Le télétravail transfrontalier n’est pas sans obstacles

Le home office, dopé par la pandémie, concerne également les travailleurs frontaliers avec, à la clé, des conséquences sociales et fiscales importantes pour les partenaires sociaux. La fin du « régime d’exception» approchant, de nombreuses difficultés surgissent.

Le bout du tunnel pandémique se profile à en croire les experts. Ce retour à une certaine normalité, sous réserve d’un soubresaut du capricieux Covid, va produire un certain nombre d’effets sur le télétravail, en particulier pour ce qui concerne celui des frontaliers. Le canton de Vaud, qui en occupe plus de 34’000, vivra prochainement la fin du «régime d’exception» qui a prévalu dès les débuts de la crise sanitaire. Pendant cette situation exceptionnelle, la Suisse et ses voisins européens étaient convenus de suspendre l’application de certaines règles. Ainsi, les frontaliers qui travaillaient à distance restaient assujettis au régime suisse de sécurité sociale. En ce qui concerne la France, ce régime est en vigueur jusqu’au 31 mars 2022 (pour l’Allemagne, l’Autriche et le Liechtenstein, jusqu’au 30 juin 2022).

Après cette échéance, la législation ordinaire s’appliquera de nouveau, tant au niveau social et fiscal, ce qui ne va pas manquer de soulever de nombreux problèmes juridiques. En fonction de la part d’activité exercée en télétravail par les employés concernés, ce retour à la normale pourra entraîner un changement d’assujettissement au régime de sécurité sociale, ainsi que du régime d’imposition. C’est pourquoi les organisations économiques romandes, dont la CVCI, ont élaboré un «Guide télétravail transfrontalier» pour y voir plus clair.

Dans «24 heures» de ce lundi, Marco Taddei, responsable romand de l’Union patronale suisse, expliquait que dès le 1er avril, les frontaliers français «seront imposés en France sur le pourcentage de travail effectué à leur domicile, dès la première heure de home office en ce qui concerne les cantons de Fribourg et Genève, qui ne font pas partie d’un accord international avec la France, et au-delà de 20% de télétravail pour les cantons de Vaud, Valais, Neuchâtel et Jura.»

Loin d’être une simple formalité

On le voit, le home office des frontaliers n’est pas une simple formalité. Le guide précité mentionne les risques encourus par les employeurs à ce propos et contient des recommandations à leur égard dans les cinq domaines suivants: assujettissement aux assurances sociales, aspects fiscaux, tribunal territorialement compétent, droit applicable et protection des données. Il leur est notamment conseillé de limiter le télétravail à la hauteur de 20% de la charge de travail, et d’en fixer les conditions par écrit, par exemple en concluant une convention avec les employés concernés.

Cette situation déjà complexe se double d’un embrouillamini juridique: en cas de télétravail d’un frontalier français à la fin du «régime d’exception», la France pourrait contraindre l’employeur suisse à nommer un représentant en France pour la perception de l’impôt à la source sur le jour de télétravail. Cette nomination est soumise à autorisation des autorités fédérales et, à défaut, tombe sous le coup de l’article 271 du Code pénal suisse, qui réprime les actes exécutés sans droit pour un État étranger. La France, pour le coup, a œuvré sans se soucier de la compatibilité de sa décision avec la législation suisse.

Il est vrai qu’en rompant l’accord-cadre et en portant son choix sur un autre avion de combat que le Rafale, la Suisse a pu fâcher son grand voisin d’outre-Jura…

Photo: AdobeStock

Claudine Amstein

Claudine Amstein est la directrice de la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie, depuis 2005. Après avoir été juriste et secrétaire générale de la Chambre vaudoise immobilière, elle en reprend la direction en 1993. Elle a été constituante au Grand Conseil vaudois, avant d’en être députée pendant dix ans. Elle est très engagée dans les associations faîtières de l'économie suisse.

