Ce que les sportifs ont appris grâce à la crise du coronavirus

La crise du coronavirus a transformé la relation que tous les sportifs, qu’ils soient amateurs ou pros, entretiennent avec l’exercice physique et la performance.

Les avions étaient forcés de rester au sol, les commerces fermaient, les voyages à l’étranger impossibles, dans certains pays, le confinement était imposé, mais les sportifs refusaient d’arrêter de s’entraîner.

Quand les piscines ont été fermées, les triathlètes de haut niveau ont installé des bassins dans leurs jardins et attachés à un élastique, ils ont imaginé des sessions d’entraînement. Les cyclistes se sont rués sur des applications pour rouler virtuellement en groupe, leur vélo installé sur un home trainer et leur regard fixé sur l’écran d’ordinateur. Les amateurs de course à pied ont participé à des défis consistant à parcourir plusieurs kilomètres entre leur salon, leur chambre à coucher et la cuisine ou à monter et descendre de façon répétée les étages de leur immeuble. Le Comité olympique a attendu plusieurs semaines avant d’annoncer sa décision de reporter les Jeux Olympiques. Le monde du sport faisait preuve d’une réaction qui s’apparentait presque à du déni.

 

Cela peut facilement s’expliquer par les qualités mentales que les sportifs et particulièrement les athlètes de haut niveau développent. La résilience, qui est la faculté de rebondir après un échec, la volonté, d’avaler des kilomètres sous la pluie ou de se lever pour s’entraîner alors que tout le monde dort, la ténacité, de ne pas abandonner et de franchir coûte que coûte la ligne d’arrivée, et la discipline, pour effectuer ses X sessions d’entraînement par semaine, au prix parfois de sa vie sociale et familiale.

À tout cela s’ajoutent la routine et l’habitude et leurs effets réconfortants et rassurants. Pas besoin de réfléchir à quoi faire ou une bonne manière de ne pas avoir à réfléchir, quand il faut courir, faire du vélo, aller au fitness.

Et pour monsieur et madame tout-le-monde, c’est l’occasion de voir du monde, de plaire et de flirter haltères en main devant les miroirs de la salle de sport, de refaire le monde à la fin d’un cours de Zumba ou encore de se plaindre de son partenaire pendant les 10 km du dimanche matin avec les potes. Faire du sport, c’est également un moment de liberté, un moment à soi, une échappatoire. Et l’occasion de créer des moments et des performances à partager comme des exploits sur les réseaux sociaux.

Et tout à coup, la pandémie nous privait de tout cela. Chacun a dû repenser sa relation au sport. Ou peut-être sa non-relation au sport. Cela a créé un déclic chez certains sédentaires qui, forcés à ne pas pouvoir bouger, ont eu tout à coup envie de se mettre à transpirer.

Quelle que soit la façon dont nous avons survécu à cette période, nous avons tous appris quelque chose. Et plutôt que de retourner à notre ancienne routine le plus vite possible, pourquoi ne pas intégrer les bons côtés qu’ont eu ces quelques mois ? Voici quelques idées. N’hésitez pas à partager dans les commentaires ce que la crise du coronavirus vous a appris en matière de sport et d’entraînement.

C’est possible de faire du sport à la maison

  • Faire du sport chez soi est un bon moyen de gagner du temps (déplacements, douche, attendre pour utiliser les équipements au fitness, etc.).
  • Les sessions de sport à la maison permettent de diversifier l’entraînement. Profitez d’être chez vous pour faire du gainage (Pilates, yoga) ou pour travailler l’endurance musculaire avec des poids plus légers et plus de répétitions.
  • Si vous avez des enfants, c’est une bonne occasion de partager un moment complice et amusant tout en initiant les enfants au sport. Il existe de très bonnes vidéos pour trouver des idées d’entraînement parents-enfants.
  • Pour ceux disposant d’un home trainer pour leur vélo, un entraînement mental et physique est assuré. Avaler les kilomètres virtuels de façon statique demande une bonne dose de motivation mentale avec à la clé une bonne session de condition et de transpiration. Si vous n’utilisez pas d’application virtuelle, regarder un épisode d’une série TV permet de faire passer le temps plus vite.
  • Nous avons tous des jours où nous ne voulons voir personne. Au lieu de renoncer à aller au fitness ces jours-là, profitez-en pour faire du sport à la maison.

