Jeanne d'Arc

Jeanne, la bonne Lorraine

Royaume ou Empire

Jeanne d’Arc est-elle née sur la rive gauche ou la rive droite de la Meuse? On sait qu’elle est née aux environs de 1412 à Domrémy dans le duché de Bar qui est alors partagé par la Meuse, sachant que la rive droite est une principauté d’Empire tandis que sur la rive gauche, dite Barrois mouvant, le duc est vassal du roi de France. Selon la rive donc, le lieu de naissance de Jeanne d’Arc se situe ou non dans le Royaume de France.

Comme à l’accoutumée Jean-Marie Le Pen est allé se recueillir en ce 1er mai face à la statue de Jeanne d’Arc qui se dresse sur la place des Pyramides à Paris. La question qui se pose donc est: à quel titre ?

Sainte ou pas?

Le calendrier liturgique indique à La Ligne Claire que sainte Jeanne d’Arc est fêtée en France le 30 mai, jour anniversaire de son supplice ; si M. Le Pen entend honorer la sainte, il se trompe donc de date.

On connaît le destin exceptionnel de Jeanne qui, alors qu’elle paît ses moutons, entend des voix, dont celles de l’archange saint Michel (https://blogs.letemps.ch/dominique-de-la-barre/michaelmas/), qui l’enjoignent de porter secours au roi de France. Chose incroyable, Jeanne parvient en 1429 à faire couronner Charles VII, le roi de Bourges, en la cathédrale de Reims. Il est possible, mais peu probable, que c’est cet événement que M. Le Pen veuille commémorer, néanmoins son geste rappellera utilement que la France a une histoire qui remonte au-delà de la proclamation de la République.

Une sainte laïque

C’est Jules Michelet, historien athée, qui, vers la moitié du XIXe siècle, fera apparaître l’image d’une héroïne nationale et populaire qui incarne le sentiment national et fait émerger un patriotisme français. S’il voit en elle une sainte, c’est clairement une sainte laïque – du reste n’a t-elle pas été brûlée sur les ordres d’un évêque? Dans le dernier quart du siècle, après la défaite de Sedan et l’avènement de la Troisième République en 1875, il ne sera pas difficile d’établir un rapprochement entre celle qui avait pour mission de bouter les Anglais hors de France et l’irrédentisme français face à l’Alsace-Lorraine.

Une sainte catholique

Effectivement, un mois à peine après la canonisation en 1920, la Chambre des Députés institue une Fête Nationale de Jeanne d’Arc et du Patriotisme, fixée au 2e dimanche de mai (et non au 1er mai). On ne saurait être plus clair : Jeanne d’Arc, désormais sainte, est érigée en figure du patriotisme, qui permettra au lendemain de la Grande Guerre de rassembler les partisans de la sainte catholique et ceux de la sainte laïque et populaire. Longtemps du reste un bâtiment de la Marine Nationale portera le nom de Jeanne d’Arc, de même que La Kriegsmarine avait le Prinz Eugen, prince de la maison de Savoie qui avait quant à lui bouté les Turcs hors de l’Empire.

En définitive, M. Le Pen fixe au 1er mai sa propre fête, ni celle du calendrier religieux ni celle votée par la Chambre mais celle dont il espère qu’il permettra de rallier un électorat à la fois catholique et attaché à la République, désireux cette fois-ci de bouter l’Union Européenne hors de France.

Mais le doute subsiste car si Jeanne est née sur la rive droite de la Meuse, alors il faut considérer que ce n’est pas à une Française de souche qu’on doit d’avoir libéré le Royaume de France de la présence anglaise mais au contraire à une personnalité issue de l’immigration. François Villon, lorsqu’il compose la Balade des Dames du Temps Jadis, une génération à peine après la mort de Jeanne, ne parle-t-il pas de « Jeanne, la bonne Lorraine, qu’Anglais brûlèrent à Rouen » ?

Dominique de la Barre

Dominique de la Barre est un Belge de l'étranger naturalisé suisse, amateur d'histoire et du patrimoine culturel européen, attaché aux questions liées à la transmission.