Tu-toi-ment

Enfant, La Ligne Claire pouvait de temps à autre entendre en Belgique dans la bouche de gens comme il faut l’expression « On n’est pas en république ». Celui qui en faisait usage voulait indiquer à son interlocuteur un emploi jugé déplacé du tutoiement en évoquant la pratique rendue obligatoire par la République française en 1793. Le monde d’aujourd’hui n’aurait que faire de cette obligation légale tant l’usage du tutoiement s’est répandu, en particulier au sein du monde du travail.

Les lecteurs de La Ligne Claire qui auront suivi la série télévisée Downton Abbey sauront qu’à cette époque-là, il y a un siècle environ, il n’existait guère d’infraction à la pratique qui consistait à s’adresser à la personne en l’appelant Monsieur ou Madame X. « Madame X, voulez-vous du thé ? ». La grande exception à cet usage, illustré tout au long de la série, est celle qui gouverne les rapports entre personnes dont le rang social est jugé inégal. Ainsi Lord Crawley dira à son majordome : « Carlson, apportez-moi du thé », où il ne sara jamais question d’un Mister Carson.

On prête au Président Eisenhower l’introduction de l’usage désormais universel en Amérique d’appeler les gens par leur prénom. Ainsi « Mr (John) Smith, would you like some tea ? » devient « John, would you like some tea ? ». Cette pratique franchit l’Atlantique puis s’étend à d’autres langues, dont le français. Mais voilà, au passage on commet une erreur de traduction car « you » en anglais est en réalité un vouvoiement même s’il est vrai que le tutoiement propre, « thou » est tombé en désuétude ou est relégué à la langue littéraire (et à la Bible en particulier). Quatre siècles après que le roi Jacques Ier eut ordonné la rédaction d’un des chefs-d’œuvre de la langue anglaise, the King James’s Bible, le général-président aura finalement eu raison de lui.

Désormais le tutoiement s’impose partout très rapidement, parfois dès la première minute d’une rencontre. Ce faisant, on gomme toutes les gradations dans les civilités qui servent justement à distinguer des rapports de nature et d’intensité différente, du tu au vous, assisté du prénom, du nom ou bien entendu du Monsieur ou Madame, parfois assorti d’une fonction, Monsieur l’Abbé ou Monsieur le Directeur. De nos jours, quelles que soient les circonstances, on est presque contraint d’utiliser la formule « tu + prénom » qu’on s’entende bien ou pas, « Jules, tu veux une bière ? », « Jules prépare-moi le dossier », « Jules, t’es viré».

Lointain écho de la Terreur, ce tutoiement universel imposé fait figure d’imposteur : on n’est pas ami avec tout le monde ; il introduit dans les rapports humains « la fausseté de l’amour même », selon le vers d’Apollinaire.

Il fut un temps, que La Ligne Claire n’a pas connu, où un gentilhomme ne tutoyait que ses camarades de régiment, son chien de chasse et sa maîtresse. Les choses étaient claires alors, enfin, vous voyez ce que je veux dire.

Dés-articulé

Il y à un mois à la radio, la Ligne Claire entendait le commentateur dire « que le remorqueur s’était porté sur zone » ; il voulait dire par là que le remorqueur s’était porté au secours d’un cargo dont la cargaison avait basculé et causé une forte gîte. Plus récemment, à l’occasion d’un match de rugby où l’un des joueurs avait été sonné, un autre commentateur-radio mentionnait qu’on l’avait sorti « sur civière ». Irritée par cette disparition de l’article, la Ligne Claire a voulu en savoir plus.

Une rapide recherche sur internet nous apprend que l’omission de l’article pour marquer une proximité de lieu est jugée familière par l’Académie française, une appréciation à laquelle la Ligne Claire n’a pas manqué aussitôt d’apporter son concours. Ainsi plutôt que de dire « je travaille dans la région parisienne » on entendra « je travaille sur Paris » ou justement«le remorqueur s’était porté sur zone »

Quant au deuxième cas (« sur civière »), lassé d’y trouver une hypothétique justification, la Ligne Claire a fini par conclure qu’il s’agissait tout simplement d’un mauvais usage du français dans le chef d’une radio chez notre grand voisin.

In vino veritas

En définitive, il n’est jamais venu. En raison des attentats de Paris le 13 novembre dernier le président iranien Hassan Rohani a annulé sa visite en Italie, au Vatican et en France, où il avait été prévu qu’il s’entretienne avec le président François Hollande.