 

Il n’y a pas d’heure pour faire du sport

  • Pendant la période de télétravail, vous avez certainement utilisé le sport comme un moyen de faire une pause ou donner un rythme à vos journées. De retour au bureau, pourquoi ne pas profiter de la pause de midi pour mettre vos chaussures de sport et aller courir.
  • Vous avez peut-être dû faire du sport très tôt le matin quand tout le monde dormait encore ou tard le soir quand tout le monde était couché. Nous sommes tous différents et si certains préfèrent se dépenser au saut du lit, d’autres sont plus performants dans l’après-midi ou en début de soirée. La crise du coronavirus nous a donné les moyens de découvrir les moments de la journée où nous nous sentons le mieux pour faire du sport.

 

C’est possible de faire du sport ailleurs que dans une salle de sport

  • Cela ne veut pas dire que vous devez résilier votre abonnement de fitness, mais pourquoi ne pas faire quelques entraînements par semaine chez soi, en forêt, au bord du lac ou dans les parcs. C’est un bon moyen de diversifier ses entraînements et en même temps de respecter les distances sociales recommandées.
  • Les trajets au travail peuvent être transformés en activités physiques, pas nécessairement en visant la performance, mais plutôt sous une forme de sport pour le plaisir. Vous pouvez par exemple descendre du bus ou du tram quelques arrêts plus tôt et marcher. Ou pourquoi ne pas troquer votre voiture contre un vélo si la distance et les conditions le permettent.

 

Le sport pour le plaisir

  • Pour beaucoup, la motivation de faire de sport réside dans la possibilité de se mesurer contre les autres lors d’une compétition. C’est une source intrinsèque et nécessaire. L’annulation de toutes les courses nous a permis de refaire du sport pour le plaisir de sentir ses muscles travailler, de transpirer et de vivre cette sensation de bien-être après l’effort.
  • Lorsque les calendriers des compétitions seront publiés et que vous reprendrez les entraînements en vue d’y participer, rappelez-vous les bons moments que vous avez vécus sans la pression du résultat et essayez d’inclure quelques sessions d’entraînement par semaines plus basées sur le plaisir et les sensations que la performance pure.

 

Ce n’est pas la fin du monde si on ne s’entraîne pas

  • La fermeture des piscines et des salles de sport, les restrictions sanitaires et le télétravail ont chamboulé les vies et le confort créé par la routine. Il n’a pas toujours été possible de vous entraîner aussi souvent et à l’intensité désirée. Cela a peut-être, dans une premier temps, créé une frustration, mais la vie a continué et vous vous êtes adaptés.
  • Lorsque vous avez pu recommencer à vos entraîner plus souvent, remonter sur votre vélo à l’extérieur ou avaler les longueurs à la piscine, vous l’avez fait une motivation renouvelée. Même quand nous ne sommes pas forcés de le faire par une pandémie, il est important de s’arrêter, de faire des pauses, de réduire le nombre d’entraînement pour garder la motivation sur le long terme et offrir du repos à notre corps.
  • Aller tous les soirs au fitness et manquer le repas en famille ou s’interdire de sortir chaque samedi soir pour pouvoir se lever le lendemain matin à l’aube pour avaler 100 km de vélo, est-ce vraiment nécessaire ? Le retour à la normalité peut être une bonne occasion de revoir la place que nous accordons au sport dans notre vie.

La découverte de soi par l’effort

Découvrir son intériorité. Être maître de ses émotions. Se rendre compte de l’impact de ses pensées. Nous pensons tous nous connaître et surtout nous sommes tous persuadés de savoir gérer nos émotions. Et puis tout à coup, un petit grain de sable arrive et c’est l’explosion, un haussement de voix ou un mot de travers. Et puis les regrets et les excuses. Nous avons beau dévorer des livres de psychologie, suivre des séminaires de développement personnel, la perte de contrôle arrive trop vite.

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Je ne dérogeais pas à la règle. Pire que cela, l’an dernier pour la première fois de ma vie, je flirtais constamment avec la colère et l’exaspération. Au moindre accroc, je me sentais démunie. Personne ne s’en rendait compte peut-être. Mais à l’intérieur, c’était un ouragan que je n’arrivais pas à faire taire. Durant cette période, j’ai participé à un ultra marathon : 250 km durant 6 jours. Le premier jour, les participants prennent le départ avec sur leur dos la nourriture et l’équipement pour toute la semaine. Chaque jour, les kilomètres défilent sous leurs semelles : entre 35 et 45 km avec comme étape finale 105 km.

