Aux marges de la ville, tout recommencer

Plaquer son travail et démarrer un projet en nature, qui n’y a pas songé? Qu’il s’agisse d’un proche, d’une connaissance ou bien d’un article lu dans un magazine lifestyle, nous pourrions tous raconter l’histoire d’un tel reconverti en apiculteur ou de cet autre devenu berger après avoir quitté sa vie de bureau. Ces récits fascinent autant qu’ils effraient.

Mais, comment quitte-t-on son travail et la sécurité d’un contrat à durée indéterminée sans agir sur un coup de tête? Dans un contexte d’urgence environnementale, comment construit-on un projet alternatif plus respectueux de la nature et durable? Comment (sur)vit-on financièrement? Combien de temps doit-on persévérer jusqu’à ce que notre projet réussisse? Et que se passe-t-il s’il ne fonctionne pas? A quoi sommes-nous prêts à renoncer pour changer de vie? Enfin, comment se connecte-t-on à la nature sans se déconnecter du reste? 

En février, avec toutes ses questions en tête, j’ai fait le grand saut. Pour autant que l’on prépare pareille transformation, il est difficile d’anticiper ce qu’il va arriver. Les doutes persistent et font, bon gré mal gré, parti de l’aventure. Le blog “Semer la ville” a pour objectif de raconter cette expérience et les étapes concrètes de ce retour à la nature, si tant est qu’il s’agisse d’un “retour”.

Retourner à la terre, génération 4.0 

Car ce projet n’est pas le premier dans son genre et certainement pas le dernier à faire cette échappée hors la ville. Les pionniers de ce mouvement ont battu les sentiers de la campagne dans les années septante déjà. Et depuis, plusieurs vagues néo-rurales ont emportées aux marges de la vie urbaine des hommes et des femmes prêts à tout recommencer. Si chacune de ses vagues s’est inscrite dans un contexte historique particulier, des points communs sont pourtant saillants. Aujourd’hui, nous parlons de quête de sens, de décroissance et de l’importance de déconnecter. Antan, on rejetait les modes de production agroalimentaire et la robotisation toute récente du travail. Des post-soixante-huitards aux high-tech nomades, ils aspirent à revitaliser une activité humaine au milieu et en adéquation avec la nature.

Néorural,
nom et adjectif:

Se dit de quelqu’un (d’origine urbaine) qui s’installe dans des zones rurales en voie d’abandon pour se lancer dans des systèmes de production se prêtant à une exploitation communautaire.

En m’aidant à déterminer le titre de ce blog, mes collègues sont aller bon train. Non contente de les voir inspirés – et d’ailleurs un grand merci à Philippe Simon, Caroline Christinaz et Catherine Cochard -, ils évoquèrent Raymond Quenaud “Courir les rues” et “Les chemins noirs” de Sylvain Tesson. J’y reconnais ma démarche dans ces mots:

“Orchestrer le repli me semblait une urgence. Les règles de cette dissimulation existentielle se réduisaient à de menus impératifs: ne pas tressaillir aux soubresauts de l’actualité, réserver ses colères, choisir ses levées d’armes, ses goûts, ses écœurements, demeurer entre les murs de livres, les haies forestières, les tables d’amis, se souvenir des morts chéris, s’entourer des siens” Sylvain Tesson

Lorsque l’on a connu exclusivement la vie en ville, de la petite agglomération de Grenoble à la mégalopole ultra-connectée de San Francisco, de Lausanne à Rotterdam, il faut probablement d’abord apprendre à “semer la ville”, c’est-à-dire apprendre à lui échapper, lui fausser compagnie sans craindre qu’elle nous rattrape, sans craindre de trop nous éloigner d’elle non plus. C’est chercher cet équilibre entre soi, la ville et la nature. En somme, c’est tendre un fil invisible et jouer à tirer dessus pour découvrir jusqu’où l’on est prêt à aller. 

De Lausanne au Tessin

C’est ainsi que, moi, urbaine, diplômée d’un Master, habituée des terrasses, des afterworks et des vernissages, greffées à mon smartphone en moyenne deux à trois heures par jour, j’ai quitté les bureaux de la rédaction du Temps, à la production du quotidien, et mon confort urbain pour démarrer un projet d’agritourisme au Tessin. 

Autour de moi, les questions ont fusé. S’installer où et vivre de quoi? À combien de distance est la ville? Quelles sont les activités culturelles dans le coin? Y a-t-il internet? Étrangement, aucune question ne concernait le pourquoi. Est-ce à dire que cette démarche va de soi? Dans le passé, quitter l’enceinte urbaine faisait passer pour fou n’importe qui. La ville vidait les campagnes de leurs âmes, le rural, quant à lui, répugnait. Arriéré, rustre, isolé, disait-on. 

Aujourd’hui, après le phénomène du film “Demain”, ces initiatives coulent de source… mais jusqu’à une certaine mesure. Ainsi, entend-on “ton projet fait rêver, mais moi je ne pourrais pas”. Au final, à chacun d’évaluer où penche la balance. Pour moi, le constat était simple: l’obsolescence de mon poste, le stress constant des sollicitations et l’énergie qu’il aurait fallu à travailler une nouvelle compétence, vouée elle aussi à la désuétude sitôt acquise.

Si la plupart d’entre nous doivent régulièrement s’atteler à une nouvelle formation et l’acquisition d’une nouvelle technique, ne devrait-on pas orienter notre énergie et notre intelligence à l’apprentissage de connaissances immuables? La connaissance de la terre, des animaux et des saisons par exemple? Je laisse la question ouverte. Pour ma part, j’ai cédé à un sentiment d’urgence et le besoin de ralentir.

Et vous, seriez-vous prêt à tout quitter pour tout recommencer?