Lettre à notre maîtresse d’école

Lettre de quatre petites filles à leur maîtresse d’école :

Chère Laetitia, nous avons décidé de faire la grève des femmes le vendredi 14 Juin.

Les femmes (nous y compris) subissent de nombreuses injustices tous les jours.

Voici quelques problèmes que nous trouvons importants:

  • Nous, quand nous serons grandes, nous serons moins bien payées que nos frères, nos amis, nos collègues, … pour le même travail.
  • Dans les films que vous avons vus, les femmes ont souvent un rôle plus minime que les hommes.
  • Dans les clips et les vidéos sur Youtube il y a souvent des paroles sexistes.
  • Nous avons pu observer que dans les Manga, films ou dans la réalité, ce sont la plupart du temps les femmes qui font le ménage, la cuisine, s’occupent des enfants… Ex: pour cette vente de pâtisserie il y a très peu de pères qui ont fait des gâteaux, bonbons…
  • Nous avons aussi observé que les hommes prennent beaucoup plus la parole que les femmes pour dire leurs opinions et des fois ils parlent même à la place des femmes.
  • N: Mes grands-parents disent à mon frère qu’il est intelligent et fort et à moi que je suis gentille, belle et mignonne.
  • & C.: Nous, et peut-être d’autres filles, avons peur de faire certaines choses parce qu’il y a des garçons, nous avons peur qu’ils se moquent de nous.
  • : Un jour, j’essayais des habits à Manor. Un monsieur qui devait penser que j’avais 15 ans a commencé à me siffler. De plus, il y avait sa femme à côté.

Il y a plein d’autres problèmes mais nous trouvons que ceux-ci sont les plus importants.

Nous aimerions bien en parler le vendredi matin en classe

 

M. (11 ans), M. (10 ans), N. (10 ans) et C. (11 ans)

élèves de l’école de Meinier

 

Parce que la société demande à une femme politique de prouver qu’elle est compétente

Pourquoi je fais la grève ?

 

Je fais la grève

Parce que j’en ai marre d’entendre des personnes énonçant des propos sexistes affirmer que ce n’en sont pas, et surtout argument suprême, que je manque d’humour ou que j’ai mes humeurs;

Parce que lorsqu’une femme s’exprime tant au niveau personnel, professionnel ou politique, on lui coupe plus fréquemment la parole qu’à un homme ; que durant son intervention elle a droit à plus de commentaires et d’injures !

Parce à ce jour, les femmes sortant en soirée, seules ou en groupe, mettent toujours en place des comportements de protection pour éviter ceux qui ne comprennent pas un NON.

 

Je fais la grève

Pour depuis des années :

– M’empêcher de sourire à un homme et mettre une « armure » pour éviter qu’un comportement aimable soit pris une invitation à aller plus loin,

– devoir supporter des comportements masochistes lorsqu’une femme passe près d’un bastion masculin (bistrot, terrain de sport, etc.);

– devoir éviter la nuit d’emprunter certaines rues, de contourner les parcs lors de déplacement seule à pied ou à vélo ;

Et d’en reprendre conscience lorsque qu’une personne qui m’accompagne exprime son incompréhension face au parcours choisi.

 

Je fais grève

Parce que des filles et des femmes de tout âge se sentent en insécurité de jour comme nuit lorsque des hommes ont un comportement inadéquat à la maison, dans la rue, à la sortie d’un lieu festif, etc. ;

Parce qu’un dimanche après-midi, un homme, n’ayant pas apprécié d’être dépassé à vélo par une femme, mimait des actes sexuels assis sur son vélo en présence de badauds, dont des enfants ;

Et parce qu’en tant que femme, il faut faire constamment attention à s’habiller et se comporter décemment (bien plus qu’un homme) ;

 

Je fais grève

Parce qu’au niveau professionnel à Genève, c’est toujours majoritairement la femme, dans le ménage, qui travaille à temps partiel et qui s’absente de son travail en cas d’une obligation familiale liée aux enfants ;

Parce qu’à travail égal, son salaire est fréquemment plus bas que celui d’un homme et qu’elle aura droit à des prestations sociales moindres lors de sa retraite.

 

Je fais grève

Parce que la société demande à une femme politique, à contrario de son homologue masculin, de prouver qu’elle est compétente pour la fonction qu’elle convoite ; et qu’une grande partie des médias continue à parler de sa tenue vestimentaire et de son sourire dans un article politique ;

Parce que le plafond de verre est loin d’être brisé ;

Parce que malgré le fait que les femmes représentent la moitié de la population, elles sont toujours insuffisamment rendues visibles par les médias tout au long de l’année (exception faite en 2019 ?).