Le soir arrivé, campement. Chacun sort de son sac sa nourriture, prend une douche et puis s’endort. Et le lendemain le pèlerinage continue. Car oui, participer à un ultra-marathon demande certes des ressources physiques, mais le « tout est dans la tête » prend alors tout son sens.

ultra marathon voie lycienneLes kilomètres défilent. Vingt, puis trente, cinquante. La tête s’habitue. Et surtout, elle n’a plus peur de la notion de distance. En même temps, un certain détachement se produit. Au fil des kilomètres, l’esprit se balade. Les yeux dévorent le paysage, mais l’esprit lui voyage dans d’autres dimensions. Je me rappelle avoir vu le vent. Impossible de vous dire maintenant à quoi cela ressemblait, mais au moment où je l’ai vu, je me rappelle m’être dit que le vent était quelque chose de magique et magnifique.

Passer de longues heures dans un état d’effort et pour la plupart du temps seul donnent le temps de réfléchir. De revenir sur certains épisodes de vie. De les revivre peut-être.

L’ultra marathonien passera de la joie à la colère, de l’euphorie à l’énervement. Alors que dans la vie quotidienne, nous avons tendance à accuser l’autre en cas d’un quelconque problème, le coureur longue distance n’a pas le luxe de trouver un coupable à ses états d’âme. Il vivra ses émotions jusqu’au bout. Et surtout les acceptera.

Le soleil, la fatigue, la solitude, la faim, le découragement et puis la motivation qui revient. La joie de passer la ligne d’arrivée. Autant de moments qui rythment un ultra-marathon composé de plusieurs jours de course.

coraline chapatte arrivée étape voie lycienne
Chaque jour, le bonheur d’avoir atteint la ligne d’arrivée et surtout une énorme joie d’en avoir découvert un peu plus sur soi-même.

Pas le temps non plus de passer trop de temps à se lamenter. Il faut avancer. Aller de l’avant. Chaque jour, je me sentais plus forte. J’avais l’impression de revenir aux sources. De retrouver mon caractère brut.

A certains moments, je me glissais dans la peau d’une héroïne d’un autre temps. Aujourd’hui, parée de chaussures de course à pied développées selon les dernières technologies, je parcourais le mystique parcours de la Voie lycienne au Sud de la Turquie. Et si dans un autre temps j’avais déjà longé cette magnifique côte méditerranéenne ? Plusieurs fois, j’ai eu l’impression d’avoir déjà emprunté ces sentiers caillouteux. Mon cerveau me jouait-il des tours ?

Chaque jour, c’est un nouveau départ, de longues heures passées seul dans l’effort. Les jambes avancent, aucun souci de ce côté-là. Le gros travail se passe dans la tête. Se motiver soi-même, courir au lieu de marcher, comprendre quand le corps a faim, s’écouter et reconnaître le besoin de s’arrêter quelques minutes pour reprendre ses esprits.

Et puis les 260 km sont bouclés. Tel le pèlerin qui arrive au sanctuaire tant espéré, la ligne d’arrivée finale est coupée. Retour dans la vie quotidienne. Embouteillages, stress au travail, magasins bondés. La vie continue. Avec le stress et les impératifs. Mais à l’intérieur, un nouveau calme. Une nouvelle force. Une tranquillité. Avais-je découvert une forme d’héroïsme moderne? En effet, j’avais l’impression d’être devenue l’héroïne de ma vie. Qui résistait mieux au stress et aux contraintes. Et qui souriait sans raison. Rien ne me paraissait désormais impossible. Les doutes et les peurs que j’avais depuis l’enfance avaient disparu. La brume qui pesait sur ma confiance en moi avait commencé à se dissiper.

L’endurance. Le dépassement de soi. Le courage de se lancer dans une telle aventure. De continuer quand la tête veut s’arrêter. Avec à la clé : gagner la chance d’être soi-même. Quelle victoire.

coraline chapatte départ 100 km voie lycienne
Départ au milieu de la nuit de l’étape finale de 100 km. Le courage de se lancer dans une telle aventure. Avec à la clé : gagner la chance d’être soi-même.

