Le Monastère

In Principio

 

En février 2013, Benoît XVI, sentant sa fin prochaine, dans un geste inédit, déposa sa tiare et annonça son abdication en latin aux cardinaux réunis qui ne comprirent guère la signification de ce qu’ils entendaient et moins encore sa portée.

En réalité, il n’en est rien. Si Benoît XVI était alors âgé de 86 ans, il n’était ni mourant ni malade. Selon Massimo Franco, journaliste au Corriere della Sera, soumis à de fortes pressions, Benoît XVI craignait une répétition à terme de la fin du règne de Jean-Paul II, où la faiblesse du pape avait ouvert la porte aux luttes de pouvoir au sein du Vatican. Neuf ans plus tard, du simple fait que Benoît XVI soit toujours en vie, les raisons invoquées lors de la démission, le manque de la force physique et mentale nécessaire au bon exercice du ministère papal et le souhait de se retirer en vue de mener une vie de prière, peinent à convaincre ceux qui sont enclins à y voir l’ombre d’un complot.

Le Monastère dont il est question dans le livre de Franco, c’est le Monastère Mater Ecclesiae situé dans l’enceinte du Vatican, où s’est retiré Benoît XVI après son abdication ; décision sans précédent dans l’histoire moderne de la papauté, elle est à l’origine de la situation actuelle où « deux papes », l’un régnant et l’autre émérite, vivent à un jet de pierre l’un de l’autre.

 

Ubi Caritas…

Au vu de la manière dont l’Église catholique se conçoit elle-même, cette cohabitation entre « deux papes » ne relève pas de la simple anecdote. Car la démission de Benoît XVI n’est pas simplement hors norme au sens où il s’agit d’un événement exceptionnel mais dans le sens où elle n’est régie par aucune règle en vigueur. S’il est heureux que la cohabitation démarre du reste sur un mode harmonieux, fruit de la bienveillance et de l’estime mutuelle dont les « deux papes » font montre, elle en est aussi l’otage. Un homme, Mgr Georg Gänswein, qui cumule les fonctions de secrétaire particulier de Benoît XVI et de Préfet de la Maison Pontificale du Pape François, assure le lien entre Mater Ecclesiae et la Casa Sancta Marta voisine, où vit le nouveau pape.

 

…ibi bellum

Mais le ton et le contenu inhabituel du nouveau pontificat crée des meurtrissures si bien que Mater Ecclesiae devient l’hôpital de campagne où viennent se réfugier les blessés du bergoglisme, voire ceux qui s’y opposent, parmi lesquels au premier rang on trouve le Cardinal Müller, licencié par le Pape François en 2017 de sa charge de Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Si jamais on n’entendra Benoît XVI critiquer son successeur, le Monastère deviendra selon Franco la métaphore et le lieu d’un lobby conservateur, que Ratzinger n’a ni voulu ni même encouragé, mais qui se réclame de lui et se reconnaît en lui. A son corps défendant, Benoît XVI se voit élevé au rang d’un mythe mystérieux et insondable à l’image de sa démission elle-même, et érigé en étendard d’une Église réputée orthodoxe face à un supposé crypto-marxisme latino.

Franco propose ici une topologie intéressante de la frange traditionnelle de l’Église : ceux qui ignorent Bergoglio tout bonnement et estiment que Benoît est toujours le pape légitime, d’autres qui cherchent avec peine à réconcilier la doctrine traditionnelle de l’Église avec les faits et gestes du nouveau pape, d’autres encore qui reprochent à Benoît XVI non seulement le fait de la démission mais son manque de préparation ; enfin il y a ceux qui jugent Benoît XVI trop tiède et trop loyal envers son successeur et estiment qu’il aurait dû corriger publiquement ce qu’ils estiment être les errements doctrinaux du Pape François.

Mais l’harmonie des débuts se rompt sous l’effet des luttes que se livrent les camps respectifs de l’ancien et du nouveau pape et qui mènent à cette rupture graduelle dont Franco reconstruit les étapes. Tout d’abord en 2018, il y a cette affaire embrouillée où le Préfet pour le Secrétariat à la Communication, Dario Viganò, se verra accuser de tromperie et sera acculé à la démission. Ensuite et surtout en 2019, il y a la collaboration, jugée maladroite, prêtée par Benoît XVI au livre rédigé par le Cardinal Sarah en défense du célibat sacerdotal, perçue comme une tentative réussie de torpiller le Synode sur l’Amazonie, au cours duquel cette question devait être abordée. Mgr Gänswein en fera les frais et sera démis de ses fonctions de Préfet de la Maison Pontificale par le Pape François en 2021.

