La chasteté, mais pas tout de suite

« Seigneur, donne-moi la chasteté, mais pas tout de suite », écrivait Augustin tandis que de ses doigts fins il parcourait la ligne d’un sein ou le galbe d’une hanche. « Amare amabam », j’aimais aimer, dira-t-il plus tard de lui même dans les Confessions, après qu’il eût bu au calice des désirs et des douleurs.

Peu d’hommes auront exercé une influence aussi profonde sur la pensée de ce qui deviendra l’Occident latin : Luther, moine augustinien et Calvin s’en réclament, Hannah Arendt lui consacre une thèse, Bob Dylan l’évoque dans une de ses chansons tandis que dans les Confessions, premier ouvrage de ce genre dans l’histoire de la littérature, Augustin s’y dévoile sans fard et s’adresse directement à Dieu comme à un interlocuteur à qui on peut effectivement s’adresser. Ecriture marquée par le “je”, le genre sera appelé à un avenir heureux marqué notamment par la contribution de Jean-Jacques bien sûr. Chez Augustin, on y décèle à la fois la contrition de l’homme mûr pour la vie agitée menée dans sa jeunesse, non sans une pointe de nostalgie envers le tourment délicieux que procuraient ces amours fânées.

Il est un chemin, une route, un voie qui se déroule de Canterbury à Rome, la Via Francigena, que le Conseil de l’Europe a érigée au rang d’itinéraire culturel, et le long de laquelle on y fait la rencontre d’Augustin : à Saint-Maurice en Valais où les chanoines vivent depuis 1500 ans selon la règle qu’il a rédigée, à Pavie où s’élève son tombeau magnifique célébré par Dante, à Rome enfin en l’Eglise San Agostino in Campo Marzio où repose sa mère, Monique.

Fig. 1: tombeau de saint Augustin en l’église san Pietro in Ciel d’Oro, Pavie

Mère pieuse, patiente, aimante, elle versa toutes les larmes de son corps, comme la femme de l’Evangile versa du parfum sur les pieds de Jésus, face à la vie sentimentale agitée menée par son fils en vue de sa conversion ; puis, sa mission achevée, elle décéda à Ostie, où elle devait s’embarquer pour son Afrique natale, ses prières exaucées. Mille ans plus tard, en 1430, on procéda à la translation de ses reliques en la Basilique Saint Augustin, rare exemple d’architecture Renaissance à Rome, où elles s’y trouvent depuis.

On peut y admirer une splendide œuvre du Caravage intitulée La Madone des Pèlerins, pour laquelle l’artiste avait pris comme modèle sa propre maîtresse en vue de représenter la Vierge Marie. Il y a quelques années, La Ligne Claire, parvenue au terme de son propre pèlerinage tout au long de la Via Francigena, s’était rendue en cette église admirer ce tableau envers lequel mille kilomètres à pied lui faisaient éprouver une certaine proximité. Il y avait ce jour-là un religieux augustin qui décrivait le tableau à deux dames accompagnées de leurs enfants, les clair-obscurs propres au Caravage, la composition en diagonale, la figure de la Vierge Marie, assez sexy il faut bien l’avouer ; puis se lachant, il dit : « Guardate, è piu donna che Madona ».

 

 

Fig. 2: Madona dei Pellegrini (détail), san Agostino in Campo Marzio, Rome

 

En ces jours, le 27 et le 28 août, l’Eglise fait mémoire de la mère d’abord, du fils ensuite, témoins lumineux en leur frêle humanité.

 

Dominique de la Barre

Dominique de la Barre est un Belge de l'étranger naturalisé suisse, amateur d'histoire et du patrimoine culturel européen, attaché aux questions liées à la transmission.

5 réponses à “La chasteté, mais pas tout de suite

  1. Comme l’a relevé Serge Lancel dans son livre, “Saint Augustin” (Fayard 1999), il manque un nom dans les “Confessions”, celui de la concubine d’Augustin, mère de leur fils Adéodat, à laquelle il resta fidèle pendant seize ans.

    Augustin n’en parle guère. Il écrit seulement à son sujet: “…j’avais une femme, non pas connue dans le cadre d’une union dite légitime, mais dépistée au cours de mes vagabondages passionnés dépourvus de prudence. Mais je n’en avais qu’une, à qui je gardais la fidélité du lit”. Et l’évêque ajoute ce commentaire : “Cette liaison m’a donné l’expérience personnelle de la distance qu’il y a entre la juste mesure du contrat conjugal (placitum coniugale), conclu en vue de la génération, et le pacte (pactum) de l’amour voluptueux, où l’enfant naît contre le vœu des parents, même si une fois né il les force à l’aimer.” (Conf. IV, 2).

    Pourquoi cet anonymat? Claude Pujade-Renaud a consacré un livre à cette femme de l’ombre, envoyée de manière expéditive et délibérée aux oubliettes par la mère d’Augustin, Monique, qui y voyait une redoutable concurrente. “Dans l’ombre de la lumière” (Actes Sud, 2012), l’auteur fait une lecture en miroir des “Confessions” pour en exhumer cette figure systématiquement effacée de l’histoire officielle et faire parler les non-dits. Ces anti-confessions pourraient être celles de la femme qui, à la fois Marthe et Marie, partagea la foi manichéenne d’Augustin, fut sa concubine, lui donna un fils, vécut avec lui à Carthage, Thagaste, puis en Italie où le jeune rhéteur la congédia de son existence.

    Augustin n’a-t-il pas toujours eu maille à partir avec l’éternel féminin?

  2. Le Christ Jésus avait prévu une telle situation. Faites ce qu’ils vous disent et non-pas comme ce qu’ils font. Pour ramener la chose à quelques siècles plus tard, les médecins les plus farouches parmi les pro-vaccins aujourd’hui, ne sont très très fort probablement pas vaccinés.

    1. “les médecins les plus farouches parmi les pro-vaccins aujourd’hui, ne sont très très fort probablement pas vaccinés”, soit vous en savez quelque chose et vous avez des statistiques à montrer à l’appui, soit ce sont de pures spéculations malveillantes, absolument dans le vide, et alors, abstenez-vous!

      1. Chers lecteurs et lectrices de La Ligne Claire, chacun est libre d’exprimer ses propres opinions au sujet de la vaccination; toutefois elles sont sans rapport avec la teneur de mon blog, qui est consacré à Saint Augustin. D’autres forums vous conviendront mieux pour poursuivre cette discussion, si vous le souhaitez.

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