(ce billet fait partie d’une série en cinq parties où je détaille les principales transformations induites par blockchains et crypto-monnaies)
C’est la plus visible des disruptions, et elle est même quantifiable : la “DeFi”, ou finance décentralisée, pèse aujourd’hui 2 milliards de dollars.
Stricto sensu, la DeFi correspond à des choses précises : des protocoles numériques et des applications décentralisées (dApps), fonctionnant uniquement via des blockchains et offrant des services financiers nouveaux, sans intermédiaires, sans confiance (trustless), basés sur les mathématiques et la programmation.
Il existe plusieurs dizaines de ces applications. Les plus populaires offrent des mécanismes automatisés de crédit et d’emprunt entre personnes, comme Compound, Maker ou Aave. Concrètement, un crédit s’obtient de façon quasi instantanée, sans paperasse ni vérification, souvent même sans avoir à s’identifier ou à créer un compte. Les emprunts sont consentis selon des règles mathématiques codées dans les protocoles (smart contracts), le plus souvent avec des systèmes de garanties collatérales en crypto-monnaies. Commencent également à apparaître des outils financiers plus sophistiqués, notamment de trading de produits dérivés (derivatives).
Avec la DeFi, les mécanismes et processus habituels – notamment les interventions humaines – sont donc remplacés par des algorithmes, des crypto-monnaies et des blockchains.
Bien sûr, on peut considérer que les montants en jeu sont encore faibles, une goutte d’eau dans l’univers de la finance traditionnelle. Mais on peut aussi constater que, par simple bouche à oreille et selon une croissance purement organique, ces services par essence disruptifs se développent rapidement, ne sont déjà plus négligeables, et connaissant un essor considérable.
Au cours des deux derniers mois (mai-juin), les sommes “investies” (ou en quelque sorte “stockées”) dans les smart contracts des applications DeFi ont été multipliées par deux. Depuis janvier, le nombre de transactions sur Ethereum, sur lequel repose les principaux protocoles de la DeFi, a été multiplié par trois. Au 2e trimestre 2020, le nombre d’utilisateurs actifs sur Ethereum a lui aussi doublé – et la DeFi représente 97% des transactions en montants.
Innovation décentralisée
Un emballement, une nouvelle bulle spéculative ? Peut-être. Mais l’important n’est pas là. Les acteurs de la DeFi expérimentent, inventent, innovent, à un rythme et dans une effervescence quasiment sans précédent. Le nombre et la diversité des applications DeFi bouillonne, au point que certains spécialistes évoquent une “explosion cambrienne” de la finance.
Et cette nouvelle finance repose en partie sur de nouveaux types de monnaies, les “stablecoins” : tous les avantages des crypto-monnaies, la stabilité monétaire en plus. Sept stablecoins affichent une capitalisation de plus de 100 millions de dollars, et deux pèsent plus d’un milliard de dollars.
Onze ans après la création de Bitcoin, six ans après le lancement du protocole Maker qui produit — mathématiquement — l’une des crypto-monnaies stables les plus utilisées aujourd’hui (DAI), plusieurs pays commencent seulement à s’intéresser à ces mécanismes et ne cachent plus leur envie de les copier. L’année dernière, le gouverneur de la Banque de France surprenait en admettant qu’il “observe avec un grand intérêt les initiatives du secteur privé, qui visent à développer des réseaux au sein desquels les ‘stablecoins’ seraient utilisés pour des transactions impliquant des sécurités liées aux tokens, ou des biens et services”. Et la France pourrait “expérimenter une monnaie centrale digitale“ dès cette année.
Pour l’heure, l’innovation est du côté des start-ups et des développeurs indépendants. Tous ces protocoles et ces services sur blockchains peuvent se combiner, s’enrichir mutuellement, se mixer à l’infini. De nouveaux outils apparaissent, comme des porte-monnaie Ethereum qui intègrent de façon native plusieurs protocoles de la DeFi, devenant accessibles d’un clic (Argent ou Bitpie, par exemple). D’autres développent des interfaces simplifiées, permettant d’interagir avec plusieurs protocoles et applications sans quitter le même écran (InstaDapp, Zerion) ou même de les combiner comme des briques de Lego.
Le tout s’inscrit dans une évolution plus vaste. Les protocoles particuliers de la DeFi s’ajoutent à l’écosystème déjà très riche des crypto-monnaies : près de 6000 crypto-monnaies cotées sur les marchés (pesant 250 milliards de dollars à ce jour), des dizaines de crypto-banques, des centaines de bureaux de change ou de services de comptes rémunérés en cryptos… Et beaucoup de ces services atteignent des tailles critiques : en avril la crypto-banque Wirex se félicitait d’avoir franchi le cap de 3 millions d’utilisateurs ; début juin, BRD, l’un des premiers porte-monnaie Bitcoin sur mobile, notait une accélération de son adoption, pour atteindre bientôt 5 millions d’utilisateurs. Même constat chez les gros investisseurs : depuis janvier 2020, le nombre d’entités possédant plus de 1000 bitcoins a progressé de 20%, pour atteindre son plus haut depuis trois ans. Une accumulation qui suggère un fort intérêt institutionnel pour la monnaie décentralisée.
Tokens, crypto-monnaies, dApps et protocoles décentralisés sont bel et bien en train de changer la donne. La finance de demain se construit sous nos yeux — et elle sera bâtie sur des blockchains.
Les conséquences les plus immédiates de cette disruption apparaissent déjà. Certains intermédiaires, à commencer par les banques et les sociétés de courtage, sont sinon remplacés, du moins contournés. L’utilisateur gère son argent depuis son propre porte-monnaie, sans avoir à le confier à une entité ou une organisation quelconque. Epargne, investissement, paiements, crédit ou trading se déclinent à l’aune de tokens et de crypto-monnaies, sécurisés par des blockchains. L’argent ne se stocke plus uniquement sur des comptes, il est aussi abrité dans du code informatique – et ce code établit les taux d’intérêt et influence les cours.
L’argent devient programmable.
de la poudre aux yeux , la blockchain n’est nullement à l’abri des fraudeurs , ni des hackers , ni des bugs, …
Croire en la panacée n’est qu’un vieux rêve de pauvres naïfs !
@ hubert
C’est evident que les banques par contre, en plus des tonnes de frais cachés et additionnels , c’est beaucoup plus sur et non hackable. Ah ben en fait non.
Bon résumé. Pour ceux qui souhaitent approfondir les enjeux de la finance décentralisée nous avons publié une étude dédiée, gratuite, chez Blockchain Partner (https://blockchainpartner.fr/comprendre-open-finance-definition-usages-enjeux-perspectives/). Sujet passionnant qui ne fera que “monter”…!