Les Galeries Lafayette et le patrimoine

C’est la rentrée et aussi retrouvons-nous les Journées Européennes du Patrimoine, un thème cher à La Ligne Claire qu’elle a abordé à ses débuts il y a un an. De passage aux Galeries Lafayette à Paris quelques jours plus tôt on pouvait y entendre une voix qui par haut-parleur invitait la clientèle à s’associer à la participation des grands magasins aux journées du patrimoine, dont la célèbre coupole constitue un magnifique exemple. Bien plus la voix répétait le message en anglais en évoquant les European Heritage Days.

Fondée à l’origine en 1984 à l’initiative de Jack Lang sous le nom de la Journée Portes Ouvertes des Monuments Historiques, cette manifestation a connu une double évolution. Tout d’abord aux monuments historiques a succédé le patrimoine et ensuite, à compter de 1991, ce patrimoine est devenu européen à l’initiative du Conseil de l’Europe qui lui attribue le nom sous laquelle nous la connaissons aujourd’hui. Cette évolution n’est pas anodine car d’une part elle reconnaît que la notion de patrimoine dépasse les seuls monuments en englobe d’autres manifestations de la culture, la musique par exemple, et d’autre part elle reconnaît une dimension européenne à ce patrimoine. Bien plus, là où on se reconnaîtra en une marque de ce patrimoine, une cathédrale gothique mettons, là aussi est l’Europe.

La voix qui aux Galeries Lafayette annonçait la participation du prestigieux magasin à la manifestation, dans la mesure où elle l’annonce à la fois en français et en anglais lui confère, peut-être à son insu, sa signification véritable. Car le patrimoine n’est pas un bien dont on peut jouir à sa guise. Parmi les nombreuses définitions du mot patrimoine que nous suggère le Larousse figure: « Bien qu’on tient par héritage de ses ascendants » ainsi que « Ce qui est considéré comme l’héritage commun d’un groupe : le patrimoine culturel d’un pays ». On voit dans cette définition une double dimension. La première, verticale, s’inscrit dans le temps, car l’on tient un patrimoine de ses ascendants avec, bien entendu, l’obligation de le léguer à ses descendants ; la seconde, horizontale, insiste sur la dimension sociale car le patrimoine se partage : ce qui relève de ma propriété exclusive, ma brosse à dents par exemple, ne saurait relever du patrimoine. Cette double dimension du patrimoine ne s’oppose pas à la propriété privée mais lui confère au contraire son sens, à savoir la destination universelle des biens. Car en définitive, l’homme n’est pas le propriétaire ultime des biens de ce monde, il n’en est que le custode. On peut ici et là en observer des manifestations de cette conception du patrimoine, dans la publicité que fait Jaeger-Lecoultre de ces montres, dans la façon dont se transmettent les parts d’associés dans les meilleures banques privées et, autrefois, par la forme juridique du majorat qui régissait les fortunes de l’aristocratie d’Europe centrale. Si l’aîné de famille héritait seul de l’ensemble des biens inaliénables qui fondaient le majorat, il avait en contrepartie l’obligation de se soucier, en gérant intègre, de son accroissement et de subvenir aux besoins des membres cadets de sa famille.

La Ligne Claire se plaît à voir dans les Journées Européennes du Patrimoine la manifestation d’une sorte de majorat tantôt de droit public et tantôt de droit privé. Souvent ce sera l’occasion de découvrir non seulement un patrimoine mais aussi d’apprécier sa mise en valeur, la restauration d’une œuvre abimée, la promotion d’un lieu, d’un artiste ou d’une œuvre tombés dans l’oubli et qui fourniront autant de manifestations de cette obligation morale de préservation et de transmission.

Un mot enfin sur la coupole des Galeries. Image du génie industriel de la fin du XIXe siècle cette coupole de verre et d’acier et qui abrite un lieu public par nature, ne saurait exister si on n’avait érigé avant elle tant la coupole du Capitole à Washington, fruit différé de l’intervention du Marquis de Lafayette aux Amériques, que celle du Panthéon à Rome, la plus ancienne en existence. Alors parmi les senteurs du rayon parfumerie se révèlent les deux dimensions du patrimoine européen.

Dominique de la Barre

Dominique de la Barre est un Belge de l'étranger naturalisé suisse, amateur d'histoire et du patrimoine culturel européen, attaché aux questions liées à la transmission.