La honte de Benjamin Constant. Réponse à Monsieur Nantermod

La honte de Benjamin Constant. Réponse à Monsieur Nantermod

 

 

Le rôle de donneur de leçon est ingrat. Rares, au moins, sont ceux qui pourraient toutefois revendiquer ne s’y être jamais complu. Je ne sais si cet ensemble est vide, mais si tel est le cas, ce n’est pas de mon fait. Mais prétendre l’exercer sans maitriser son sujet est très imprudent. Je crains Monsieur Nantermod (conseiller national PLR) que votre apostrophe à mon encontre, publiée dans Le Temps datée du 4 mai dernier, ne relève de cette imprudence.

Il n’est pas nécessaire pour parler d’« avertissement de la nature » de doter Dame Nature d’une intentionnalité. Si par un soir d’hiver (lorsque l’hiver était autre chose qu’une saison tiède, changement qui semble échapper à votre sagacité de libéral impénitent), un conducteur ressent une légère embardée de son véhicule, très probablement provoquée par la présence de verglas (phénomène spontané, et en ce sens naturel), mais sans conséquences accidentelles, il interprétera cet événement comme un avertissement. Il ne lui est pas alors nécessaire de devenir animiste pour ce faire !

Désolé cher Monsieur, mais votre remarque est doublement déplacée. Premièrement, votre lecture est sémantiquement inepte. Je viens de vous le monter par un exemple à votre mesure, du moins l’imaginé-je. Deuxièmement, par ce qu’en l’occurrence, la pandémie du Covid-19 constitue bel et bien un avertissement du type plaque de verglas. Il n’y a aucun doute sur l’origine animale du Covid-19 et de ses quelques gènes. Par quelle alchimie microbiotique il a fini par devenir une chimère biologique, apte à s’en prendre à des vies humaines ? Nous ne le savons pas, mais l’alchimie en question ne se serait pas produite sans la proximité, de notre fait, de cette espèce de chauve-souris aux habitats humains. Or, la destruction des écosystèmes sauvages et celle de l’habitat de nombreuses espèces, la déforestation notamment, la réduction de la biodiversité, les contiguïtés homme-animal, y compris domestique, sont des facteurs qui expliquent l’augmentation marquée des zoonoses que nous connaissons depuis quelques décennies. Nous pouvons donc redouter d’autres épidémies, susceptibles de se transformer en pandémies avec la mondialisation. Et nous avons eu la chance d’être confrontés à un virus faiblement létal, statistiquement, et n’affectant mortellement que certains segments de la population.

Vos propos sur Gaïa sont non moins déplacés. Gaïa n’est pas pour Lovelock, ou pour Margulis, autre chose qu’un système au sens de la théorie des systèmes. Elle n’est pas plus dotée d’intentionnalité qu’un missile programmé pour atteindre sa cible, pour reprendre son propre exemple. Le recours à une figure de la mythologie, qui n’est pas de son chef, originellement, est là pour susciter quelque empathie vis-à-vis de la nature, mais non pour se substituer à la description du système désigné. Nous ne saurions raisonner sans le moteur de nos affects. Mais, comme je dois le constater, il arrive, quand il s’agit de passions tristes, que les affects étouffent ce qui tient lieu d’intelligence.

