La Sanctification du Monde

Il y a un peu plus de soixante ans, le 11 octobre 1962 s’ouvrait le concile Vatican II qui allait marquer l’Église catholique de manière profonde jusqu’à nos jours. A l’occasion de cet anniversaire, George Weigel, un intellectuel catholique américain de premier plan connu pour sa magistrale biographie de Jean-Paul II, a publié ce petit livre, To Sanctify the World, à destination d’un public généraliste mais averti.

Weigel entend tout d’abord rappeler au lecteur quelle était l’intention de Jean XXIII lors de la convocation du Concile, quels sont les points essentiels à retenir des seize textes publiés et enfin quelle est leur clé de lecture.

Lorsque Jean XXIII en janvier 1959 fait part de façon presque anodine de son intention de convoquer un Concile Œcuménique, l’Église n’est pas confrontée à une situation comparable à l’émergence de la Réforme, qui avait occupé le Concile de Trente au XVIe siècle. Mais le vieux pape a l’intuition d’une part que l’Église tourne confortablement en rond sur elle-même, en particulier en Europe, son cœur historique, et d’autre part qu’il lui fait défaut un langage qui lui permette de s’adresser au monde moderne d’alors. Les intentions du pape apparaissent clairement dans son discours d’ouverture du Concile, connu sous le nom latin de Gaudet Mater Ecclesia ; loin de refonder l’Église ou de la séculariser, il s’agit au contraire de souligner le caractère essentiellement christocentrique du Concile de sorte que l’Église catholique puisse mieux christifier ou convertir le monde.

Weigel suggère donc de lire les documents conciliaires à l’aune de cette intention et dans l’ordre constitutif qui convient ; en premier lieu figure la constitution sur la révélation divine, Dei Verbum, car Dieu parle en premier et révèle à l’homme sa vérité ; ensuite vient Lumen Gentium, la constitution sur l’Église, comprise non plus selon le modèle juridique des néo-scolastiques mais comme le Peuple de Dieu qui se reconnaît à la lumière de la révélation, dont Jésus-Christ est l’achèvement parfait. Les quatorze autres documents s’appuient sur ce double socle.

Lorsque le concile se clôt en 1965, les textes conciliaires sont reçus dans l’ensemble avec enthousiasme malgré le défaut, selon le mot de Weigel, d’une clé de lecture qui fasse autorité. Les pères conciliaires se retrouvent alors dans un monde où souffle un vent nouveau marqué par la décolonisation, une musique nouvelle, un culte de la jeunesse, un changement radical en matière de mœurs et par une contestation générale qu’on appellera par convenance l’esprit de mai 68. Sans tomber dans le faux syllogisme Post Concilium Propter Concilium, c’est bien dans ce monde-là que les décisions du concile trouveront leur application concrète, parfois fantaisiste. L’Église catholique entame alors la décennie la plus turbulente de son histoire moderne, marquée par le retour à l’état laïc de dizaines de milliers de prêtres et de religieuses.

Il reviendra aux pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI (1978-2013), deux participants au concile, d’expliquer, de clarifier et de définir ce que les pères conciliaires avaient voulu pour l’Église, en un mot de fournir la clé de lecture du concile. A ce propos, on peut songer au synode des évêques à l’occasion du vingtième anniversaire de la clôture du concile en 1985, à la promulgation du catéchisme de l’Église catholique publiée en 1992 ou encore à l’instruction sur la liturgie Redemptionis Sacramentum en 2004.

En un mot, le concile avait et a toujours vocation à inviter l’Église à proclamer Jésus-Christ au monde entier, dont il faut bien observer qu’il n’a pas porté un intérêt marqué à sa propre sanctification. Bien plus, en Europe en particulier, on a souvent observé le mouvement opposé où l’Église suit mollement les évolutions et même les exigences d’un monde non pas païen ou athée mais irréligieux. Il est aisé d’observer ce phénomène de nos jours encore, en Europe du Nord notamment, où même certains évêques cautionnent des inventions liturgiques, morales ou dogmatiques, qui se revendiquent d’un esprit du concile non défini, mais qui sont en réalité totalement absentes des textes conciliaires. C’est là aussi que l’Église est saignée à blanc car à quoi bon rejoindre une Église qui ne fait que répéter comme un perroquet ce que le monde lui dit ? Là au contraire où le concile a été reçu et mis en œuvre en vérité, là l’Église est vivante, joyeuse et missionnaire.

