La transition énergétique nécessite une réflexion urgente

Le récent refus de la loi sur le CO2 et l’abandon de l’accord-cadre interrogent sur l’avenir de notre approvisionnement électrique. De fait, l’option nucléaire resurgit. Il s’agit de l’une des questions à laquelle nous allons être amenés à réfléchir.

L’adoption claire par la population suisse, en mai 2017, de la révision de la loi sur l’énergie (58,21% de oui) a ouvert la voie à la transition vers les énergies renouvelables et scellé le sort du nucléaire en Suisse. Depuis lors, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, et ce n’est pas une métaphore sur les intempéries ravageuses qui ont hélas tendance à se multiplier.

En quatre ans, l’avenir radieux qui se dessinait pour la durabilité en matière énergétique a fait place aujourd’hui à un inquiétant amoncellement de nuages sombres. Il y a d’abord eu le rejet inattendu de la loi sur le CO2, qui prive la Suisse des moyens d’atteindre dans les délais requis ses objectifs de réduction de dioxyde de carbone. Et pendant ce temps, paradoxalement, l’Union européenne planche sur une taxe carbone, celle-là même qui a coulé la loi précitée… A cela s’est ajouté l’abandon de l’accord-cadre par le Conseil fédéral, qui ferme la porte à un accord sur l’électricité avec l’UE pourtant indispensable pour chasser le spectre d’un blackout à terme.

A la croisée des chemins

Dix ans après la catastrophe de Fukushima, la Suisse se trouve de nouveau à la croisée des chemins. La transition vers les énergies renouvelables est trop lente. Il n’est dès lors pas étonnant de voir l’option nucléaire refaire surface, dix-huit mois après la fermeture de Mühleberg sous les flonflons. L’on songe aujourd’hui à prolonger la durée des vies des quatre centrales encore en activité qui assurent, rappelons-le, le tiers de notre production électrique.

Dans certains milieux, la construction d’une nouvelle centrale n’est même plus taboue. Cette question émotionnelle est toutefois légitime, et notre pays va devoir se la poser rapidement, car la concrétisation d’un tel projet prendrait des années, voire des dizaines d’années, sans parler de la problématique des déchets qui reste entière. La société tout électrique qui se profile, notamment dans le domaine de la mobilité, nécessitera un réseau dense et fiable. Devoir dépendre de centrales à charbon étrangères ne ferait guère avancer la difficile équation environnementale.

Malgré ces atermoiements politiques, l’économie, elle, déploie une belle énergie pour se décarboner. Conventions d’objectif, recherche et développement, innovation: les entreprises apportent leur contribution dans cette véritable course contre la montre climatique. Les images de dévastation de ces dernières semaines – inondations, glissements de terrain, incendies de forêts, phases de canicule extrêmes – ne laissent plus la place au moindre doute: la bataille contre le réchauffement doit être menée sans tarder. Alors agissons, et vite!

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Claudine Amstein

Claudine Amstein est la directrice de la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie, depuis 2005. Après avoir été juriste et secrétaire générale de la Chambre vaudoise immobilière, elle en reprend la direction en 1993. Elle a été constituante au Grand Conseil vaudois, avant d’en être députée pendant dix ans. Elle est très engagée dans les associations faîtières de l'économie suisse.

8 réponses à “La transition énergétique nécessite une réflexion urgente

  1. Avec l’augmentation exponentielle des besoins en électricité, le maintien voire le développement du nucléaire est une nécessité.

  2. A force d’accumuler les erreurs – décision de sortir du nucléaire sans en avoir bien évaluer les conséquences, rejet de l’accord-cadre idem – il est clair que les “nuages sombres” ne peuvent que s’amonceler ! La seule possibilité réaliste d’éviter des “blackouts” hivernaux après la fermeture programmée de nos centrales nucléaires (pas loin de la moitié de notre production d’électricité en hiver ne l’oublions pas) était de compter sur l’importation de courant électrique depuis les pays voisins (en bonne partie nucléaire d’ailleurs!), or nous venons d’ajouter une nouvelle inconnue à l’équation (sans compter la cerise sur le gâteau qu’est le non à la loi CO2) avec le rejet abrupt de l’accord-cadre qui risque fort de rendre impossible un accord sur l’électricité avec nos voisins. on ne peut toujours espérer avoir le beurre et l’argent du beurre, ni compter sur des miracles!