Enfin, vous qui vous targuez d’être libéral, vous êtes probablement persuadé – par obligation professionnelle –, que le marché est efficient et qu’il garantit la meilleure allocation des ressources. Ce qui relève du gag absolu pour tout environnementaliste, fût-il le plus paresseux des débutants. Les marchés d’aujourd’hui n’ont plus rien à voir avec ceux de grand-papa Hayek, censés avec le signal-prix fournir aux producteurs individuels les informations dont ils avaient besoin (par exemple les conditions de travail dans des mines lointaines…). Quel est le signal d’un baril de pétrole à prix négatif ? Qu’il y a quelque problème quant à la pérennité de la ressource ? Que sa combustion n’infléchit pas l’effet de serre naturel ? Etc. ? Une des caractéristiques des marchés d’aujourd’hui est une volatilité extraordinaire, et un décrochage d’une réalité vivante et climatique qui part en charpie. Alors que la récession menace, certaines bourses s’envolent ! Mais évidemment, vous imaginez qu’une Providence veille sur nous, consommateurs invétérés, et fera qu’on pille les réserves fossiles, déverse dans l’atmosphère des milliards de tonnes de CO2, qu’on détruise les sols, empoisonne l’air et les rivières, les mers, que l’on répande moult biocides, etc., sans qu’il n’en découle quelque conséquence négative pour nous autres pauvres consommateurs.

Quel est celui qui croit au Père Noël ? L’écologiste contestataire en Birkenstock, ou le libéral consentant en cravate ? Le problème étant que les conséquences de la croyance aveugle du second seront à terme criminelles (elles le sont déjà en termes de pollution de l’air, de conséquences multiples du dérèglement climatique, d’effondrement de populations de vivants sauvages, etc.). Et je pèse résolument mes mots.

J’ai honte pour Benjamin Constant, ce grand penseur qui honore la ville de Lausanne. Je crains qu’il n’ait dû se réfugier dans l’enfer de Dante, las d’essuyer de son firmament les âneries coupables de ceux qui se réclament de lui. S’en réclamer authentiquement, ce serait chercher, comme il y était parvenu il y a deux siècles (vous m’avez bien entendu, deux siècles !), à comprendre certaines caractéristiques de son temps. Et non pas un psittacisme partisan.

 

Dominique Bourg

Dominique Bourg est un philosophe franco-suisse, professeur honoraire à l'Université de Lausanne. Il dirige la publication en ligne https://lapenseeecologique.com/ et diverses collections aux Puf.

28 réponses à “La honte de Benjamin Constant. Réponse à Monsieur Nantermod

  1. La providence règne sur nous à condition de ne pas la violer, ou la voiler sous des tas de mensonges, de pillages de toutes ces terres et d’expropriations des peuples innocents, au nom des empires, avec cette violence coutumière.
    Quand donc nous délivrerons nous des bêtes furieuses qui gisent dans nos cœurs ?
    Voyez, je crois au Père Noël qui adoucit nos mœurs. De même à la musique, ou aux arts inspirés, à la source possible d’un meilleur, et d’une évolution – spirituelle – plus que celle illusoire des techniques. D’ailleurs, si nous évoluions spirituellement nous comprendrions mieux le sens et rôle des progrès matériels, mais ils ne seraient plus aussi nocifs. Nous nous débarrasserions des inutiles. Disons que nous serions proches de la providence, plus naturellement.
    ( ce mot un peu à côté du débat, probablement )

  2. Loin de moi l’idée de mettre du l’huile sur vos disputes digitales mais j’aimerais tout de même corriger une idée reçu que vous véhiculez. Vous dites “Nous ne le savons pas, mais l’alchimie en question ne se serait pas produite sans la proximité, de notre fait, de cette espèce de chauve-souris aux habitats humains.”

    En réalité, il en fut ainsi depuis la nuit des temps… et quand je parle de la nuit des temps, je n’exagère pas. La plupart des maladies infectieuses sont originaires du contact de l’homme avec des animaux et certaines études font remonter les premières souches de tuberculose à 3 millions d’années par exemple. Les choses se sont accélérées avec le passage d’un mode de vie de chasseur-cueilleur à la sédentarisation avec l’élevage des animaux…

    Changer un certain nombre de paradigme dans notre société pour baisser nos émissions de CO2, c’est pertinent et nécessaire. Changer nos civilisations avec comme objectif de ne plus avoir de virus à couronne, c’est une chimère.