6 réponses à “Le télétravail transfrontalier n’est pas sans obstacles

  1. Mon employeur, international, a réglé le problème : il possède un ou des sièges dans les pays d’intérêt. Du coup, bien que mon employeur soit américain, je bosse pour une société suisse, qui paie des impôts et, surtout, les charges sociales ici. Mes collègues français ont un employeur localisé en France, mes collègues allemands sont rattachés à la succursale allemande, etc, etc.

    C’est une manière propre de gérer le télétravail – certes il y a un coût certain, mais tant qu’à faire les choses, autant les faire bien, non ?

    Dans tous les cas, le télétravail reste une solution à pas mal de problèmes – surcharge des transports, bouchons, stress, pollution, perte de temps, etc. Il faudrait tout faire pour pouvoir maintenir cette pratique et, mieux, la développer.

    1. Merci pour cet échange de bonnes pratiques, mais il existe quantité de PME qui ne peuvent pas faire la même chose, ce qui compromet la possibilité de faire du télétravail.

      1. Il serait intéressant de connaître les barrières et de voir dans quelle mesure “on” ne pourrait pas les gommer.
        Après tout, on nous rabâche “mondialisation” pour tout et n’importe quoi – le télétravail et les succursales locales en font partie, au final…

        Les pays “partenaires” devraient tout faire pour faciliter la création de succursales sur leur sol, au final. ça permet de dynamiser au niveau local, de rapatrier l’argent dans le pays d’habitation (et, du coup, de travail) des employés, et donne une certaine visibilité aux entreprises.

        1. Gommer les barrières serait la meilleure des choses, libre choix de chacun de travailler où il le souhaite, mais aussi de choisir son assurance maladie et le pays où il souhaite payer ses impôts, cotise pour sa retraite etc… Créer une succursale locale n’est pas réaliste pour une petite entreprise vu la complexité administrative que cela engendre.
          S’il y a beaucoup de frontaliers (Français mais aussi Suisses) autour de Genève, c’est également .parce que Genève n’a pas/plus assez de foncier pour loger toutes les personnes qui y travaillent sauf à construire des clapiers.
          Il faut prendre cela en compte… Et pourquoi pas reprendre le pays de Gex que la Suisse avait échangé avec la France pour récupérer le bord du lac pour faire la jonction entre Vaud et Genève 🙂 Je plaisante, mais si l’on regarde en détail, le pays de Gex ne vit que pour et par la Suisse, les accès routiers importants et ferroviaires se font par la Suisse….

  2. Pourquoi ce qui a pu être fait depuis presque 2 années ne pourrait pas être prorogé indéfiniment ?
    Cela n’a posé aucun problème jusqu’ici, pourquoi cela redeviendrait un problème dès la fin de la pandémie ?
    Cela ressemble plus à une question de bureaucratie qu’à autre chose.

    Concrètement, il y aura deux catégories de salariés dans une même entreprise, ceux qui peuvent rester en télétravail depuis n’importe où en Suisse et les frontaliers qui doivent venir tous les jours ou quasiment tous les jours au bureau alors qu’ils sont souvent à moins de 1 à 10 km de la frontière. On peut se demander si en 2022 cela a encore un sens à l’époque d’internet et au moment où l’on essaye de réduire le nombre de trajets quotidiens de pendulaires.

    Espérons que les politiques sauront faire preuve de bon sens et d’imagination pour résoudre cette situation rapidement et de manière à continuer ce que la pandémie a permis de mettre en place avec succès.
    Merci pour cet article très bien fait et le lien vers le document de référence.

    1. Cela poserait un problème car une entreprise suisse pourrait avoir un “frontalier” à Bordeaux en 100% télétravail qui ne mets jamais les pieds ici (mais dont les impôts et les charges sociales seraient perçues par la Suisse).
      On peut donc comprendre la position de la France qui veut éviter une faille dans laquelle tous le monde pourait s’engoufrer vu le différentiel de charges sociales.

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