Armée suisse: y a-t-il un communicateur dans l’avion?

Les Suisses ont voté pour la première fois depuis longtemps contre un sujet soutenu par leur armée. Soit, mais que faire de ce constat? Pour le clan des perdants, il y a deux manières de réagir: fustiger le manque de clairvoyance du souverain et les arguments fallacieux des opposants, ou faire preuve d'autocritique afin d'être plus convaincant la prochaine fois.

Si le peuple n'a pas suivi l'avis des stratèges militaires de la Grande Muette, n'est-ce pas précisément parce que les arguments de ces derniers n'ont pas réellement été communiqués? Pour ma part, je n'ai entendu qu'une chose dans la campagne pro-Gripen: la Suisse a besoin de nouveaux avions et le Gripen est le meilleur choix. C'est comme ça et de toutes manières, la stratégie militaire, c'est trop compliqué pour être expliqué à Germaine et Marcel! Un bel exemple de communication, n'est-ce pas?

Communiquer, c'est dialoguer, expliquer, pour convaincre. Ce matin encore, sur les ondes de la radio romande, un défenseur de notre défense nationale affirmait de manière péremptoire qu'une armée sans aviation, c'était le début de la fin. Mais sans une once d'explication pour étayer son assertion. Le peuple est-il vraiment trop stupide pour comprendre l'équilibre nécessaire entre armée de terre et armée de l'air? Plutôt que de tenter de démontrer la sophistication technologique du chasseur suédois face à ses détracteurs, n'y avait-il pas lieu d'expliquer les rudiments du concept de défense nationale? Décrire la complémentarité des troupes aériennes et terrestres aurait certainement permis de limiter le risque d'un vote épidermique. Aujourd'hui, on a un peu l'impression que les Suisses ont voté pour ou contre le caricatural Ueli Maurer.

André Blattmann, chef de l'armée, a été officier instructeur de défense anti-aérienne (DCA) à Payerne et il a laissé de plutôt bons souvenirs à ceux qui l'ont eu comme supérieur. Certains d'entre eux se demandent peut-être si les Stinger – sortes de bazookas terriblement efficaces lançant des missiles contre avions – dont la Suisse est couverte ne suffisent pas à protéger notre espace aérien. Qui, mieux que le commandant de corps Blattmann, aurait pu éclairer le débat à cet égard? Les partisans du Gripen auraient pu décrire quelques scénarios d'engagement des avions de chasse, sans pour autant dévoiler des stratégies évidemment confidentielles. Le débat n'a pas vraiment eu lieu ou, du moins, pas sur des bases pertinentes.

Contrairement à ce que certains laissent entendre, le peuple n'a pas voté contre l'armée. Il y a plus de votants qui se sont exprimés contre le Gripen que d'Helvètes souhaitant supprimer notre défense nationale. Mais le résultat du scrutin doit impérativement engager l'armée à repenser sa manière d'interagir avec la population, au risque d'accélérer le processus de démobilisation que d'aucuns espèrent. Cela passe certes par le choix de porte-paroles charismatiques et convaincants, mais cela doit débuter par une sincère volonté de dialogue.

Daniel Herrera

Daniel Herrera a été responsable des relations publiques de Nestlé Suisse, puis DirCom de la BCV, de l’America’s Cup, de Romande Energie et de Kudelski. Il a fondé et dirigé YJOO Communications Lausanne de fin 2011 jusqu’à mai 2014 et il est responsable de la communication institutionnelle du Groupe Assura depuis juin 2015. Ses dadas: accompagnement du changement, relations médias, événementiel et communication de crise.