Karlskirche

Saint Charles Borromée et la peste

L’Eglise catholique célèbre aujourd’hui la solennité de saint Charles Borromée (1538-1584), archevêque de Milan, grand artisan de la Réforme catholique mise en oeuvre par le Concile de Trente et secours des affligés lors de la peste qui ravagea son diocèse en 1576. Saint Charles a fait l’objet depuis d’innombrables représentations dans les arts dont l’une, l’Église Saint Charles de Vienne (la Karlskirche), est particulièrement chère à La Ligne Claire.

 

La Karlskirche, monument emblématique de l’ère baroque à Vienne se veut par ailleurs un témoignage qui prend toute valeur en ces temps présents. Elle est en effet le reflet d’une double concordance. Tout d’abord il s’agit d’une église votive, c’est-à-dire une église dont l’édification répond à un vœu exaucé, ce dont témoigne l’inscription qui orne le fronton de la façade : « VOTA MEA REDDAM IN CONSPECTV TIMENTIVM DEVM [1]. Ce vœu est celui qu’avait formulé l’Empereur Charles VI, ancêtre commun de tous les membres actuels de l’archi-maison, de rendre grâce pour la fin de l’épidémie de peste qui avait frappé ses états en 1713. Charles VI confie donc l’érection de cette église à l’architecte Fischer von Erlach qui va puiser son inspiration dans les éléments architecturaux tirés de la Rome antique, la coupole, le fronton triangulaire et enfin les colonnes, et qui visent tous à souligner la continuité entre l’empire romain et le Saint-Empire. Ainsi les colonnes torsadées renvoient-elles tout autant à la colonne Trajane à Rome, aux colonnes qui soutiennent le baldaquin du Bernin en la basilique Saint Pierre et enfin aux colonnes d’Hercule.

Chez les Anciens, les colonnes d’Hercule désignaient le détroit de Gibraltar ; leur ajout comme support aux armes d’Espagne par Charles-Quint visait certes à indiquer que son empire s’étendait désormais au-delà des mers mais aussi à souligner la catholicité, c’est-à-dire l’universalité de la notion d’empire, cette construction politique dont les Habsbourg se sont voulu les hérauts, au sein de laquelle des peuples divers sont appelés à partager une même civilisation.

Mais il y a plus car la nouvelle église est dédiée à Saint Charles Borromée, saint patron de l’empereur. Or saint Charles, cardinal-archevêque de Milan au XVIe siècle, s’était distingué par les soins qu’il avait prodigués aux personnes affligées de la peste qui avait ravagé sa ville en 1576. C’est ainsi qu’apparaît la double correspondance entre l’Empereur et son saint patron d’une part et entre les deux manifestations de la peste, celle qui ravage Milan et celle qui frappe Vienne d’autre part.

Ce patronage de Charles Borromée allait laisser une trace durable dans l’histoire de l’Autriche puisque sa fête est fixée au 4 novembre, le jour où en 1918 entrerait en vigueur l’armistice conclu avec l’Italie. A cet instant, l’Empereur Charles Ier, dont Charles Borromée est égalementi le saint patron, vit ses derniers jours sur le trône.

On voit alors se dessiner non seulement une correspondance nouvelle entre les deux empereurs qui partagent le même prénom et le même saint patron mais une sorte de filiation spirituelle qui mène de la peste milanaise de 1576 à la pandémie de 2020 : c’est la peste qui révèle la sainteté de Borromée, c’est en raison de sa sainteté qu’il est canonisé en 1584, c’est en vertu de cette canonisation que les parents du futur empereur qui naît un siècle plus tard le choisissent comme saint patron de l’enfant, qui devenu l’empereur Charles VI fera ériger la Karlskirche. Quant à Charles Ier, qui a aussi Borromée pour saint patron, il meurt en 1922 à Madère, d’une pneumonie, la maladie que provoque le coronavirus en 2020 et qui afflige en ce moment l’Europe entière.

Charles est un prénom d’origine germanique, dont l’étymologie signifie « homme fort ». Or, on connaît le dénuement extrême dans lequel Charles Ier est mort à Madère, qui avait fait sienne cette parole de saint Paul « c’est lorsque je suis faible que je suis fort (2 Cor XII, 10) ». Aujourd’hui il nous revient en quelque sort de nous inscrire dans cette succession « carlique » : le dépouillement, le soin des affligés, la formulation de vœux et leur accomplissement, la crainte de Dieu. Tout était déjà là dans la Karlskirche.

 

[1] Psaume XXII, 25 : J’accomplirai mes vœux en présence de ceux qui te craignent.

Dominique de la Barre

Dominique de la Barre est un Belge de l'étranger naturalisé suisse, amateur d'histoire et du patrimoine culturel européen, attaché aux questions liées à la transmission.

4 réponses à “Saint Charles Borromée et la peste

  1. Saint Charles Borromée était aussi Protector Helvetiae. Il a fondé à Milan la Collegium Helveticum qui formait le clergé helvétique. Il a joué un très grand rôle dans la Suisse catholique dont il est le saint patron.

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