Le Saint Suaire de Turin

Le Saint Suaire de Turin

Le Saint-Suaire de Turin fait partie des objets les plus étudiés au monde si bien qu’on ne compte plus les ouvrages qui lui ont été consacrés, parmi lesquels celui de Jean-Christian Petitfils, « L’enquête définitive » figure en dernière date. L’auteur a pour objectif de démontrer l’authenticité du suaire de Turin à travers une triple analyse historique, scientifique et artistique et entend notamment réfuter les conclusions d’une datation au Carbone 14 en 1988 et qui datait le linceul du XIVe et en faisant donc un faux. En réalité, plutôt que d’un suaire, à savoir un voile qui recouvre la tête d’un défunt, il s’agit d’un linceul, un linge qui enveloppe le corps tout entier. Dans ce contexte le caractère authentique du linceul signifie que c’est celui qui a enveloppé Jésus-Christ lors de la mise au tombeau.

Petitfils, ancien banquier à la retraite, auteur d’une trentaine d’ouvrages consacrés en particulier au Grand Siècle, incarne une tendance où le narrateur raconte l’histoire académique en adoptant le style d’un ouvrage de vulgarisation. Auteur en 2013 d’une biographie de Jésus, Petitfils aborde ici l’histoire du linceul conservé de nos jours dans une chapelle de la cathédrale Saint Jean à Turin et qui laisse apparaître les marques des supplices, flagellation, crucifixion, couronne d’épines, infligés à Jésus de Nazareth, tels que les rapportent les Évangiles. D’emblée il avertit son lecteur que son livre n’aborde pas une question de foi mais constitue une enquête à propos d’une énigme qui touche à la foi.

 

Histoire du linceul

Les plus anciennes preuves indiscutables du suaire que nous connaissons aujourd’hui à Turin remontent à la deuxième moitié du XIVe siècle en Champagne. Or, on peut dater la mort de Jésus au 3 avril de l’an 33 de notre ère. Que s’est-il passé entretemps ? En 387 à Édesse, alors une ville byzantine, aujourd’hui la ville turque d’Urfa, est documentée la première apparition d’un linge dont Petitfils pense qu’il est l’actuel Saint-Suaire de Turin. Face à ce trou de près de quatre siècles, on ne peut affirmer de certitudes si bien que l’auteur est contraint de formuler de nombreuses suppositions ou d’en rendre compte. En 944 ce linceul supposé est exposé à Constantinople à l’occasion de la fête de l’Assomption ; à la suite du sac de Constantinople par les croisés latins en 1204, le linceul aurait été vendu au Roi de France qui l’aurait cédé à un fidèle, Geoffroy de Chancy, qui fera construire au XIVe siècle une collégiale destinée à l’abriter à Lirey, dans le diocèse de Troyes en Champagne. Le linceul deviendra ensuite propriété de la Maison de Savoie qui en cèdera la propriété au Saint-Siège en 1983.

 

Le linceul et la science

En 1898, un photographe turinois appelé Secondo Pia prend la toute première photo du linceul. Il découvre stupéfait que le linceul est en réalité un négatif de sorte que le négatif argenté de Pia révèle en positif le visage de l’homme que le linceul a enveloppé.

Depuis lors le linceul fera l’objet de nombreuses études scientifiques dont la datation au Carbone 4 de 1988 que Petitfils qualifie de fiasco en raison de la violation des protocoles et du choix des échantillons qui ont pu être contaminés par les ravages d’un incendie de 1532 et le raccommodage qu’il avait subi à sa suite.

Toute cette partie peut s’avérer ardue pour le lecteur dont les connaissances en matière de sciences de la nature, comme celles de La Ligne Claire, se sont arrêtées au Bac C. Petitfils passe en revue les travaux de physiciens, de chimistes, de statisticiens, de spécialistes des textiles anciens, de photographes, de médecins légistes, de botanistes, d’archéologues, de numismates et d’historiens dans le but de démontrer le caractère authentique du linceul. Si on peut saluer ce travail, il demeurera difficile au lecteur novice de forger sa propre opinion d’autant qu’il trouvera sans peine une argumentation contraire sur internet. De ce point de vue, La Ligne Claire déplore le choix du sous-titre « l’enquête définitive » non seulement en raison de sa tonalité quelque peu sensationnelle mais parce qu’après Petitfils viendront d’autres chercheurs, qui disposeront de nouveaux outils inconnus aujourd’hui et qui permettront justement de faire avancer la science. Tout récemment par exemple, au printemps de cette année, une étude aux rayons X a suggéré que le linceul avait 2000 ans d’ancienneté, une condition nécessaire à son caractère authentique.