    1. Méfions nous cher Monsieur d’un type d’argument souvent employé pour le climat : il y a toujours eu des changements, ce n’est qu’un changement de plus. Non,l’actuel changement climatique est hors norme eu égard au passé de la Terre ; l’augmentation de la température moyenne que nous connaissons est en effet d’une rapidité extrême. De même pour le vivant, l’actuel rythme d’érosion de la biodiversité et l’actuel effondrement de nombre de populations sont aussi hors normes. Certes les zoonoses ne datent pas d’aujourd’hui, mais leur augmentation récente est inséparable des phénomènes évoqués.

      1. La pression sur notre environnement est surtout le résultat d’une démographie galopante… qu’il faut nourrir, loger, etc.

        Comparée à certaines pandémies passées, cette dernière est peu létale et relativement bien maîtrisée. D’autres ont eu un impact nettement plus massif alors que notre civilisation exerçait une pression et une occupation géographique infiniment plus réduite.

        Ces derniers temps, je lis et entends beaucoup de discours sur les changements qu’il faudrait… mais aucun est chiffré ou concret. On est dans une approche tautologique du sujet.

        Je suggère une petite intervention d’un Sénateur français qui est pleine de bon sens.

        https://youtu.be/ZHmb_gQIejo

        1. La pandémie actuelle est faiblement létale mais sollicite fortement les systèmes de soin en raison des symptômes provoqués. Un pur fait du hasard des mutations des gènes du Covid dans son passage aux êtres humains. La démographie est un problème et une des causes des atteintes à la biodiversité, chaque être humain requérant une certaine surface pour se nourrir, régénérer son air et son eau. Mais ce n’est pas la principale, qui est le niveau de richesses matérielles, et donc les flux d’énergie et de matières provoqués par nos niveaux de vie. Les 10 % les plus riches de la planète émettent la moitié des gaz à effets de serre mondiaux, alors que les 50 % le plus pauvres n’émettent que 10 % de ces gaz. Concernant les flux de matières, les consommations d’un Américain exigent des flux sous-jacents de 25 tonnes de matières, celles d’un Suisse de 20, et d’Africain de 5 au maximum. Quant aux “solutions” chiffrées, elles ne manquent pas : par exemple pour le CO2, réduire de plus de la moitié les émissions mondiales dans la décennie (GIEC). Etc. Je vous renvoie par exemple à notre manifeste, “Retour sur Terre. 35 propositions”, à paraître aux Puf à la mi-juin. Des propositions qui ne vous enchanteront probablement guère.

          1. Je n’ai pas la même lecture que vous des événements que nous sommes en train de vivre mais ce n’est pas grave.

            J’ai lu en diagonale les 35 mesures et peine à voir celles qui seront adoptées et qui réduiront concrètement les émissions de CO2. Que voulez-vous démontrer en comparant la consommation de matière entre les américains, nous et les africains? Vous pensez que la faible consommation des africains est un choix, une volonté ou un exemple à suivre? Le continent espère une seule chose: vivre comme nous… et ils y travaillent avec tous les aspects positifs et négatifs que ça sous-entend.

            Enfin, la question n’est pas de savoir si vos propositions m’enchanteront ou non. Je suis heureux de vivre dans une démocratie et me plierai volontiers (ou en ronchonnant) aux choix de la majorité. Toutefois, ma “crainte” est plutôt liée aux propositions qui sur la forme semblent bonnes ou paraissent attrayantes mais qui demandent des sacrifices/efforts importants pour un résultat très éloignés des objectifs initiaux.