L’intérêt de ce livre paru en italien ces jours derniers réside en son examen des problèmes qui affligent l’Église du point de vue de Mater Ecclesiae plutôt que de celui de la Casa Sancta Marta, siège effectif de la cour du Pape François. Au-delà des questions de style qui séparent les deux hommes, des questions de tempérament, des divergences en matière doctrinale et des rivalités qui opposent progressistes et conservateurs, en définitive selon Franco c’est l’Europe qui constitue la ligne de faille, un continent à réévangéliser pour l’un, une culture épuisée sur le plan spirituel pour l’autre.

 

Ventura saecula

Et puis il y a l’avenir. Quelle que soient les sensibilités des uns et des autres, la situation de fait créée par Benoît XVI s’est révélée à la longue préjudiciable à l’unité de l’Église qui devra réfléchir aux règles à mettre en place en vue de régir de futures possible démissions. De l’avis de La Ligne Claire, elles devront comporter les éléments suivants. Tout d’abord le pape démissionnaire ne doit pas porter le titre de pape, pas même émérite, doit donc abandonner le port de la soutane blanche et doit reprendre son nom à l’état civil, Cardinal XY. Pour le cas peu probable où la démission interviendrait alors qu’il a moins de 80 ans, il ne recouvrerait pas ses droits électoraux au sein du collège cardinalice. Ensuite le pape démissionnaire se retire dans un lieu validé par son successeur, en dehors du Vatican et de Castel Gandolfo. Enfin et peut-être surtout, le pape démissionnaire doit obtenir l’approbation préalable de son successeur dès lors qu’il s’exprime en public par écrit ou de vive voix.

Ratzinger aura été désormais plus longtemps pape émérite qu’il n’aura régné. Cette papauté parallèle ou même la perception qu’il pût en exister une constitue un défi permanent à son successeur et contribue à renforcer les fronts opposés au sein de l’Église. Alors que Ratzinger voulait épargner à l’Eglise des luttes politiques intestines, en définitive l’abdication elle-même conjuguée à cette longue retraite au Monastère auront produit les effets inverses.

 

Massimo Franco, Il Monastero, Solferino, 2022, 288 pages.

Dominique de la Barre

Dominique de la Barre est un Belge de l'étranger naturalisé suisse, amateur d'histoire et du patrimoine culturel européen, attaché aux questions liées à la transmission.

8 réponses à “Le Monastère

  1. Je ne suis pas du tout un familier des arcannes du Vatican, mais j’ai l’impression qu’à priori, plutôt que de diviser, la présence (priante) de Benoît XVI temporise les ardeurs des opposants à François. En des temps aussi secoués que les nôtres (il y en a certes eu avant aussi), avoir un pape qui nous ramène à l’engagement et la cohérence de vie de la foi, et un autre qui prie, écoute et médie me paraît bien inspiré.

  2. “Et puis il y a l’avenir. Quelles que soient les sensibilités des uns et des autres, la situation de fait créée par Benoît XVI s’est révélée à la longue préjudiciable à l’unité de l’Église qui devra réfléchir aux règles à mettre en place en vue de régir de futures possible démissions.” C’est donc la faute à Benoît XVI ! Non, la faute du suicide de l’Eglise catholique romaine est due au Concile de Vatican II. Benoît XVI, conservateur de la doctrine a compris que la mort de l’Eglise était devenue inéluctable et que toute résistance face à la modernité était vaine. Il n’a aucunement renoncé, il s’est effacé en homme sage sachant que la Vérité, comme Dieu dont elle est la Parole, est immuable et donc non susceptible d’évoluer comme le croient les soi-disant oecuménistes qui reconnaissent des vérités multiples professées par les “sensibilités des uns et des autres” !

  3. Je suis d accord , autant la foi de Benoit XVI m inspire bien plus , autant la coexistence de deux papes dans l enceinte du Vatican n est pas saine! La prochaine fois , oui , abdication mérite , retrait en tout…

  4. Chère Ligne ClaIre,
    Si on admet que c’est par l’intercession du Saint Esprit que Dieu guide le choix du Souverain pontife, on doit aussi admettre que c’est SA volonté que le Pape émérite ait encore une longue vie à côté de son successeur. Vouloir lui clouer le bec (c’est finalement ce que ce texte propose) me semble de ce point de vue inadmissible. Benoit XVI représente une église avant tout spirituelle, théologique, alors que François est avant tout politique (pour ne pas être plus précis).
    Je ne voudrais pas m’imaginer la virulence qu’aurait en l’absence du Pape émérite les débats en Europe, inutilement attisés par des interdictions et des décisions de gouvernance autoritaires du Pape François.
    Cordialement, Nicolas

  5. Merci pour votre article très intéressant, tout comme l’analyse du livre.

    Le Pape ne démissionne pas, pas plus qu’il n’abdique. Selon le droit canon, il peut renoncer librement. Benoît XVI avait laissé entendre qu’il le ferait un jour.