 

La représentation de Jésus dans les arts

Enfin, dans la troisième partie l’auteur fait observer qu’au tout début du christianisme, il n’existait pas de représentation de Jésus car la loi juive interdisait l’art figuratif. Plus tard les premières représentations s’inspireront de l’art païen et on verra Jésus représenté comme un berger par exemple. Mais ce n’est qu’au Ve siècle, c’est-à-dire peu après l’apparition du linceul à Édesse, qu’on voit apparaître la représentation de Jésus qui nous est désormais familière et qui s’en inspire directement : cheveux partagés par une raie, barbe bifide etc. Petitfils y voit une marque du caractère authentique, tel qu’il était perçu alors.

 

Argumentation

En définitive Petitfils avance quantité d’arguments en faveur du caractère authentique du linceul : tissu issu du Proche-Orient au 1er siècle, pollens de plantes propres à la Judée, fleurs fleurissant au printemps, détection de piécettes de monnaie frappées sous Ponce Pilate, marques de la flagellation par un fouet romain, la plaie infligée par une lance romaine, marques du supplice romain de la crucifixion. Les piécettes par exemple ne sont pas décelables à l’œil nu si bien que même les partisans de l’authenticité hésiteront à suivre Petitfils sur ce terrain-là. Les lecteurs soucieux d’examiner les détails du linceul pourront le faire ici ou encore ici ; ils y apprendront par exemple que l’image de l’homme au linceul est non seulement un négatif mais qu’elle est tri-dimensionnelle.

Dans tout ce débat l’Église, désormais propriétaire du linceul, favorable en principe aux études scientifiques, se tient prudemment à l’écart des débats au sujet de leur interprétation. La foi en la Résurrection constitue le cœur du christianisme mais que le linceul soit une véritable relique ou une simple icône n’apporte pas de démonstration de cet article de foi. Lors de la dernière ostension du Saint-Suaire à Turin en 2020, La Ligne Claire et son épouse avaient contemplé émus l’homme du linceul revêtu des marques du supplice atroce de la flagellation puis de la crucifixion. Cela leur a suffi. Pour cette raison, La Ligne Claire juge que le livre de Petitfils ne convaincra que les convaincus.

 

Jean-Christian Petitfils, Le Saint Suaire de Turin – l’enquête définitive, Taillandier, 2022, 464 pages

Dominique de la Barre

Dominique de la Barre est un Belge de l'étranger naturalisé suisse, amateur d'histoire et du patrimoine culturel européen, attaché aux questions liées à la transmission.

7 réponses à “Le Saint Suaire de Turin

  1. Monsieur de la Barre,
    Voilà une analyse fort intéressante et fort lucide. En effet, s’agit-il d’une question de foi ou purement scientifique ? Mais, surtout, quelle peut être l’intérêt de toutes ces recherches historiques sur l’Arche d’Alliance, l’Arche de Noé, la Sainte Croix, le Sépulcre, le Saint Graal et autres symboles, recherches qui de toute manière sont vouées à l’échec. Du fétichisme ! Cette maladie sans fin de vouloir prouver Dieu, la Foi, le Spirituel, de prouver ce qui est illusoire, donc inutile de vouloir prouver. Ces symboles ne sont pas là pour éclairer l’œil du cerveau mais l’œil du cœur, non les connaissances scientifiques mais l’Intellect. L’homme intelligent, non l’homme cultivé !

    1. Bonjour Monsieur,
      Merci de votre si pertinente remarque, il n’y a rien à lui ajouter. Sinon mentionner que des auteurs ont écrit dans ce même sens et que… bizarrement, ils sont ignorés. C’est très dommage.
      Très bonnes salutations.