 

Pour finir, je fais grève

Parce que suite à la lecture de ce texte, des femmes et des hommes, vont se dire, elle manque de distance, elle chipote, elle est mal…

ET parce qu’il faut revendiquer continuellement pour une EGALITE DE FAIT en illustrant la situation par des problèmes rencontrés quotidiennement, régulièrement.

 

Laurence Corpataux, 58 ans, conseillière municipale en Ville de Genève

Je pense que je m’en voudrais si je n’agissais pas pour que cela change

Étudiante à l’université et employée dans un laboratoire de microbiologie pour des petits travaux non qualifiés je n’en peux plus des inégalités que subissent, entre autres, les femmes. En tant que femme de couleur, j’ai subi de nombreuses discriminations et ai été témoin de tant de commentaires/agressions sexistes/racistes/homophobes que la coupe est PLUS que pleine. Je veux que les choses changent, et maintenant.

Et je pense que je m’en voudrais si je n’agissais pas pour que cela change.

Je compte donc refuser de travailler ce jour-là et suis déjà exemptée d’examens à l’université, grâce aux belles actions mises en place et des gens qui se sont mobilisés pour cela!

Océane

 

Pour les rentières la vie n’est pas toujours drôle. L’AVS et les rentes du 2e pilier perdent de leur pouvoir d’achat. Faire la grève pour demander la consolidation de la prévoyance vieillesse.

Je n’ai eu droit au 2e pilier qu’après mes 40 ans.

Line, 79 ans

 

Au travail on a un nouveau chef qui a de petits commentaires sexistes. Du genre les hommes règlent mieux leurs problèmes directement pendant que les femmes se crêpent le chignon. Les hommes boivent leur café fort et les cafés longs c’est pour les bonnes femmes. Quand on m’a engagée, on m’a fait tout un discours autour du fait que je devais me vacciner avant d’avoir des enfants. Je lui ai répondu que je n’en voulais pas et elle m’a dit que j’étais trop jeune pour avoir ce genre de réflexions et que j’allais forcément changer d’avis, parce qu’une femme veut forcément avoir une famille.

Maria, 
29 ans, Grand-Lancy, HUG

Le 14 juin 2019 je ferai grève et la représentation n’aura pas lieu

Des quatre femmes que compte l’équipe de création du spectacle « Mon chien-dieu », je suis la seule visible sur le plateau. J’ai choisi de mettre un pied dans l’engrenage théâtral pour qu’il se grippe, l’espace d’un jour.

Le temps de la réflexion.

Le 14 juin 2019 je ferai grève et la représentation n’aura pas lieu.

Parce que la demi-mesure ne suffit plus et qu’il s’agit de créer une onde de choc permettant de nouvelles avancées féministes et sociales.

Cette décision est le fruit d’une longue réflexion. Elle n’est pas facile. Elle ressort de mon initiative, de mes revendications, mais elle a été rendue possible parce que l’équipe qui m’entoure et le Théâtre m’ont soutenue dans cette démarche.

Je ne fais pas grève parce que mes conditions d’engagement ou de travail sur ce spectacle en particulier sont problématiques. Je fais grève parce que plutôt que de penser individuellement, je choisis de penser au collectif.

En ce 14 juin, je souhaite que cette institution culturelle mise à l’arrêt nous permette à toutes et à tous de faire un point.

Parce que dans le domaine culturel (aussi !), des inégalités subsistent.

Parce que les différences de salaires entre les hommes et les femmes survivent sans raison.

Parce que les compétences féminines ne sont pas assez valorisées.

Parce que si il y a de nombreuses comédiennes, costumières, maquilleuses, nous avons besoin d’encore plus de régisseuses, de régisseuses générales, de programmatrices, de metteures en scène, de directrices, de directrices techniques, de créatrices lumière, de créatrices son, de techniscénistes, de machinistes, de cintrières, de cheffes constructeur, de scénographes, de dramaturges, de directrices comptables et financières, de productrices, d’administratrices.

Parce que le sexisme banalisé blesse et entrave la création artistique.

Parce que le théâtre véhicule encore parfois des visions stéréotypées de la femme.

Parce que la difficulté de concilier grossesse, maternité et profession est réelle.

Pour toutes ces raisons et pour d’autres, je participerai à la grève des femmes.

Si le 14 juin vous n’entendrez pas ma voix, pas plus que celle de Douna Loup, l’autrice de « Mon chien-dieu », c’est que je la ferai entendre autrement, en la ralliant par solidarité à celle des femmes du monde entier, visibles ou invisibles.

J’espère que vous nous entendrez.