 

George Weigel, To Sanctify the World, Basic Books, 368 pages, 2022.

Dominique de la Barre

Dominique de la Barre est un Belge de l'étranger naturalisé suisse, amateur d'histoire et du patrimoine culturel européen, attaché aux questions liées à la transmission.

3 réponses à “La Sanctification du Monde

  1. Monsieur de la Barre,
    Intéressante analyse du livre de M. George Weigel. Je note en particulier l’opinion selon laquelle «il s’agit au contraire de souligner le caractère essentiellement christocentrique du Concile de sorte que l’Église catholique puisse mieux christifier ou convertir le monde.» En effet, le christianisme dont nul ne peut nier la valeur universelle sur le plan spirituel est utilisé par l’Occident comme instrument de propagande colonialisatrice.
    Dans cette même optique, ce Concile avait pour objectif ‘œcuméniste’ de reconnaître les valeurs du Protestantisme alors qu’il eut dû inviter nos frères séparés à renier leur hérésie et à réintégrer le giron de la Sainte Mère l’Eglise .
    Quant au point de vue selon lequel l’Eglise devrait s’adapter au monde moderne, vous décrivez utilement les résultats constatés aujourd’hui de cette dérive idéologique. La Vérité révélée par Jésus-Christ est la Parole de Dieu, absolue et immuable et donc aucunement sujette à quelque évolution que ce soit. Cette vérité-là est celle de toutes les Révélations divines renouvelées dans le temps et qui, elles, n’ont absolument rien de commun avec les théories développées par les philosophes et autres penseurs du monde d’ici-bas.

  2. La sanctification/spiritualisation du monde est un vaste programme comme aurait dit Charles de Gaulle. Cependant, il est parfois bon de rappeler que c’est en réalité notre mission terrestre « commune » que d’y arriver ou à minima de tendre à y arriver.
    En effet, l’Eglise a été créée pour unir le Ciel et la Terre et cela devrait être faisable, car Jésus le Christ, a ouvert le Ciel par sa Résurrection (Saint Jean I, 52).
    Si l’Eglise est capable d’unir le Ciel et la Terre, c’est-à-dire de joindre la Terre devenue un « Paradis terrestre » au Ciel, qui est le « Paradis céleste », elle a évidement besoin de tous les fidèles du Christ pour le faire, qu’ils soient clercs ou laïcs.
    Ce qui signifie que la mission terrestre de chacun de nous, suivant nos talents et capacités, est de participer à cette mission commune, qui a est en réalité d’améliorer la Création de Dieu avec l’aide du Paraclet, comme Jésus le Christ nous l’a annoncé.
    Personnellement, je trouve dommage que l’enseignement religieux (Catholique), que j’ai reçu, ne m’a pas fait comprendre que l’amélioration de la Création était synonyme de sanctification/spiritualisation du monde. C’est de façon empirique par tâtonnements et doutes, que je l’ai compris tout seul !
    Ce que j’ai également compris tout seul, c’est que même si la sanctification/spiritualisation du monde semble une utopie, tellement le Mal s’épanouit sur terre en ce moment. Dieu, Qui est présent en nous et nous accompagne à tout instant de notre vie, est capable d’utiliser le Mal et la souffrances du monde au bénéfice de cette sanctification/spiritualisation !
    Restons donc optimistes, car être chrétien est synonyme de vivre et agir dans la joie !

  3. Merci pour cette recension !
    On redécouvre aujourd’hui que les textes de Vatican II furent somme toute bien différents de ce qu’on en a cru lors de leur traduction concrète dans la pratique hebdomadaire ou quotidienne.
    Ici en Belgique, je vois des jeunes et moins jeunes qui en parlent sur les médias sociaux. Arnaud Dumouch sur Youtube par exemple, ou la chaîne “foi et raison” qui a abordé le sujet il y a un an: https://www.youtube.com/watch?v=3M7Lcg7tQnM
    Graines d’espérance !

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