Entretemps une mini polémique avait vu le jour car le président Rohani avait refusé de prendre part à un repas au cours duquel du vin aurait été servi. Si l’attitude de Rohani peut irriter, car il lui aurait suffit de demander un demi de Contrex’, la réplique de l’Elysée, à savoir l’élévation du vin à table au rang des « traditions républicaines » est risible. Ce sont les Romains qui ont introduit la vigne en Gaule au 1er siècle avant Jésus-Christ et l’usage qui consiste à boire du vin à table fait tout simplement partie des coutumes du pays et n’est pas le fait d’un régime politique particulier, républicain ou autre.

Mais personne n’est dupe car derrière cette attitude de l’Elysée se cache le refus de donner l’impression de se plier à un rite religieux, l’interdiction faite par l’islam de consommer de l’alcool.

La Ligne Claire a grandi dans une famille de diplomates où de temps à autre surgissaient de délicates questions de protocole. Une princesse romaine de noblesse pontificale a-t-elle préséance sur la femme de l’ambassadeur de Syldavie ? Le plus souvent, le simple bon sens permettait d’y répondre : on ne sert pas du rôti de porc à l’ambassadeur du Maroc pas plus qu’à l’ambassadeur d’Israël.

Fort de l’expérience de ses parents, la Ligne Claire suggère pour la prochaine fois au service du protocole de la présidence d’offrir du vin mais de recommander à l’hôte de l’Elysée de s’abstenir d’en boire par égard envers son invité. Cela s’appelle la courtoisie, une tradition bien française, avec ou sans république.

Halloween, c’était hier

Halloween c’était hier, aujourd’hui c’est la Toussaint, une fête qui s’établit en Occident à partir du VIIIe siècle et qui célèbre tous les saints de l’Eglise, canonisés ou non. Quant à la date du 1er novembre, elle est peut être due à des origines celtiques car on sait que les Celtes commémoraient le passage à la saison sombre à cette date-là. En anglais justement Toussaint s’appelle All Saints mais aussi All Hallows, un mot d’origine germanique, proche de l’allemand heilig. Aussi retrouve-t-on en Angleterre et, par delà, dans le monde de langue anglaise, nombre d’églises consacrées à All Hallows, All Hallows by the Wall ou encore All Hallows by the Tower à Londres par exemple-

La veille de la Toussaint s’est donc appelée All Hallows’ Eve et par contraction Halloween, que tous ceux qui font leurs courses à la Migros connaissent désormais.

 

Noko, plur. Banoko

Les lecteurs du Temps se souviendront qu’il y a près de soixante ans Tintin s’était rendu en Suisse, à Cointrin d’abord, à Cornavin ensuite, qu’il avait été victime d’une queue de poisson sur la Route Suisse qui le précipite dans le lac, et qu’il tachait de joindre la villa du professeur Topolino, route de Saint-Cergue à Nyon, dont il ignorait qu’elle était truffée d’explosifs.

Un quart de siècle auparavant, Tintin avait entrepris le voyage de l’Afrique, c’est-à-dire de son point de vue, du Congo belge. Embarqué sur le paquebot Thysville, il débarque à Matadi, le grand port du Congo, où il est accueilli par la foule en liesse et porté en triomphe aux cris de « Vivent Tintin et Milou ».

Mais alors que Tintin et le Capitaine Haddock fonçaient sur la Route Suisse, les yeux rivés sur le volant, pour gagner au plus tôt la villa du professeur Topolino, ils ne songeaient pas à jeter un coup d’œil à la jolie chapelle Heimatstil de Saint-Robert à Founex, où par contre s’arrête ces jours derniers un personnage d’importance.

Hergé était friand de ces correspondances où ses personnages refont surface d’un album à l’autre, à l’instar de Dawson, chef de la police de la concession internationale de Shanghai, qui réapparaît comme marchand s’armes dans « Coke en Stock ».

C’est donc dans cette filiation de la BD que s’inscrit tout naturellement la visite de Mgr Nlandu Mayi Daniel, actuel évêque de Matadi, auprès de l’abbé Giraud Pindi, prêtre de son diocèse détaché en qualité de curé de Terre-Sainte.

« Ah, vous êtes belge ?, me dit l’évêque. Un noko alors» « Un noko, moi ? » aurait rétorqué le capitaine Haddock. « Et eux, c’est votre famille ? poursuit-il. Alors ce sont des banoko.»

« Rassurez-vous », c’est ainsi que nous appelons les Belges au Congo: noko = oncle, banoko au pluriel ».