Quand l’éthique connaît des hics

Des entrepreneurs stigmatisés pour leur soutien au contre-projet à l’initiative «Entreprises responsables», un texte à l’intitulé détourné, des tous-ménages utilisant des logos de médias sans leur consentement: les initiants ne montrent pas vraiment l’exemple qu’ils prêchent.

Rarement campagne aura été aussi âpre dans l’histoire politique suisse. Celle sur l’initiative «Entreprises responsables», soumise au vote du peuple et des cantons ce dimanche, n’a cessé de déraper. Les auteurs de ce texte qui se veut vertueux et exemplaire multiplient les écarts – pour ne pas dire les encarts – ces dernières semaines. Ils ne se contentent plus de stigmatiser les entrepreneurs qui privilégient le contre-projet équilibré proposé par les Chambres fédérales. Ils bafouent allègrement les règles éthiques dont ils se réclament.

Evoquons tout d’abord l’intitulé même de l’initiative: «Entreprises responsables». Elle est devenue, par un tour de passe-passe, «Multinationales responsables», y compris sur les drapeaux appelant à la soutenir qui se multiplient sur les balcons. L’idée est claire: faire croire que seules les grandes entreprises internationales sont concernées. Or il n’en est rien: des milliers de PME pourraient être impactées par les exigences excessives de cette initiative. Abuser ainsi les citoyens n’est guère éthique, on en conviendra aisément. Que dire, ensuite, de l’armada d’internautes qui sévissent sans cesse sur les réseaux sociaux? Prompts à fustiger toutes celles et ceux qui osent se prononcer en faveur du contre-projet, ils ne donnent que rarement l’exemple de bretteurs dignes de ce nom.

Et puis il y a cette série de tous-ménages qui riment eux aussi avec dérapage. L’un d’eux affichait sans vergogne le logo du «Matin dimanche» à l’appui d’une interview où l’ancien parlementaire Dick Marty donnait des leçons de comportement aux entreprises. Plus récemment, un autre tout-ménage a repris le logo de la RTS, ainsi qu’une une fausse citation. Tant l’éditeur Tamedia que la TV publique envisagent la voie judiciaire. Pour de nombreux spécialistes du droit des médias, ces méthodes sont discutables au regard du droit d’auteur et de la protection de la personnalité, car elles laissent entendre que ces entreprises ont pris position en faveur des initiants. Pour le reste, ces tous-ménages à répétition donnent une idée du budget confortable dont disposent ceux qui dénoncent les moyens engagés par les milieux économiques.

Le oui en recul

Ces couacs en cascade ne sont probablement pas étrangers au recul du oui que l’on observe depuis quelque temps dans les sondages consacrés à cet objet. En quelques semaines, nous sommes passés d’un quasi plébiscite de l’initiative à une dernière ligne droite qui s’annonce serrée. C’est l’occasion de rappeler que le contre-projet indirect opposé à ce texte n’est pas la coquille vide que dénoncent les initiants. Il est à la fois exigeant et réaliste. Contrairement à l’initiative, il précise clairement les obligations des entreprises et vise particulièrement le travail des enfants et les minerais à risque. Il repose sur des instruments éprouvés au niveau international et place notre pays dans le groupe de tête des pays en matière de responsabilité des entreprises.

Comme dans toute initiative, chaque camp avance ses arguments dans une démarche démocratique. Avec cette campagne, un pas dangereux a été franchi puisque les initiants manichéens divisent et font pression en cherchant à classer les opposants dans le camp des méchants. Cela ne rend pas service à notre démocratie. Une raison supplémentaire de glisser un non résolu à cette initiative dans l’urne.

Photo: AdobeStock

Claudine Amstein

Claudine Amstein est la directrice de la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie, depuis 2005. Après avoir été juriste et secrétaire générale de la Chambre vaudoise immobilière, elle en reprend la direction en 1993. Elle a été constituante au Grand Conseil vaudois, avant d’en être députée pendant dix ans. Elle est très engagée dans les associations faîtières de l'économie suisse.

4 réponses à “Quand l’éthique connaît des hics

  1. Il y a toujours des abus dans tous les camps, c’est… humain.

    Mais l’éthique n’est sans doute pas de distribuer une brochure de votation biaisée, comme toujours, avec les avis du Parlement +CF, partout, jusqu’à la dernière page de couverture.

    En encore moins de ne pas joindre le contre-projet, tout en indiquant qu’en cas de refus, celui-ci s’appliquera, gage de hauts standards, et de rapidité de mise en oeuvre des mesures.
    La Chancellerie devrait être attaquée, pour un tel abus!

    Alors que celui-ci stipule simplement l’obligation de mentionner dans son “rapport annuel” (rédigé par des agences de com) les efforts entrepris. A moins que j’ai mal lu?

    Pour les “milliers, voire dizaine de milliers (selon KKS)” de sous-traitants (et non d’entreprises contrôlées), nous avons déjà eu l’occasion d’échanger à ce sujet 🙂

    1. Nous ne sommes pas au même niveau législatif: l’initiative consiste en une modification de la Constitution qui, la plupart du temps, va conduire à une loi d’application, laquelle nécessitera encore deux ou trois ans de travaux parlementaires. Le contre-projet indirect permet au Parlement de proposer une alternative sans modifier directement notre Charte fondamentale. Le peuple ne se prononce ainsi pas sur le contre-projet indirect, qui entre en vigueur lorsque l’initiative est refusée.

      Du coup, la brochure respecte totalement les droits civiques.

  2. De part ce titre, vous vous placez comme “garante” de l’éthique et l’on pouvait s’attendre à un article qui place l’éthique au-dessus de tout.

    En le lisant, on découvre qu’il s’agit simplement d’une mise en avant d’une idée que vous soutenez tout en condamnant l’autre.

    Ainsi au moment où vous parlez de votre éthique, elle disparaît.

    1. Je ne parlais évidemment pas de mon éthique, avec laquelle je suis en paix, mais de celle dont se prévalent ceux qui veulent imposer des règles qu’ils ne respectent pas eux-mêmes.

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