La noblesse encartée

Le Roi a le droit de conférer des titres de noblesse, sans pouvoir jamais y attacher un privilège. Voilà ce qu’énonce sans ambages la Constitution belge en son article 113, jamais modifié. Comment faire face à cette interdiction constitutionnelle ?

Les émetteurs de cartes de crédit et les compagnies aériennes en particulier n’ont eu de cesse de rivaliser d’imagination pour contourner cet obstacle et (r)établir une hiérarchie des privilèges, là où la dure sanction de la Constitution l’avait abolie : Bronze, Silver, Gold and Platinum Card, le tout en anglais, qui fait ici office de langue rituelle comme autrefois le latin.

Ainsi, Miles and More, le programme de fidélité du groupe Lufthansa range ses clients au sein de quatre catégories, Member Miles, Frequent Traveller, Senator et Member of the Hon Circle. Les références à la noblesse sautent ici aux yeux avec sa hiérarchie des titres ou la référence au Sénat, Chambre Haute parfois réservée à la noblesse héréditaire comme au Royaume-Uni ou autrefois en Hongrie. Quant à Hon, diminutif de Honourable, il s’agit d’un prédicat honorifique attribué notamment aux enfants de certains membres titrés de l’aristocratie. Jessica Mitford, fille – vous l’aurez deviné – du Hon. David Freeman-Milton, devenu plus tard Baron Redesdale, n’a-t-elle pas écrit un livre intitulé Hons and Rebels ?

Dans le même temps, American Airlines propose des avantages, oui des avantages certes mais réservés aux membres ayant le statut Elite. Ainsi, voilà une forme de noblesse rétablie, car de même que l’on est noble ou pas, ou bien vous jouissez du statut Elite ou bien pas, et vous restez à la porte. A l’intérieur, au sein d’Elite, club aristocratique du vol d’affaires, on dénote quatre rangs: Executive Platinum, AA Advantage Gold, AA Advantage Platinum et AA Advantage Platinum Pro. Il n’aura pas échappé aux lecteurs de La Ligne Claire qu’il s’agit ici bien d’avantages dont votre voisin ne peut jouir. On notera aussi l’utilisation d’un langage qui se veut héraldique, là où Platinum Pro se substitue à, mettons, De Gueules à Bande de Vair.

Que faire alors lorsqu’un Hon Circle croise un AA Advantage Gold dans un lounge ? Qui des deux aura droit en premier à une portion gratuite d’oeufs brouillés ? Cette question délicate n’est pas sans évoquer les querelles de préséance entre familles ducales et princières admises jadis au Salon Bleu de la Cour de Belgique. Il y a un demi-siècle, le Roi Baudouin, armé de la toute la force de l’outil constitutionnel, y avait mis fin emportant la clé du salon mais en laissant la porte ouverte aux compagnies aériennes.

Dominique de la Barre

Dominique de la Barre est un Belge de l'étranger naturalisé suisse, amateur d'histoire et du patrimoine culturel européen, attaché aux questions liées à la transmission.

2 réponses à “La noblesse encartée

  1. Bon, les français pourront toujours sacrer Macron à Rheims.
    Sinon, ils pourront toujours rêver devant “Games of the Throne”
    En Suisse, on pourrait peut-être annexer le Lichtenstein?
    🙂

  2. Pour jouir pleinement d’un titre de noblesse, il est donc préférable d’hériter d’un solide compte en banque que d’un fragile château mal chauffé où il pleut sur les meubles de ses ancêtres.

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