          2. C’est toute la difficulté de la passe dangereuse où nous sommes, effectivement.

    2. Disputes “digitales”? Voulez-vous dire que les protagonistes se montrent du doigt?

  3. Cher Monsieur,

    Moi-même profondément offusqué par les propos déplacés, simplistes, tendancieux et sans substrat autre que sa propre foi du Sieur Nantermod, je m’apprêtais moi aussi à lui répondre quand je suis tombé sur votre belle diatribe – bien meilleure que tout ce que j’aurais pu écrire. C’est donc peu dire que j’y souscris, vous remercie et vous soutiens sans réserve sur tous les plans de votre propos.
    D’autres apôtres de la croissance sans limites dans le saint Graal de l’économie de marché mériteraient également d’être ainsi confrontés à leurs limites et à celles de nos ressources.
    Je pense par exemple à Monsieur Ram Etwareea, qui écrit dans le Temps, pour lequel la notion même d’environnement terrestre et de liens juste possibles entre les activités humaines et ce que nous vivons actuellement dans cet environnement semblent hors de sa sphère de pensée.
    D’autres, de manière plus subtile, réussissent le tour de force, comme notre Bertrand Picard national, de signer un manifeste (4 mai) avec les grands patrons de ce monde pour une relance durable (et surtout rentable) grâce aux nouvelles technologies qui résoudront tous nos problèmes, comme chacun ne devrait pas en douter ET, le lendemain 5 mai, toujours dans le Temps, de cosigner au sein d’un collectif de 120 scientifiques (en est-il un d’ailleurs notre bon psychiatre?) un manifeste d’opinion posant comme établie la relation entre pandémie et l’envahissement du monde par les hommes et leurs activités destructrices. On peut donc être psychiatre et avoir une pensée schizoïde.

  4. Dommage, un texte magnifique, plein de bon sens et de vérité mais presqu’un peu trop compliqué s’il s’agit d’une réponse à Monsieur Nantermod. C’est carrément en dehors de sa sphère de compréhension, hélas, pas assez de chiffres, trop de lettres.

    1. Des chiffres et des lettres, j’ai pensé un peu comme vous.

      Mais M. Bourg a été blessé, ce que l’on peut comprendre avec un mulet valaisan aux ordres couchepinesques.

      Comme quoi, la communication n’est pas chose aisée et le sera de moins en moins.
      Entre les Fakes qui ne sont qu’une rioule face aux gros groupes médiatiques… bonne chance!

  5. Monsieur Bourg, et précédemment monsieur Simondin, tous deux professeurs de philosophie émérites, répliquent respectivement le 7 et le 10 mai dernier à un billet de monsieur Nantermod paru le 4 mai dans les Opinions du Temps.
    Un point commun à ces deux réactions: les deux professeurs, oubliant curieusement que le jugement ad personam est sans valeur et discrédite ses auteurs, traitent, entre les lignes, monsieur Nantermod de demeuré.
    Monsieur Nantermod est une personne intelligente. Les deux professeurs devraient s’interroger sur les raisons qui ont conduit monsieur Nantermod à citer nommément monsieur Bourg dans son billet. Les amateurs de sport halieutique comprendront.

    1. Sortons de la cour d’école cher Monsieur, je vous prie. Premièrement j’ai répondu à une attaque à l’ironie déplacée, hors toute argumentation sérieuse. Deuxièmement, j’ai répondu factuellement à l’argument concernant l'”avertissement de la nature” et tout aussi factuellement à celui concernant Gaïa.

    2. Ayant connu le personnage que vous citez, je peux vous assurer qu’il est plus proche du qualificatif que vous découvrez entre les lignes de ces deux professeurs que de celui d’érudit ou d’homme d’état !
      Comparez les vrais hommes d’Etat que le peuple Suisse a connu il y a quelques décennies avec ce personnage vous permettra de bien comprendre le sens “entre les lignes” de ces deux professeurs.
      L’incompétence fait force de loi dans son milieu, nul doute qu’il en est le chef d’escadrille …
      Nous pouvons que remercier Monsieur Bourg de son billet, il nous éclaire sur bien des choses .