    1. Je partage votre avis concernant les erreurs commises néanmoins le refus de la loi sur le CO2 et l’abandon de l’accord servent surtout à éloigner la responsabilité de la situation du conseil fédéral.
      Avec ou sans loi sur le CO2, les hypothèses de développement des renouvelables et de diminution de la consommation sont, depuis le début, très volontaristes voire carrément fantaisistes.
      Concernant les importations, en hiver, nous importons surtout de l’électricité au charbon. Même la France recourt marginalement au charbon et importe de l’électricité allemande en cas de grand froid. Le problème fondamental n’est donc pas l’accord cadre (même si cela n’aide certainement pas)mais la fermeture progressive des centrales à charbon. Le problème était connu mais on a choisi de l’ignorer.
      La solution passera probablement par la gestion de la demande.

  3. Le centrales fonctionnant sur le cycle de l’uranium 235. Ce cycle a été industrialisé pour fabriquer le plutonium des bombes atomiques. La chaleur donc l’électricité étaient donc des sous-produits.
    Ce cycle est instable: il faut une action spécifique pour éviter l’emballement. Lorsqu’un événement perturbateur survient, cette action spécifique ne peut plus être effectuée, et c’est l’emballement. On l’a vu notamment à Lucens, Three Miles Island, Tchernobyl et Fukushima.

    Il est dommage que l’humanité n’a pas utilisé les 70 dernières années pour mettre au point des centrales basées sur des cycles stables.

    Pour moi, les risques (probabilité x coût) d’accident, liés à l’approvisionnement en uranium (provenance et diminution du stock) ou au stockage des déchets, ainsi que le coût par kWh ne justifient nullement la construction de nouvelles centrales classiques. Et je ne parle même pas des menaces (cyber-)terroristes.

    N’étant pas du domaine, je me réjouis de lire des avis plus étayés!

    1. “Ce cycle est instable: il faut une action spécifique pour éviter l’emballement”, que voulez-vous dire exactement? Dans les centrales actuelles, à eau ordinaire, il existe plusieurs phénomènes naturels qui tendent à empêcher/limiter tout “emballement” des réactions précisément. Ils agissent sur le combustible (“effet Doppler”, un peu difficile à expliquer ici) ou le modérateur, à savoir l’eau. Là c’est un peu plus facile à comprendre: de manière un peu raccourcie, pour qu’il y ait le maintien d’un nombre suffisant de réactions de fission dans un réacteur, l’eau est indispensable pour “modérer”, c’est-à-dire ralentir, les neutrons issus de précédentes fissions, parce que des neutrons rapides, tels qu’ils sont initialement générés par les fissions, sont peu efficaces pour cela; si les réactions tendent à s’emballer, cela génère plus d’énergie qui échauffe l’eau et donc diminue sa densité et donc son pouvoir modérateur; c’est un facteur stabilisant (diminution automatique de la puissance).
      Mais vous allez me dire, et Fukushima? Et bien ce n’est pas dû à un emballement des réactions (ce type d’accident n’est jamais arrivé), mais à un défaut de refroidissement des barres de combustible qui renferment des produits de fission hautement radioactifs et qui dégagent de ce fait de l’énergie même après que le réacteur ait été arrêté (arrêt qui a eu lieu). Du fait du tsunami, l’alimentation des pompes qui devaient assurer le refroidissement de ces barres n’a plus été assurée et donc le combustible à commencer à chauffer, jusqu’à fondre et libérer ainsi les produits radioactifs qu’il contenait. Voilà, un peu schématiquement résumé, le déroulé de cet accident, qui n’a donc rien à voir avec un “emballement” des réactions nucléaires.

      1. Le terme d’emballement n’était pas le bon! Merci pour vos précisions.

        Les accidents sont très souvent une suite d’incidents. La très grande complexité d’une centrale et son opération génèrent des incidents, qui au final peuvent devenir des accidents. Si j’en crois https://doi.org/10.1080/00963402.2016.1145910 il y a un accident impliquant la fonte du coeur toutes les 3700 années de coeur.

        Le design des centrales actuelles, dans lesquels l’entier du combustible est déjà présent dans le coeur et dont on freine (modère) les réactions et donc la puissance est un design dangereux. Des mitigations comme le coefficient de vide négatif sont évidement positives mais le mode d’échec peut tout de même être catastrophique, sachant que cette modération à lieu au sein d’un réservoir de dizaines ou même centaines de TWh.

