«Il existe un courant qui dit que je vais d’abord m’occuper de mes propres intérêts, et au final tout le monde se portera bien. J’en doute fort.» En familière des lieux, Angela Merkel est venue prêcher la parole du multilatéralisme au Forum économique mondial de Davos, la semaine dernière.
Figure rassurante de la rationalité politique, flanquée du premier ministre japonais Shinzo Abe et de quelques autres chantres d’une approche régulée et consensuelle des rapports économiques mondiaux, la chancelière allemande n’en est pas moins au crépuscule de sa carrière de leader, et sa voix semble désormais ne plus porter au-delà des convaincus.
Ceux-ci, majoritaires dans la station grisonne, se font du mauvais sang. Ils voient arriver mars avec une anxiété croissante. Car c’est au début de ce mois que l’administration Trump a fixé le délai pour conclure un accord avec la Chine autour d’un conflit commercial qui commence à faire sentir ses effets sur l’économie chinoise – et donc sur la croissance mondiale. Et c’est à fin mars, le 29 précisément, que le Brexit doit en principe entrer en force. Mais le camouflet enregistré par la première ministre Theresa May, à qui le parlement britannique a refusé très nettement son plan de sortie négocié avec l’Union européenne, rend cette échéance peu plausible, et accentue encore les incertitudes liées à la mise en œuvre du départ du Royaume-Uni.
De même, rien ne semble prêt pour que Chine et Etats-Unis ne trouvent une solution à leur conflit. Par vidéoconférence interposée, Mike Pompeo, le chef de la diplomatie américaine, a mis des conditions préalables si éloignées des réalités actuelles (sur la démocratie et l’ouverture des eaux territoriales) qu’on voit mal Beijing transiger en quelques semaines. De son côté, le vice-président chinois Wang Qishan, accompagné d’une impressionnante délégation, a balayé toute ingérence de quiconque dans les affaires de son pays, tout en prônant pour une forme de multilatéralisme qui sert les intérêts de l’Empire du Milieu.
Faut-il se dire que ces effets de manche céderont le pas au pragmatisme et que des solutions vont émerger, peut-être pas en mars, mais avant l’été? Faut-il croire que tout va finir par s’arranger, parce que personne n’a vraiment le choix et que, comme l’a dit benoitement le vice-président Qishan, les économies américaines et chinoises sont intrinsèquement imbriquées?
D’autres issues à considérer
C’est une hypothèse. Mais un rapide coup d’œil aux événements des deux dernières années doit nous apprendre à considérer sérieusement d’autres issues. Donald Trump est (toujours) à la Maison-Blanche et continue d’y pratiquer une politique erratique, les gilets jaunes défilent dans les rues de France et défient les institutions et le président, dont le pouvoir italien souhaite ouvertement la chute, un maire d’une grande ville européenne (Gdansk) s’est fait poignarder en pleine rue, le Brésil a rejoint la liste des grands pays émergents dirigés par un homme à poigne, qui veut rediscuter d’à peu près tout… On s’arrêtera là.
Et la Suisse dans tout cela? Elle est entrée dans un dialogue de sourds avec son principal partenaire économique, l’Union européenne, une confrontation encore exacerbée à Davos par de petites phrases révélatrices. Là aussi, l’issue semble plus incertaine que jamais. Et l’incertitude est le pire des poisons pour l’économie.
Dans ce contexte qui va nécessiter de garder son sang-froid et de ne céder ni aux modes, ni aux excès, pour préserver les atouts phares qui font la force de nos entreprises (souplesse, pragmatisme, stabilité du droit et des conditions-cadres), il va falloir se battre pour écarter les embûches intérieures que constituent trois scrutins potentiellement dévastateurs pour l’économie suisse: en février, l’initiative «stop au mitage», qui paralyserait le développement économique suisse tout en ne tenant pas compte des effets déjà perceptibles de la loi sur l’aménagement du territoire; et en mai, le référendum contre la nouvelle loi sur les armes, derrière lequel se cache l’intention de sortir de l’accord de Schengen/Dublin, ce qui entraverait grandement la liberté de commerce et de mouvement de notre pays qui, rappelons-le, vit de l’exportation, mais aussi celui contre le projet alliant fiscalité des entreprises et renflouement de l’AVS, qui risquerait de précipiter la Suisse sur une liste noire ou grise des paradis fiscaux et de menacer le financement des retraites.
Résumons en une formule: mars risque d’être déjà assez rouge comme ça sans que nous y ajoutions du piment…
Crédit photo: WEF
Bien dit, mais rappelons qu’en Suisse les nostalgiques de 1291 ont œuvré pour que environ 30% des votants suivent leur vision de sortir de tout accord européen et de privilégier l’alleingang, sans savoir où ils allaient ! Dans d’autres pays des leaders politiques ont opté et manœuvré avec les mêmes illusions…… et avec quel résultat ? Et pour qui au fait ?
On est encore en démocratie, alors il faut rester vigilants….