      1. Merci Monsieur et à M. Bourg pour vos répliques on-ne peut plus justifiées. Je ne peux effectivement qu’abonder dans votre sens dans la mesure où le politicien concerné prétend, notamment, être le digne représentant de la défense des consommateurs à Berne (via la FRC, dont je suis membre, mais pas toujours d’accord avec certaines de ces politiques à Berne, dont celui de la consommation outrancière occidentale via l’obsolescence programmée des appareils, pour ne donner qu’un exemple dont les résultantes scandaleuses environnementales et sociétales sont largement connues) alors que j’attends toujours une preuve irréfutable et écrite de ses actions à ce niveau depuis env. 2 législatures. Je crois que je peux encore attendre belle lurette.
        Dans ce contexte et celui de la dégradation de notre environnement naturel, il ne faut plus se fier aux politiciens, car à mon sens endoctrinés dans leur démagogie personnelle et politico-financière (voir les avantages du lobbying à Berne…), mais bien plutôt aux scientifiques, en particulier ceux possédant un impact médiatique certain. Et là je ne peux que m’étonner toute de même – je suis géologue de formation, possède certaines connaissances notamment dans l’évolution du climat et celle géologique de notre planète – du peu d’engagement de certains/certaines, notamment dans ce pays, face aux graves problèmes environnementaux actuels et surtout face au nombre croissant de mensonges à ce sujet provenant notamment des milieux en copinage industriels et politiques. Personnellement, je n’en vois que très peu – demander un engagement aussi remarquable que celui de M. Bourg serait un rêve – , peut-être parce qu’un tel engagement implique un acte citoyen trop visible vis-à-vis de la société qui pourtant les finance. Il y donc encore du boulot devant nous.

    3. Si le jugement ad personam est sans valeur et discrédite son auteur, que conclure quand vous dites que M. Santernod est “une personne intelligente”? Restant entièrement à l’écart de l’argument en m’en tenant au formalisme logique, je propose que vous reformuliez votre intervention ainsi:
      “Le jugement ad personam défavorable discrédite son auteur; le jugement ad personam favorable lui donne du crédit”.
      Simple question de logique, simple question de logique…

  6. Je viens de lire votre interview polémique et l’article de M. Nantermod. Je pense qu’il a raison l’élu fédéral, pour une simple raison; vous étiez joyeux sur la photo en expliquant la baffe absurde que Mother Nature nous a flanquée d’après vous alors que les victimes mourraient d’asphyxie. Vous vous êtes réjouis de ce qui arrive, et ça ce n’est pas bien du tout. Je vous suggère de faire marche arrière, et de nous prier de vous excuser, au lieu de vous enfoncer davantage dans l’absurdité.

