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Leadership : l’intelligence émotionnelle en question, partie I

L’intelligence émotionnelle a le vent en poupe. Nouveau thème phare de la littérature sur le management, la plupart des livres, conférences, formations en leadership s’y consacrent largement. Mais à l’heure où la plupart des lecteurs/auditeurs ne trouvent pas les contenus sur le sujet assez satisfaisants1, il est nécessaire de prendre un peu de recul sur la manière dont il est traité habituellement.

Dans cet article en deux parties, nous aborderons ensemble l’intelligence émotionnelle avec un angle nouveau. Dans une première partie, il est nécessaire de replacer l’intelligence émotionnelle dans son contexte. Ensuite, nous verrons des principes simples pour booster votre intelligence émotionnelle.

Intelligence conceptuelle vs intelligence émotionnelle

– L’intelligence conceptuelle est celle qui permet d’identifier les dynamiques qui sous-tendent l’évolution du monde. Il s’agit du monde des idées de Platon, de l’équation énergie-matière, et du design de l’Airbus A320. L’intelligence conceptuelle est ce qui permet de comprendre que l’ombre projetée sur un mur vient à l’origine d’une petite statuette de bois placée au coin du feu. Elle est la capacité de discerner les poulies derrière le décor au théâtre
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L’intelligence conceptuelle permet de voir les rouages cachés par un écran
– L’intelligence émotionnelle, elle, est la capacité à identifier une émotion chez soi ou chez les autres, ainsi que notre capacité à agir en la prenant en compte. Vous faites preuve d’intelligence émotionnelle quand vous vous observez en train de vous énerver. Le niveau supérieur, est d’être capable de comprendre pourquoi vous vous énervez, au-delà du déclencheur initial.

Prenons un exemple pour mieux comprendre ce qu’est l’intelligence émotionnelle :

Thomas est le directeur d’un bureau d’étude. Il reçoit le jeune Daniel pour son retard à son premier jour de travail. La semaine suivante, Daniel arrive trois fois en retard, et ses collègues le disent très distrait dans les tâches quotidiennes. Quand Thomas reçoit Daniel pour la seconde fois, il s’énerve, perd son sang froid, prononce des paroles qu’il regrettera plus tard. De retour chez lui, Thomas parle de son malaise à sa compagne, qui ne semble pas étonnée de cette situation. Connaissant bien son compagnon, elle lui rappelle qu’il est orphelin. Ayant été placé dans une famille avec qui les relations n’étaient pas bonnes, Thomas a dû construire sa vie professionnelle sans aucune aide. Pour arriver à la place de Daniel, Thomas a dû donc faire face à des difficultés plus grandes que la plupart des gens à sa place en moyenne. Il comprend alors que le réel déclencheur de sa colère n’était pas le retard de Daniel ou son attitude. Thomas était en colère car voir un jeune prometteur gâcher des opportunités que lui-même a dû obtenir au prix fort, le ramène à une blessure lui rappelant cette période difficile de sa vie. Nombre de nos émotions ont des origines complexes. Thomas vient de nous en donner une illustration, en faisant preuve d’une grande intelligence émotionnelle.
Grâce à sa compagne, Thomas réussit à voir au-delà des apparences. Il discerne la cause profonde du phénomène qui l’occupe, comme le philosophe-roi, dans la caverne de Platon.
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L’intelligence émotionnelle est la capacité de traitement des informations émotionnelles. De fait, c’est elle qui nous relie aux autres
Les psychologues définissent l’intelligence émotionnelle en 4 dimensions2 :

 

– identifier nos émotions ainsi que celles des autres
– déterminer et créer des émotions pour rendre nos pensées plus efficaces
– comprendre les informations émotionnelles
– réguler nos émotions

 