Charlotte Dumartheray – Théâtre du Loup, pour le 14 juin 2019

 

Mes entretiens d’embauches se sont presque toujours tournés autour de mes enfants

Il y a à peu près vingt ans, quand je suis arrivée en Suisse, je cherchais du travail dans une banque comme lorsque j’habitais en Colombie. Une de mes filles avait 7 ans et l’autre 10 mois. Mes entretiens d’embauches se sont presque toujours tournés autour de mes enfants, de comment j’allais les garder, si j’avais une nounou, si ils allaient à la crèche. Le fait de venir d’ailleurs est une difficulté de plus. 
Ça n’est pas le sujet d’un entretien, ils n’ont qu’à regarder les diplômes, le parcours. C’était très présent à l’époque. On ne demande jamais ça à un homme. Mon conjoint, on ne lui a jamais posé la question, il a trouvé du travail au bout d’un mois et demi et moi au bout d’un an. J’ai arrêté de chercher dans la banque, je trouve que c’est un milieu très, très macho en Suisse. Si tu es une femme et que tu as des enfants, on te met des bâtons dans les roues. Même si l’homme a des enfants, il ne vivra pas ça.

Gisèle,
 48 ans, Lancy, vendeuse

 

Quand j’étais petite, je voulais être astronaute mais on m’a toujours dit que c’était un métier de garçon. Mon prof de physique me disait qu’il fallait être « bon en science ». Bon, pas bonne.
Mes collègues savent que je fais grève, que je me renseigne, que j’en parler autour de moi, que je me positionne. L’autre jours, trois collègues masculins m’ont coincée dans l’ascenseur et m’ont dit « alors, tu fais moins la maline hein? ». C’est quoi ça, si ça n’est pas du harcèlement sexiste? Je veux un congé parental, je pense que les premiers mois de la vie d’un enfant peuvent être très isolants pour la mère. Les hommes auraient tout intérêt à vivre les premiers mois de leur enfant, à pouvoir construire cette relation privilégiée. L’égalité profite à tous, elle combat aussi le mythe de la virilité qui nuit aux hommes, leur met une pression de concurrence, de performance, les force à cacher leur sensibilité et à passer moins de temps en famille.

Cheffe de projet, 
38 ans, maman d’un enfant de 6 ans, mariée à un homme solidaire

 

Je fais la grève pour plusieurs raisons, Tout d’abord, pour les inégalités salariales. J’étais très choquée par les statistiques. Faire grève ici montre aussi qu’on est solidaire envers les femmes d’autres pays dont les droits ne sont pas forcément respectés.
Je me suis intéressée à ce mouvement il y a un an. J’étais avec un partenaire qui avait beaucoup de stéréotypes de comment devait être une femme. Je me suis rendue compte qu’il voulait me changer. Il trouvait qu’une femme ne doit pas boire, ne pas crier, ne pas être provoquante. Ça ne me choquait pas au début parce que j’étais amoureuse mais ça a fini par me questionner. Je trouve que si toutes les femmes devaient se comporter comme ça, ce serait inhumain.

Justine, 18 ans, étudiante, maturité artistique ECG, Arzier

« Pourquoi briser des plafonds de verre si une majorité des femmes continue à en ramasser les débris ? »

Je suis enchantée de faire la grève. Il y en a grand, grand besoin. Je saisis tous les moments où je peux m’exprimer à ce sujet. Je suis frustrée de ne pas avoir pu participer à la précédente grève, car je venais de commencer un travail. J’étais partagée et je suis restée bosser. Je suis contente de me faire voir physiquement. Je rêve qu’il y ait beaucoup, beaucoup de personnes. Une masse. Je suis contente d’animer des ateliers dans mon travail le matin du 14. Je suis contente de mettre des flyers à mon bureau et de parler avec tout le monde, et surtout aux garçons. Et j’attends beaucoup de dialogue avec les garçons. Ce n’est pas une revanche, mais un moment pour échanger et entendre un maximum de paroles. Je me rends compte que le carcan que je peux subir, les hommes en subissent un autre et ne le savent pas encore. Je suis fière que mes filles participent à cette grève.

S., 52 ans

 

Pour moi, une des revendications du manifeste reste centrale : la solidarité internationale. Ce principe s’est révélé à moi quand je suis partie en Amérique du Sud. J’y étais le 8 mars dernier et ce qui m’a marqué, c’est qu’il y avait des femmes dans la rue et d’autres qui les observaient et les critiquaient ouvertement, ignorantes de leurs revendications. C’était presque comme si elles avaient honte de leurs consœurs. Cela m’a choqué, car, alors qu’elles sont plus opprimées que nous ici, elles n’ont pas l’air d’en être conscientes. Je trouve aussi que la solidarité internationale doit être importante. On a trop souvent tendance à être des femmes Suisses, avant d’être des femmes. Ce que je vois en Suisse, c’est qu’on a tendance à se battre sur des points, comme l’égalité salariale, mais j’ai lu une phrase dans un livre, Féminismes à 99% qui dit : « pourquoi briser des plafonds de verre si une majorité des femmes continue à en ramasser les débris ? » Je trouvais que cette citation s’appliquait bien au contexte Suisse. Si on parvient à avoir cette égalité salariale, cela ne veut pas dire que le combat s’arrête. Si le combat aboutit chez nous, ce n’est pas pour autant que ce sera le cas pour toutes les femmes dans le monde. Et c’est à elles que je donnerai ma voix le 14 juin.