  7. Votre colère à l’égard de Philippe Nantermod vous conduit à une sorte de discours éthéré du genre quelle est l’écologie la plus écologique ? ou la philosophie la plus philosophique ? Bon, je caricature. Cela rappelle les disputes sur le sexe des anges, et cela ne fait qu’augmenter la confusion. Mais quelle confusion !
    Il serait plus utile de mettre sur la table des propositions concrètes en réponses à des problèmes concrets. Et d’en débattre. Pas de s’insulter.
    Suivons les idées de l’écologie politique, en décodant, et en cherchant la vraie musique derrière les idées éthérées. Cas du climat : l’écologie politique pense d’abord qu’il s’agit d’une crise très grave, comme celle du covid-19. Ensuite l’écologie souhaite logiquement appliquer la même stratégie de lutte, à savoir a) déclarer l’état d’urgence et b) nanti des pleins pouvoirs, l’état doit décider des mesures radicales, en clair : l’interdiction de toute consommation de pétrole et de ses produits dérivés. Dito bien sûr pour le gaz et le charbon.
    Sur le fond : il est évident, pour le commun des mortels, que la menace de millions de morts en quelques semaines par le covid-19 est d’un autre ordre de grandeur que la menace du réchauffement climatique (+2 degrés, incertains et sur des dizaines d’années). Malheur pourtant à celui qui ose le dire. Il est aussitôt traité d’analphabète ou d’hérétique.
    Il serait très intéressant de voir aussi les réactions de la société à ces propositions très concrètes : interdire le pétrole, sans délai, sans laisser à la recherche le temps de développer des solutions de rechange. Il n’y aurait pas besoin de beaucoup d’explications, chacun comprendrait très vite les conséquences pratiques… La décroissance drastique induite par le confinement actuel, la perte de qualité de vie et les souffrances qui en découlent, ne seraient en comparaison qu’un pâle échantillon.
    Cependant ces propositions ne sont pas formulées aussi clairement, je dirais aussi brutalement. Prudence et stratégie obligent. Mais voilà que Philippe Nantermod, avec intelligence (Pierre Jacquot a raison), court-circuite tout cela en disant ouvertement ce qui lui fait peur dans les propositions de l’écologie politique. Sa peur concrète qui est assez proche ce qui vient d’être dit : l’état d’urgence, les pleins pouvoirs et la mise hors la loi dans des délais brefs de tous les agents fossiles. Il ne l’a pas dit, mais on peut aussi deviner : l’interdiction du pétrole et ses cousins, ne serait que la suite d’interdictions déjà acquises comme le nucléaire, les OGM, le glyphosate, … Devraient suivre ensuite la condamnation du progrès scientifique et l’économie libérale : à la poubelle aussi…
    Et toute l’écologie politique de hurler au scandale. Le seul tort de Monsieur Nantermod n’est au final que de dire ouvertement ce qui lui fait peur dans l’écologie politique et d’en dévoiler les vraies intentions au grand jour, masquées qu’elles sont, ces intentions, par les fumigènes de la rhétorique.
    Je comprends et partage les peurs de Monsieur Nantermod. Les blogs de Messieurs les professeurs Dominique Bourg et Arthur Simondin ne me rassurent pas.

    1. Monsieur vous semblez partager avec Monsieur Nantermod la même méconnaissance des questions écologiques (biodiversité, climat, ressources). Pour ne citer que le climat, les ordres de grandeur n’ont rien à voir avec le Covid, ni en termes de létalité, ni en termes de profondeur temporelle (la simple pollution de l’air tue en France en un an, pour l’heure, plus que le Covid ; et ce chaque année). Vous avez sur ces questions des milliers de recherches, de données. Tant que vous les ignorerez votre peur et celle de votre ami resteront exclusives. Vous avez raison d’avoir peur pour le maintien de cette économie destructrice des grands équilibres du système Terre, puisqu’elle détruit elle-même ses propres conditions de possibilité. Elle sera à cet égard beaucoup plus efficace que tous les écologistes politiques.

  8. Excellent billet, bonne distinction sur l’intentionnalité de la Nature, prise à la lettre par quelqu’un de mauvaise foi.
    A mon sens Monsieur Natermod joue au crétin, c’est un cynique.
    Le vrai message est : “Laissez-nous faire nos affaires, sinon on vous salira et tous les moyens seront bons.”
    Courage ! La vérité triomphe toujours ! Toujours !
    L’opinion est en train de basculer.

