ils sont niais et lourds d’esprit alors que les Gaulois se révèlent malins et astucieux.

Toute la Gaule (la France) est donc occupée par les Romains (les Allemands). Qu’est-ce qui permet donc aux Gaulois de faire face aux Romains ? Une force supérieure en nombre, des compétences qui font défaut à l’occupant, une certaine ingéniosité tout simplement ? Non, rien de tout cela car, tous les lecteurs d’Astérix le savent, la réponse tient en la potion magique du druide Panoramix. Et qu’a-t-elle donc de particulier cette potion ? Loin d’être le produit d’un savoir-faire supérieur, la potion est magique justement, il suffit de la tirer de son chapeau pour déjouer les légions romaines et affirmer non seulement l’identité gauloise mais le triomphe de son génie face à la puissance de l’occupant. Vue sous cet angle, la potion magique n’est que l’instrument qui permet au village gaulois d’entretenir l’illusion de son indépendance, célébrée dans de grands festins, alors que la Gaule est occupée par les Romains, livrée à des forces qu’elle ne maîtrise plus, de la même manière que de Gaulle a su persuader les Français de la grandeur de la France en dépit de la défaite de 1940 et de la décolonisation.

 

Empire romain et Union Européenne

Tous les lecteurs des albums d’Astérix le savent, leur héros ne reste guère à demeure et entreprend au contraire de rendre visite aux peuples voisins, cette fois-ci en Italie où il retourne depuis Astérix Gladiateur, paru en 1964. Sous le vernis d’une excursion touristique décrite de façon pittoresque, les voyages d’Astérix poursuivent en réalité un double but. Le premier est de démontrer, qu’en franchissant à sa guise la ceinture des camps romains qui ceignent le village, Astérix proclame son indépendance face à César alors que la Gaule fait désormais partie de l’Empire romain de même que la France actuelle a cédé une part de sa souveraineté à l’Union Européenne et à la BCE. Le second aspect des voyages d’Astérix consiste à en faire le héraut de ces valeurs gaulliennes, françaises dans leur nature mais qui se veulent universelles dans leur portée. Astérix témoigne d’une France qui demeure elle-même malgré tout et qui invite ses voisins à faire de même. Les Belges et les Suisses seront donc reconnaissants envers leur grand voisin qui, par l’entremise de son petit héros Gaulois, leur aura expliqué qui ils sont et ce qu’il y a lieu de faire pour préserver leur identité dont, sans lui, ils n’auraient pas eu connaissance.

En définitive, le succès d’Astérix tient à ce double aspect. D’une part il agit comme un exorcisme de la défaite de 1940 et du déclin politique et économique de la France depuis la guerre : Astérix entretient sous forme ludique l’idée d’une certaine France où non seulement il fait bon vivre mais où le génie français s’impose comme une évidence. D’autre part il conforte les Français dans l’idée, que d’autres peut-être tiendront pour une illusion, qu’un destin particulier les appelle à jouer un rôle singulier dans le monde. Jean-Luc Mélenchon par exemple ne disait pas autre chose lorsqu’il évoquait, à l’occasion de la campagne électorale pour la présidentielle de 2012, la destinée universelle de la France. En 2017, c’est aux Italiens qu’il revient d’en prendre connaissance.