  4. Rappelons que, en mai 2011, lorsque le Conseil fédéral avait décidé de façon précipitée (*), de sortir du nucléaire, il y avait sur la table de Mme Leuthard trois projets de nouvelles centrales nucléaires, déjà très élaborés, qui auraient été à construire sur les sites nucléaires déjà existants. Pour commencer, il suffirait de réactiver l’un de ces trois projets … Un EPR de 1,65 GWe produirait jusqu’à 13 TWh par an (calcul avec un facteur de charge de 90%).
    Rappelons que le nucléaire en Suisse, en moyenne jusqu’en 2019 c’était environ 11 TWh en été (période où l’on fait les révisions) et surtout environ 14 TWh en hiver qui vont manquer (et donc une puissance de 3 GW contribuant au ruban incompressible actuel de 5 GW) !
    Il s’agira de garantir aussi en 2050 la demande d’électricité durant tous les mois d’hiver (avec tout de même 9 TWh d’importation indispensable au semestre d’hiver), semestre où il est prévu de passer à une consommation brute du pays de quelque 45 TWh (soit aussi 10,3 GW) et à 39,5 TWh (soit aussi 9,0 GW) au semestre d’été. Ces chiffres sont tirés des « Perspectives énergétiques 2050+ » de la Confédération, parues au début 2021 ; ils sont ainsi bien plus élevés en 2050 qu’aujourd’hui, du fait des installations de chauffages à pompes à chaleur (1,5 million, soit 16 TWh principalement en hiver, soit aussi 3,6 GW !) et de la mobilité électrique (3,6 millions, soit 13 TWh sur l’année, soit aussi 1,5 GW), puisqu’on devrait renoncer à tout agent fossile pour se chauffer et pour rouler.
    Pour le stockage saisonnier indispensable (à réaliser de l’été sur l’hiver) à partir des excès prévus de production estivale du photovoltaïque, il n’y a que le pompage-turbinage qui soit le plus efficace (75 à 80%), à comparer aux batteries ou au stockage industriel de l’hydrogène (26 à 30% au final pour l’électrolyse + la compression à 350 bars + la pile à combustible), mais le potentiel en Suisse ne pourra pas dépasser les 6 GW déjà prévus pour 8,5 TWh prélevés sur la production. En comparaison, la Grande Dixence représente 2 GW et sa capacité annuelle de 2 TWh serait turbinée en continu en 1’000 heures, soit 41 jours non stop.
    Il faut retenir enfin que la production nationale prévue en 2050 par l’hydraulique (38,9 TWh) est les autres sources renouvelables (39,1 TWh) sera de 78 TWh. La consommation totale d’électricité annuelle du pays (avec 10,5 millions d’habitants) sera en 2050 de 84,5 TWh (y compris le pompage-turbinage), donc la consommation nationale brute sera de 76 TWh (sans le pompage-turbinage, mais y compris les pertes de lignes de 7%, soit 5 TWh), et finalement la consommation nationale nette sera de 71 TWh. Cela me paraît être un minimum à réviser.
    Si l’on voulait se passer des 9 TWh d’importation prévue en hiver (qui ne sera de loin plus garantie par les pays voisins, contrairement à ce qui est écrit dans ces « Perspectives… » !), il faudrait donc créer l’équivalent de 5, voire 6 Grande Dixence ; avec le rendement du pompage-turbinage (75 à 80%), il faut pomper 12 TWh en été pour en avoir 9 TWh en hiver…
    (*) De façon précipitée, en effet, car, à la suite de l’accident de Fukushima survenu le 11 mars 2011, Mme Leuthard, elle-même, a dit tout de suite que ce n’était pas le moment de prendre une décision politique, mais d’en analyser les implications et d’en tirer les leçons pour la Suisse. Aussi a-t-elle judicieusement mandaté l’ENSI-IFSN (Inspection fédérale de la sécurité nucléaire) de préparer un rapport sur ces questions, avec des recommandations en matière de sûreté pour nos centrales. Mais elle n’a pas attendu sa publication, puisque la décision de « sortie » a été prise, intempestivement, le 26 mai 2011, et que le rapport, en quatre volumes excellement préparés par l’IFSN, n’est sorti qu’en juillet et août 2012 :
    https://www.ensi.ch/fr/documents/document-category/rapports-sur-fukushima/

  5. L’imaginaire du tout électrique sans se soucier de la possibilité d’avoir cette énergie à disposition est le reflet de décisions politiques sur des bases émotionnelles. Si l’on se réfère aux prévisions du rapport Meadows et des non moms célèbres du GIEC, les leçons de prévisibilités, même si elles se confirment régulièrement, ont encore de la peine à être entendues, voir tout simplement et stupidement contestées. Le monde des entreprises commence à prendre de l’avance, la population me semble t il aussi, mais les politiques traînent encore les pieds.

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