Face à la menace de black-out en Suisse, quel courage politique?

«C’est vrai, nous n’en avons pas fait assez ces dix dernières années.» Le constat – ou l’aveu ? – de Simonetta Sommaruga à l’antenne de la RTS a de quoi laisser perplexe. Face au risque de pénuries d’électricité en hiver d’ici à 2025, il semble légitime d’attendre de nos autorités politiques une vision stratégique, une anticipation mais aussi davantage de courage.

Fukushima, c’était il y a dix ans, mais qu’a-t-on fait depuis? « Une loi », se réjouit la Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga, permettant notamment d’investir davantage. Et ensuite? Pas grand-chose malheureusement. Les milieux économiques insistent depuis longtemps sur les défis à relever pour assurer notre approvisionnement énergétique. Une problématique aujourd’hui encore aggravée par l’abandon des négociations sur l’Accord-cadre avec l’Union européenne ; la Suisse étant exclue des décisions concernant le marché de l’électricité européen.

Il faut savoir que ceux que l’on appelle les « gros consommateurs énergétiques » sont déjà ceux qui ont le plus agi pour diminuer leur impact ces dernières années. Les autorités leur demandent de faire des efforts supplémentaires, soit, mais cela ne sera pas suffisant. Quelles solutions le Conseil fédéral va-t-il mettre en œuvre face à ce défi d’une importance majeure pour nos infrastructures, nos entreprises mais aussi le chauffage et la sécurité de tout un chacun? Sait-il seulement comment et quand ces solutions seront opérationnelles, et combien cela coûtera-t-il? Loin s’en faut, puisqu’il nous parle encore d’options. Suite au risque de pénuries mis en lumière ces derniers jours et à la légèreté avec laquelle cette problématique semble avoir été traitée, certaines entreprises membres de la CVCI sont restées abasourdies.

Des choix à clarifier, puis assumer

Le Conseil fédéral n’a-t-il réellement pas pris la mesure de l’enjeu, pourtant déjà connu avant qu’il ne complique davantage la partie en bottant en touche l’Accord-cadre institutionnel avec l’UE? La décision d’abandonner à terme le nucléaire imposait de concrétiser dans la foulée un plan d’action d’envergure. Il ne suffit pas de dire « investissez dans le renouvelable » quand, en pratique, installer des éoliennes ou des panneaux solaires s’avère si souvent un chemin de croix – voire une utopie – face aux oppositions de tous bords. Et ce n’est qu’un frein parmi d’autres…

Puisque 2025 c’est demain, des solutions moins « vertes » semblent à nouveau envisagées. Principe de réalité oblige. Selon les uns, un réseau de mini-centrales à gaz pourrait ainsi apporter un complément précieux en hiver, durant les pics de consommation (lire à ce propos Le Temps). Comme l’urgence est déjà là, toutes les pistes méritent en effet d’être explorées, sans hypocrisie – le nucléaire français n’est pas plus «politiquement correct» que le nôtre.

Sans solution, une étude de l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) le confirme, la Suisse pourrait subir des coupures d’électricité durant deux journées entières en hiver 2025. Face à ce constat, notre pays ne peut pas faire l’autruche et mettre en danger tout son tissu économique et industriel, mais aussi ses habitants. Des choix pragmatiques s’imposent pour assurer notre approvisionnement électrique, mais qui en aura le courage politique?

Photo: AdobeStock

Claudine Amstein

Claudine Amstein est la directrice de la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie, depuis 2005. Après avoir été juriste et secrétaire générale de la Chambre vaudoise immobilière, elle en reprend la direction en 1993. Elle a été constituante au Grand Conseil vaudois, avant d’en être députée pendant dix ans. Elle est très engagée dans les associations faîtières de l'économie suisse.

9 réponses à “Face à la menace de black-out en Suisse, quel courage politique?

  1. Comme nombre de mes collègues énergéticiens, j’ai dénoncé en 2011 la décision émotionnelle et irréfléchie prise après l’accident de Fukushima, sans étude préalable suffisante des conséquences et des mesures compensatoires concrètes à mettre en place, de “sortie du nucléaire”. Mis à part que les circonstances de l’accident de Fukushima ne peuvent pas se produire en Suisse (un séisme d’une magnitude de 9,1 ? un tsunami sur le Léman ?! 🙂 ), il aurait au moins fallu prendre le temps d’évaluer sérieusement les conséquences et mettre IMMEDIATEMENT en place des mesures drastiques pour faire face au manque de production, en particulier, hivernale, que l’arrêt de nos centrales nucléaires allait provoquer. Non seulement il n’en a rien été, mais on en a depuis “rajouté une couche” avec l’abandon unilatéral de l’accord institutionnel avec notre principal partenaire commercial qui va nous exclure du marché électrique européen (en tout cas pour ce qui est des décisions et des garanties d’approvisionnement). Toutes erreurs que nous allons, je le crains, payer sous peu fort cher et cash.

    1. Pleinement d’accord avec vous. A quand les rétractations en série de ceux* – Conseil Fédéral en tête, parlementaires de tous bords, journalistes, scientifiques… – qui nous ont précipités dans l’ornière?
      Le hic, c’est que le 21 mai 2017, le peuple a accepté la révision de la loi sur l’énergie par 58,21% de OUI et une participation de 42.89% (plus de 70% de OUI dans les cantons de Vaud & Genève!) – loi qui inclut la sortie du nucléaire et bien d’autres fadaises.
      Vous avez raison: l’addition va être salée.

      * Je peux citer des noms.