  2. Parlons plutôt de l’ostension du Saint Suaire que de son ostentation…
    Cela dit, oui, le sous-titre du livre est bien trop prétentieux. Je ne l’ai pas lu, mais j’en connais bien d’autres.
    Il y a deux sortes d’authenticité ici en jeu : que ce suaire soit celui du Ressuscité, ou qu’il soit celui d’un crucifié. Il y a plus d’une caractéristique qui montrent qu’il y a eu empreinte d’un vrai crucifié. Je ne retiens que la marque des clous. Dans toute l’iconographie de la Passion on voit les clous perçant les paumes, ce qui est impossible anatomiquement parlant, la main devant se déchirer. Les clous traversent le poignet, ce que montre très bien le Suaire.
    Pour l’analyse au carbone 14, si minutieuse qu’elle fut, on observe que seules les analyses des échantillons du Suaire (parmi les trois autres épreuves) ont un très mauvais “chi”, signifiant par là que l’échantillon est très hétérogène et que l’on ne peut pas en tirer une conclusion sur son âge, qui est comme un mélange de plusieurs âges, ceux des diverses fibres entrelacées.
    On sait que la trame et la chaîne des bords du Suaire ne sont pas de même provenance, l’une au moins étant due aux multiples restaurations successives des bords réalisées au long des siècles par de pieuses mains. Seul un vrai prélèvement d’échantillons au centre du tissu, qui serait vraiment homogène, serait à faire pour en tirer une vraie conclusion de datation…

  3. Bonjour à Tous. Que ce suaire soit celui qui servit à Jésus le Christ ou non, ne change strictement rien à ma Foi. En effet, celle-ci est certes bâtie sur la transmission de sa Foi par ma mère, mais aujourd’hui elle repose plus sur mon expérience de vie y compris les moments de doutes, l’enseignement et la vie de Jésus le Christ, ma relation personnelle à Dieu et à la Sainte Vierge Marie, ainsi que sur l’exemplarité de certains chrétiens rencontrés au cours de mes pérégrinations sur terre.
    Cependant, même si l’existence historique de Jésus le Christ a été documentée par de nombreuses preuves, je trouve opportun qu’une institution telle que l’École biblique et archéologique française de Jérusalem (EBAF), poursuive des recherches sur la personne de Jésus le Christ. Ceci, en le restituant – grâce aux travaux archéologiques qu’ils entreprennent en Israël, Palestine, Jordanie et Egypte – sur sa terre d’origine et dans le milieu où vivait ses contemporains. Le dictionnaire « Jésus » publié par l’EBAF en 2021, accorde une large place à la personne du Christ, à son enseignement et aux rites qui se réclament de lui.
    Je dois avouer que Jésus le Christ ayant été dans sa vie terrestre, fils d’un charpentier, m’a toujours plus rassuré, que s’il avait été le fils d’un riche marchand ou d’un prince fortuné. Assurément, un Dieu, qui s’abaisse à s’incarner dans le corps d’un humain ordinaire, doit certainement connaître parfaitement les espoirs, angoisses et souffrances de tous les humains !

  4. Toute l’ambiguïté des religions qui d’un côté voudraient se contenter de la croyance et d’un autre s’acharnent à trouver des preuves …
    Concernant le Saint-Suaire, je ne vois vraiment pas ce que ce bout de tissu pourrait amener à la religion, n’importe quel chiffon de l’époque du Christ donnerait le même résultat avec la méthode du carbone 14 …
    Tout ça est puéril … et ne mérite aucune attention particulière …
    Seul Dieu pourrait prouver qu’il existe …, mais il n’est que le fruit de l’imagination des hommes …
    C’est pourquoi cette équation n’a pas de solution réelle , seulement imaginaire …

  5. Il y a la vérité historique , les faits historiques ….
    Que ce suaire soit celui d’un crucifié, soit. Qu’il y ait quelques preuves que cette crucifixion ce soit passé à la période où Jesus a ou aurait été crucifié: soit.
    La crucifixion était pratique courante à l’époque .
    Mais que ce suaire soit précisément celui de Jesus ? Pourquoi pas celui des deux brigands censés être morts crucifiés aux côtés de Jesus ?
    On n’a que des suppositions et des souhaits qui arrangent bien ceux qui croient encore en un ami imaginaire, et surtout ceux qui en tirent profit .

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