Que ce soit dans l’exemple de Thomas, ainsi que dans les 4 dimensions présentées ici, il s’agit d’identifier, de comprendre et d’agir, en particulier sur des relation causales. Vous reconnaissez là la première forme d’intelligence dont nous avons parlé en début d’article, l’intelligence conceptuelle. Il apparait donc que l’intelligence émotionnelle n’est que le prolongement de la capacité à discerner, la même qui entre en jeu dans l’intelligence conceptuelle. Même si la logique des émotions s’applique sur un objet différent, elle n’en est pas moins une forme de logique, avec des causes qui impliquent des conséquences. L’imagerie neuronale nous apprend d’ailleurs que, contrairement ce que veut la théorie du cerveau droit/cerveau gauche, la raison et les émotions ne sont pas localisées dans une aire spécifique du cerveau. Elles sont au contraire toutes les deux le résultat d’interactions zonales. Logiques émotionnelle et conceptuelle ne seraient donc pas séparées, mais plutôt entremêlées l’une dans l’autre.

 

Or la plupart des productions actuelles sur le sujet abordent l’intelligence émotionnelle comme une softskill toute nouvelle, un domaine qui obéirait à ses propres règles. Certains ouvrages, font même de l’intelligence émotionnelle le plus important facteur de leadership et d’excellence personnelle3. Passeraient donc au second plan la capacité de décision, le contrôle, la capacité à anticiper les problèmes ou la gestion de crise. Il y a évidement un problème à faire du leader non pas un acteur, mais un expert des émotions avant tout. Cette fausse croyance s’explique par le fait que nos sociétés se sont principalement restructurées sur une économie de services. Le produit finit étant devenu dématérialisé, nous avons tendance à croire que notre manière d’organiser l’action économique est devenue moins concrète, elle aussi. Le basculement vers une économie de service implique donc un basculement des préoccupations vers les émotions en lieu et place de l’éthos du leader : sa capacité de décision.
Or la gestion des émotions et la communication accompagnent l’action, mais ne peuvent pas la précéder. L’intelligence émotionnelle est l’huile qui facilite le mouvement des rouages, pas le moteur qui les fait fonctionner.

 

Le but de cet article en deux parties n’est pas de dénigrer cette capacité qui reste très importante dans le management d’une équipe. Le but de cet article est de replacer cette notion à la mode dans son contexte, afin que le lecteur la replace après d’autres compétences qui l’encadrent et la précède.
L’intelligence émotionnelle est une condition nécessaire pour être un bon leader, mais pas suffisante. Son intérêt ne doit pas éclipser les qualités “dures” que sont la capacité à décider, à anticiper et à contrôler, prérequis à tout travail en commun.
Maintenant que le termes du débat sont posés, nous pourrons voir dans la prochaine partie comment booster votre intelligence émotionnelle. Nous verrons ensuite comment construire votre propre manière d’en faire usage.

1. Etude de marché Elite Management, HEC business school, 2016.
2. Mayer, J. D., & Salovey, P. (1997). What is emotional intelligence ? P. Salovey & D. J. Sluyter (Eds.), Emotional development and emotional intelligence: Educational implications (pp. 3-34). New York: Harper Collins.
3. The Emotionnal Intelligence Quick Book, Dr. Travis Bradberry and Dr. Jean Greaves, Fireside Edition, 2005.

Clément Pichol-Thievend

Clément Pichol-Thievend a été officier dans la Légion étrangère et les forces spéciales françaises. Diplômé en sciences sociales et en psychologie, il est aussi conférencier pour un large public comptant notamment des startups, des écoles de commerce et des associations d'officiers suisses. Il est l'auteur du livre Leadership : Manuel de combat, aux éditions PPUR.

3 réponses à “Leadership : l’intelligence émotionnelle en question, partie I

    1. Bonjour, pour ce genre de contenu, je vous conseille les blogs de bien-être.

      Leadership 2.0 se consacre à l’étude des mécanismes qui sous-tendent la direction d’une équipe.

      Bonne journée

  1. Bonjour Clément,

    Merci pour votre article d’une grande clarté, lequel remet à sa juste place l’Intelligence Emotionnelle, moteur décisionnel par excellence (merci madame Dopamine) encore mis à contribution hier matin au cours d’un entretien avec ma manager…

    Au plaisir d’échanger, Corinne Guégan

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