J’évoquerai entre autres cette aventure ainsi que la thématique du sport et des médias sociaux (évoqué dans mon précédent billet « Le sportif : nouveau héros digital »ce soir vendredi 2 septembre à 17 h dans le cadre de l’événement « Le livre sur les quais » à Morges. J’aurai la chance d’intervenir dans le débat réunissant le célèbre psychologue français Boris Cyrulnik qui présentera son dernier ouvrage intitulé « Besoin de héros ? Sport et connaissance de soi. » et Mark Milton, fondateur et directeur de la fondation suisse Education 4 Peace. Pour plus d’informations et pour réserver vos places, vous pouvez consulter le site internet du Livre sur les quais.

cyrulnik-le livre sur les quais

Le sportif : nouveau héros digital

Passage de la ligne d’arrivée. L’espace d’un instant le temps s’arrête. Les frissons s’emparent du corps. La tête est légère. Et vide. Une accolade. Un saut de joie. En une seconde, toute les difficultés sont oubliés. Et puis, tout s’accélère. Une photo. Et puis une autre. Synchroniser sa montre avec son téléphone. Et partager. Immédiatement. Avant même de prendre sa douche. Tel le messager d’antan qui apportait la missive sur son cheval, le héros des temps modernes partage son exploit sur les réseaux sociaux.

Le sportif de 2016 est-il toujours un héros dans l’effort physique ? Ou est-il devenu un héros digital ? Plus besoin de monter sur les marches du podium pour occuper le devant de la scène et être pris en photo. Un selfie par ci, un collage de quelques photos par là accompagné d’une célèbre citation, le tout partagé avec les bons « hashtags » et le nombre de « followers » et de « likes » s’envolent.

sportif 2016_hero digital le livre sur les quais coraline chapatteEt on ne parle pas uniquement de la compétition, la simple session d’entraînement devient une représentation, dont le public sont les followers. Des anonymes pour la plupart qui likeront la #photooftheday ou le #runningselfie du jour. Chausser ses baskets, enfiler ses écouteurs, courir, se dépasser, transpirer, avoir envie d’abandonner et puis penser à la photo qui sera partagée, likée et commentée. Et la motivation revient en l’espace d’un instant.

Décriés les médias sociaux ont ajouté une finalité supplémentaire à l’effort. Pas seulement l’athlète, mais l’Homme a besoin de motivation intrinsèque et extrinsèque pour s’améliorer. Les médias sociaux sont devenus pour le sportif une source « gratuite » de motivation extrinsèque. Le sportif des années nonante devait compter sur sa famille et ses amis pour toucher sa dose de motivation. En 2016, des anonymes des quatre coins du monde sont devenus la raison de se dépasser de beaucoup de sportifs.

Oui, partager sa vie de sportif sur les réseaux sociaux est source de motivation, mais lorsque le nombre de followers atteint plusieurs milliers, une prise de conscience s’opère inévitablement. Tout à coup, de l’anonyme qu’il était, un « influencer » devient un modèle, une source d’inspiration pour ceux qui le suivent, likent et commentent ses photos. Il n’est pas rare qu’à l’issue d’une course, les autres concurrents ou les spectateurs l’approchent en lui disant « Vous ne me connaissez pas, mais je vous suis sur Instagram. Merci de partager votre motivation avec nous. » Pour un sportif qui devient un héro sur les médias sociaux une véritable écoute de soi et une démarche de réflexion sont alors nécessaires. Une photo partagée est bien plus qu’une photo. Le message qui est donné a un réel impact sur la vie d’anonymes.

Être une source d’inspiration contraint une gestion adéquate des émotions lors d’une victoire. Impossible également de rester silencieux et absent des réseaux sociaux durant plus de trois ou quatre jours d’affilé – sinon les followers stopperont de suivre le sportif. Alors que généralement les athlètes peinent à parler des coups durs dans leur vie personnelle ou à évoquer les périodes de blessure, partager ces moments sur les réseaux sociaux est en fait une magnifique opportunité de devenir un héros accessible. D’expliquer son cheminement, partager ses émotions, raconter ses faiblesses. Avec en bonus une meilleure connaissance de soi, mais également des messages d’encouragement et de soutien.

J’évoquerai cette démarche dans le cadre de l’événement « Le livre sur les quais » à Morges, durant lequel j’aurai la chance d’intervenir le vendredi 2 septembre à 17 h  dans le débat qui réunira le célèbre psychologue français Boris Cyrulnik qui présentera son dernier ouvrage intitulé « Besoin de héros ? Sport et connaissance de soi. » et Mark Milton, fondateur et directeur de la fondation suisse Education 4 Peace. Pour plus d’informations et réserver vos places, vous pouvez consulter le site internet du Livre sur les quais.

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