    Les deux Papes, émérite et en fonction s’entendent très bien. Benoît XVI avait promis sa loyauté et son obéissance au prochain successeur de Pierre. François a aussi encouragé Benoît XVI à s’exprimer.

    Ce sont certains cardinaux, évêques ou chrétiens qui ne comprennent ni Benoît XVI ni François qui sèment la division. Le livre le révèle bien: c’est à l’insu de Ratzinger que cela se produit. Par contre Gánswein intrigue beaucoup trop.

    Merci encore

  6. Si la thèse bizarre de la Ligne claire est conforme à la vérité, c’est à dire si l’existence discrète d’un pape émérite aux sentiments plutôt conservateurs, à quelques encablures du palais pontifical du moderniste échevelé François, revient à la présence d’une sorte de statue du commandeur, empêchant le pape régnant de régner, eh bien, pour ma part je dirais que telle est sans doute la volonté divine. A cet égard je salue les réflexions pleines de foi de monsieur Nicolas de Buman.

    Les voies du seigneur étant impénétrables, il et tout à fait possible que le bon Dieu ait permis le succès du complot de la haute finance antichrétienne, qui voulait se débarrasser de Benoît, car Benoît n’était pas assez zélé dans la démolition de l’héritage catholique. Mais, ayant permis cela, et ayant permis l’élévation sur le trône de Pierre du péroniste de gauche Bergoglio, acquis aux objectifs maçonniques du nouvel ordre mondial, le bon Dieu, qui est plus intelligent que tous les manipulateurs, a bien pu prendre la précaution de maintenir ce cher Ratzinger en vie, précisément pour que sa seule présence, discrète, empêche Bergoglio d’aller au bout de son travail de démolition.

    De même, le concile de Vatican II a été, et ça seules des personnes complices du forfait, naïves, mal informées ou de mauvaise foi, pourraient le nier, une opération technique de prise de contrôle de l’appareil de gouvernement de l’Eglise par la Franc Maçonnerie. Mais, on constate que le bon Dieu a permis le succès de cette opération. Mais il s’est arrangé pour que Mgr Lefèbvre se lève et devienne un pôle de ralliement, qui a empêché les loups de détruire complètement la bergerie.

    Si nous sommes croyants, nous devons admettre que le bon Dieu permet beaucoup de choses, pour nos péchés. Il a permis la réforme. Il a permis des schismes, des antipapes et toutes sortes de scandales, mais il n’a jamais abandonné son Eglise. Il est parfois facétieux. Il a peut-être voulu jouer un tour à ceux qui s’étaient cru plus malins que lui.

    Je rappelle les circonstances de l’éviction du pape Benoît. Il avait déplu aux forces anti chrétiennes mondialistes par sa tentative de réconciliation avec les traditionnalistes. L’ADL avait clairement menacé de conséquences graves. Pourtant c’était le devoir du pape, en tant que pasteur, de veiller à l’unité des chrétiens aussi avec les tradis. Alors, pour se débarrasser de lui, la haute finance a inventé une histoire de blanchiment d’argent, bidon de l’IOR. Bien sûr il y en a eu, beacoup, des scandales financiers au Vatican, au cours des âges, cela n’a jamais dérangé personne tant que les malversations arrangeaient la contre-Eglise. Mais là on s’est indignés vertueusement, on a exigé une enquête et surtout, arme fatale, la Banque d’Italie, sur ordre bien sûr, a refusé le clearing des cartes de crédit des pélerins et touristes visitant les musées du Vatican. Cela représente un manque à gagner de plusieurs millions par mois, de quoi mettre l’Eglise catholique financièrement à genoux. Elle est plus vulnérable que la Russie qui, elle, a d’autres ressources pour s’en sortir en cas de sanctions bancaires internationales. Donc, ça veut dire que le chantage avait été fait : On veut vous voir les talons, sinon l’Eglise tombera en faillite. Ratzinger n’était pas un lutteur. Ce n’était pas son tempérament. Il a basté. Il a démissioné. Dès le lendemain, la banque d’Italie a annoncé que le problème était résolu. Donc le clearing des cartes de crédit a repris immédiatement.

    La ligne claire, qui est un professionel de la finance et connaît bien l’hypocrisie de ces histoires de compliance, n’a pas besoin qu’on lui explique ces choses.

    1. Les oppositions au Vatican sont désormais très puissantes et le Saint-Siège est attaqué. L’Eglise catholique vit ainsi une période compliquée en Europe.
      Mais les périodes difficiles sont parfois aussi des périodes de retour vers l’essentiel.
      Cette période ne pourrait-elle marquer le début d’un renouveau?
      Par ailleurs, la présence de deux Papes témoigne dans les faits de la fin de la monarchie absolue vaticane en Europe, pour une gestion plus décentralisée.
      Ce n’est peut-être pas une mauvaise nouvelle pour l’Eglise catholique pour affronter des temps compliqués, qui sait?

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