Apolline, 19 ans

 

J’ai envie qu’il y ait de l’égalité entre les hommes et les femmes. Parce qu’on est pareils. Il ne faut pas s’attarder sur le sexe des gens. On peut faire les mêmes choses. Et je trouve qu’il y a certaines choses qu’on fait subir aux femmes qui ne sont pas humaines, qui ne devraient pas exister. J’ai vu un film où une dame racontait qu’elle s’était faite exciser et ça m’a choquée. Et je trouve aussi que dans la société il y a un corps stéréotypé pour les femmes et que les hommes on les embête beaucoup moins.

Elia, 14 ans

Il faut que ça bouge!

Je me rends compte que malgré toutes mes idées égalitaires et humanistes à la maison, j’ai deux frères, c’est ma mère et moi qui faisons une grosse partie des tâches ménagères. Alors que réellement je suis la première à avoir ce discours égalitaire, mais je le fais par automatisme, sans questionner mes actions. Et surtout je sais que des femmes ont moins de chance que moi, et j’aimerais que la place de la femme, dans toutes les sphères, soit mise en valeur, qu’elle ne soit pas réduite au statut d’objet.

Je pense qu’il est nécessaire de marcher toutes ensemble et j’aimerai porter la voix de celles qui ne peuvent pas faire grève. Face aux problèmes d’aujourd’hui, on devrait s’unir, marcher main dans la main. Il n’est plus le temps de dégrader quelqu’un en fonction de son identification de genre. Y compris les hommes. Ce ne sont pas les femmes contre le reste du monde, mais un combat pour tout le monde. J’aimerais parler de tout cela, porter ce message, pour les générations futures. Pour l’instant, les femmes fortes, dans la littérature et le cinéma, c’est exceptionnel. L’image de la femme y est très restreinte et celle des hommes aussi. Il faut que ça bouge !

Emmanuelle & Ana, 20 ans

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De manière générale, ce qui me choque c’est que la femme n’a pas la possibilité de s’approprier son corps. Si je prends l’exemple des lois anti-avortement aux états unis, je ne vois pas pourquoi les hommes décident à la place les femmes, c’est une décision qui devrait revenir à la femme.

Les femmes devraient pouvoir être fières de leur corps, de leur féminité, de leurs traits plus virils et ne pas devoir se calquer sur un idéal publicitaire, ou de faire recours à la chirurgie et s’imposer des régimes. Au quotidien, lire tous ces magazines et ces articles est agressant. À passé 40 ans, on dirait que les femmes disparaissent des médias, comme si après un certain âge on n’était plus rien, on ne doit plus être vues car nos traits ne sont plus lisses. Il y a de la beauté même dans le visage d’une grand-mère. On y lit une histoire. J’aimerai voir tous les visages de la femme représentés, que ça ne soit plus moche pour les femmes de vieillir. Ce qui est d’autant plus dérangeant, c’est que les hommes, eux, on les voit partout, ils sont représentés à tous les âges.

Agnès Marchand
, 42 ans, Genève

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Je travaille dans une école et je ne ferai sûrement pas grève, à la place je proposerai des activités à mes élèves. Je pense que mon métier me permet d’aborder ces sujets, surtout dans un quartier où la question n’est pas beaucoup traitée. D’abord je me suis dit que j’allais parler des artistes femmes, prendre quelques figures féminines de l’histoire de l’art et travailler là autour. Parler des attitudes féminines et masculines et faire des collages, des interventions. Par exemple sur la Joconde, la rendre moins sage. J’ai une fille de huit ans, qui a reçu le livre « 100 portraits de femmes rebelles », je vais le photocopier pour mes collègues. C’est inspirant de voir ces femmes de tous bords, comme cette cycliste dans les années 1900 qui a réussi à se classer.

Je vais aussi passer ce documentaire sur cette petite fille mongole qui est la première a avoir élevé des aigles, elle est soutenue par sa mère et son père qui l’encouragent. C’est incroyable, elle a treize ans, on dirait que c’est une fiction et pourtant c’est un personnage réel. J’avais vu ce documentaire avec des enfants, qui avaient tous applaudi à la fin. Le documentaire montre aussi que sans l’aide de la famille, c’est très difficile de s’affirmer.

Céline Mazzon, 
Jonction, maîtresse d’arts visuels en primaire, 44 ans