  9. Vous évoquez ma méconnaissance de l’écologie, en particulier des ressources. Dont acte. J’ai cependant sur la question des ressources une histoire qui vous concerne. Je profite de cette perche que vous me tendez pour la raconter. Il y a longtemps, j’étais jeune chercheur au PSI (institut annexe des EPF, dédié à l’énergie) et j’y avais suivi un cours de cosmologie donné par le professeur Taube. Dans un exercice, il nous avait fait faire une évaluation des limites des ressources de la planète. Contre toute attente, l’analyse montrait que si la finitude des ressources était bien réelle, l’humanité disposait encore d’une bonne marge de croissance. Marge établie sur la base de bilans multiples liés à l’énergie, la nourriture, les matières premières et l’écologie. Cette marge a une conséquence politique et sociale importante : elle permet d’envisager encore une amélioration du niveau de vie des plus démunis, catégorie de population qui existe aussi dans notre pays, et cela sans faire « sauter » la planète. Par la suite, j’ai continué à suivre les débats sur ce thème, qui m’intéressait beaucoup à la fois professionnellement (prospective en lien avec la production d’électricité) et académiquement (membre de la commission Énergie de l’Académie suisse des sciences techniques). J’ai constaté que la plupart de déclarations sur la finitude des ressources, allaient dans tous les sens, depuis les visions les plus catastrophistes recommandant en sommes une euthanasie de la civilisation, jusqu’à des visions à l’inverse totalement insouciantes selon lesquelles le marché serait de lui-même la solution à toutes les pénuries, en passant par la confiance totale dans l’inventivité humaine, considérée comme illimitée… Le point central était que de toutes ces déclarations, plus péremptoires les unes que les autres, aucune ne s’appuyait sur de l’analyse. Il n’y avait que des actes de foi. La finitude des ressources et probablement le problème le plus sérieux de la civilisation moderne. Il englobe les autres problèmes majeurs comme le climat, l’énergie, l’agrochimie, l’environnement, etc… Je tombe alors sur l’annonce d’un séminaire sur ce thème organisé par la Faculté des Géosciences et de l’Environnement de l’UNIL. Je vais le suivre. Grande surprise. Un slide résumait le message du séminaire. Il disait : « Sachez que cette question, la finitude des ressources, n’est pas technique, elle est … morale ! ». Surprise et déception : je cherchais une analyse solide pour en savoir plus sur les limites des ressources, et l’UNIL répondait en clair : « Nous les scientifiques, nous ne ferons pas de science sur l’état des limites des ressources de la planète (pas d’analyse, puisque c’est technique), nous ferons de la morale ! ».
    Je récuse cette morale. C’est une morale de pharisiens. Par la suite j’ai cru comprendre, Monsieur le professeur Bourg, que vous avez été longtemps le leader charismatique de cette faculté, si vous ne l’êtes pas encore. Cette morale, c’est la vôtre semble-t-il, on la reconnaît dans nombre de vos prises de positions. Avez-vous enseigné ou endoctriné ? Je ne dis pas que toute morale soit mauvaise ou inutile. Il en faudra probablement pour prendre des décisions politiques. Mais il faut bien en préalable évaluer si notre marge de manœuvre est positive, nulle ou négative. Les implications politiques – et les considérations morales – ne seront pas les mêmes. Mais cette évaluation de la « marge de manœuvre » est de nature scientifique et exige une analyse, voire des analyses multiples et contradictoires. Propager l’idée que la morale doive écarter et remplacer l’analyse des réalités scientifiques, est, je pèse mes mots, très grave. Au surplus une telle idée ne devrait pas avoir sa place dans une université. Dans certaines églises peut-être, mais pas dans une université. Circonstance aggravante : cette idée semble ne pas faire l’objet d’un vrai débat, l’UNIL en fait plutôt un fil rouge. Je comprends que l’essentiel de votre morale, Monsieur Bourg, est de dénoncer deux menaces sur le futur de notre planète : 1) le progrès scientifique et 2) l’économie. Je pense que ces deux « dimensions » de la civilisation ne sont pas le Bien ou le Mal en soi. Ce sont des outils à disposition, dont il s’agit de faire un bon usage : une utilisation intelligente vaut bien mieux qu’un refus aveugle. Car c’est l’usage qu’en fait l’humanité qui est déterminant. Deux attitudes extrêmes sont à cet égard aussi inadéquates l’une que l’autre : diviniser ou diaboliser. Votre morale Monsieur Bourg est dans l’un de ces extrêmes : vous diaboliser la science et vous diaboliser l’économie. En fait vous diabolisez l’intelligence.
    Bien sûr que la science et l’économie ne sont pas les seules dimensions utiles qui caractérisent l’activité humaine. Par exemple la philosophie et une autre dimension : elle peut grandement contribuer à la recherche intelligente du bon usage de la science et de l’économie. Mais en diabolisant la science et l’économie, vous dégradez la philosophie en une mauvaise morale.
    Je vous recommande cette vidéo du sénateur français et médecin Claude Malhuret. Dans une prise de parole du 4 mai 2020 il fait un bilan de la pandémie et des réactions sociales et politiques avec une hauteur de vue stimulante. Sur la responsabilité de l’économie il a ce mot : « … tout le monde sait que Périclès mort de la peste en 429 av. JC, ou St Louis mort du même mal en en 1270, n’avaient jamais ne serait-ce qu’entendu, les mots de capitalisme et de libéralisme… » (dès 1 :45) : https://www.youtube.com/watch?v=ZHmb_gQIejo&feature=youtu.be
    Et si, contre toute attente, une analyse scientifique des causes possibles de la pandémie vous intéresse quand même, je vous recommande cet article de Jean-Paul Krivine président de l’AFIS (Ass. Française pour l’information scientifique) : https://www.afis.org/Coronavirus-une-punition-divine .