  2. Le nucléaire n’est pas une solution d’avenir, mais il fallait investir davantage pour le solaire et s’assurer de l’interconnexion électrique européenne!
    Mais rien n’a été entrepris… Le CF s’est endormi sur ses déclarations et attend des autres que les choses bougent…
    On peut commencer par débloquer le projet du groupe E concernant sa centrale à Cornaux et arrêter de mettre des bâtons dans les roues de tous les projets éoliens pour des motifs futiles…
    On peut aussi arrêter de gaspiller l’électricité en laissant tout allumé 24h/24.
    En stockant une partie de l’énergie consommée en hydrogène, on pourrait l’utiliser plus tard dans des centrales permettant d’éviter des black-out…
    Il ne faut pas rejeter systématiquement toute solution proposée, mais AGIR…

  3. Pendant ce temps, en Chine, ils prennent une avance considérable dans la recherche et production de petites centrales nucléaires et vont intelligemment inonder le marché mondial de leurs produits uniques, qu’ils vendront avec un joli Premium car sans concurrence. Stratégie de toute beauté.
    En Europe et Suisse itou, la production d’énergie est un problème exclusivement politique et on fait passer des lois pour interdire les voitures thermiques dans quelques années (exemple Lausanne) sans se préoccuper un instant de la fourniture de l’électricité.
    C’est de la pure démagogie politicienne doublée d’un obscurantisme époustouflant. Dire que Lausanne abrite un fleuron des écoles techniques avec l’EPFL, ce qui montre bien que notre fédéralisme s’applique de manière structurelle et verticale, sans aucune communication entre les parties.
    De plus, l’arrogance de la Suisse vis-à-vis de l’Europe qui est notre plus grand partenaire économique (négociations bilatérales, avions de combat), va se payer très cher, car tout le monde nous attend au virage; qui pourrait commencer par l’énergie.
    Nos politiciens auront à rendre des comptes…!

    1. Cette lubie nucléaire sera de courte durée comme la disponibilité des ressources en uranium!
      En effet, selon l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA), les ressources mondiales identifiées dont le coût d’extraction est inférieur à 130 USD/kg représentent à ce jour plus de 5,9 millions de tonnes (Mt), soit l’équivalent d’un siècle de consommation au rythme actuel de 61’000 tonnes, mais qui ne représentent qu’un faible pourcentage de la production électrique mondiale!
      Donc, soit on se contente du pourcentage actuel, soit on limite la consommation dans le temps, juste la durée d’une centrale…
      D’autre part, les projets nucléaires en Suisse des années 1960-80 pouvaient encore trouver des espaces relativement libres de population, mais 60 ans après, la densité de population s’est intensifiée et plus question de construire des usines de production de déchets nucléaires à nos portes…
      J’ajoute que la France prévoit aussi des petites centrales dans un avenir aussi incertain que la mise en production de ses EPR…
      Dans tous les cas, le nucléaire ne couvrira pas les besoins futurs…
      Il faudra bien se résoudre à comprendre que la ressource d’énergie illimitée et suffisante est solaire (10 puissance 17 watts reçus sur Terre, 10 puissance 26 en totalité), dont l’homme ne verra pas la fin…
      Le reste n’est que littérature…

      1. Avec une constante solaire de 1361 W/m2 et un albédo de 30%, l’énergie solaire totale reçue au sol en une année est d’environ 1000 millions de TWh, à comparer à une consommation d’énergie primaire par l’Humanité de 116’000 TWH env., soit de l’ordre de 9000 fois plus. MAIS, seule une petite fraction de cette énergie est réellement utilisable par l’Homme pour ses besoins “techniques” (sans même parler des efficacités de conversion, inférieures à 30%) et, surtout, le défaut de cette source d’énergie est d’être le moins disponible lorsqu’on en a le plus besoin, càd. en hiver. Je le sais d’autant plus que j’ai des panneaux PV sur ma maison et je suis bien content en hiver d’avoir le réseau. alimenté à près de 50% par nos centrales nucléaires en cette saison, pour pallier au déficit de production solaire!

  4. Vous me faites rire avec votre nucléaire: les ressources en uranium sont estimées à 5.9 millions de tonnes pour une consommation annuelle de 61000 tonnes, soit un peu moins d’un siècle pour une production électrique couvrant à peine 10% des besoins mondiaux!
    On ne va pas loin avec ces chiffres, à peine la durée d’une centrale…

    1. Très heureux d’avoir pu ensoleiller votre triste journée avec un rire 😂, toujours est-il qu’on parle depuis 30 ans du pic de pétrole et on en trouve toujours autant. Il en sera de même pour les combustibles nucléaires, qui seront trouvé assez longtemps pour enfin avoir des panneaux solaires efficaces et durables, ou maîtrise des sources thermiques, elles aussi inépuisables.

    2. Parce qu’on n’utilise essentiellement que le 0,7% d’uranium-235 contenu dans le minerai, alors qu’avec la surgénération (réacteurs de Génération IV) on multiplie la production par un facteur 60-70 au moins; et même plus encore, car ces nouveaux réacteurs ont une efficacité thermique supérieure à celle de nos “vieux” LWR. Cerise sur le gâteau, certains de ces réacteurs peuvent “brûler” les déchets de longues durées de vie et en tirer donc de l’énergie supplémentaire. L’utilisation actuelle du minerai d’uranium est un peu comme si dans le cas du pétrole on n’utilisait que la fraction de plus haute qualité (essence d’aviation) en sortie de raffinerie et rejetait tout le reste comme “déchet”!

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