    1. Réponse à quelques éléments objectifs. La question des ressources se pose différemment en fonction de la ressource envisagée. Pour le fer et l’aluminium, par exemple, c’est entre 5 et 10 % de la croûte terrestre, il y a donc de la marge. Toutefois, plus vous devez creuser profond, et plus vous devez par ailleurs extraire de matière pour une même quantité de métal, plus vous utilisez d’énergie et plus l’impact sur les écosystèmes est élevé. Le problème est donc relatif, et non absolu. Maintenant, si vous imaginez un taux de croissance de 2 % sur le temps long, à l’échelle de 6 millénaires, selon le calcul du physicien Gabriel Chardin, un tel taux aboutirait à une destruction de la galaxie dans un rayon de 10 milliards d’années-lumière. Quels économistes lisez-vous ? Enfin, je ne sais d’où vous tirez vos sources pour vos questions de morale sur le site de l’Unil ? Simple remarque : la finitude des ressources est tout autant une question physique que morale. Le consumérisme qui tire la consommation physique de ressources est au moins pour partie une question de morale, et même spirituelle, relative à une conception particulière de l’épanouissement de la condition humaine.

  10. ERRATUM
    Je me permets d’indiquer 3 erreurs typographiques, en vous remerciant si vous pouvez les corriger

    Dans ce passage “diabolisez” avec z pas avec r (deux fois):

    Votre morale Monsieur Bourg est dans l’un de ces extrêmes : vous diabolisez la science et vous diabolisez l’économie. En fait vous diabolisez l’intelligence.

    Dans ce passage: … la philosophie est une autre dimension (est au lieu de et)

    Bien sûr que la science et l’économie ne sont pas les seules dimensions utiles qui caractérisent l’activité humaine. Par exemple la philosophie est une autre dimension :

    JFD

    1. Puisque vous vous situez également dans l’autre extrême – celui de diaboliser et définir tout avis opposé au vôtre comme étant extrême -, mon humble avis personnel et de scientifique (géologue et naturaliste) est effectivement que l’ennemi de la vie même sur cette planète et dont fait partie notre espèce, est bel et bien l’économie, en particulier les marchés financiers et boursiers qui vont indubitablement mener à notre perte, mais pas forcément celle de la vie générale (les nombreuses extinctions qui se sont déroulées dans l’histoire géologique de notre planète ont clairement démontré que seules les espèces moins ou peu évoluées ont réussi à survivre et redévelopper la vie, car beaucoup plus flexibles à tout changement environnemental, ce qui est tout le contraire de l’Homo destructans destructans (je refute le qualificatif de Sapiens Sapiens pour les raisons précitées et du fait qu’il symbolise le caractère même egocentrique de notre espèce au regard de sa propre classification linnéenne) !! Il y a donc de quoi être positif pour notre planète.

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