Le CHUV mérite une gouvernance moderne

Fleurons de la médecine suisse, garants de la haute qualité des soins et de la recherche de pointe en matière de santé, les  grands hôpitaux universitaires suisses sont de fascinantes organisations. Elles attirent des talents du monde entier et totalisent des dizaines de milliers d’emplois, destinés à la meilleure prise en charge des patients. Leurs budgets sont à la hauteur de leur mission et de leurs responsabilités. Pour gérer cette complexité, ces établissements d’importance vitale sont dotés d’une certaine autonomie. Et d’un conseil d’administration représentant diverses facettes de la société, et des compétences complémentaires pour s’insérer dans le système suisse de santé.

Tous, sauf un : le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), qui n’est qu’un service de l’Etat, directement soumis à l’exclusive autorité du chef du Département de la Santé et de l’Action sociale (DSAS). Même les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) n’ont pas de cordon ombilical aussi net avec le pouvoir politique – même si celui-ci est largement représenté au sein du conseil d’administration. A Zurich, à Berne, à Bâle, les structures varient quelque peu mais elles adoptent toutes le principe d’un organe de surveillance stratégique, qui englobe aussi plusieurs établissements affiliés.

A l’heure où les enjeux stratégiques et financiers du système de santé suisse n’ont jamais été aussi importants, cette singularité n’est pas sans poser de sérieuses questions. La première saute aux yeux : le conseiller d’Etat en charge de la Santé est plus souvent qu’à son tour juge et partie. Il arbitre les financements croisés, puisque le canton finance une partie des soins et décide comment cet argent est dépensé dans le cadre du CHUV ; il décide de la politique d’acquisition des équipements lourds ; il tranche sur le nombre de lits accordés au domaine privé. Cette double casquette souveraine d’employeur et “subventionneur”, source de conflits d’intérêt, ne va pas sans poser problème. Non seulement aux établissements privés, mais aussi aux hôpitaux régionaux.

 

“Sur le plan financier, le budget du CHUV n’occupe que deux des 283 pages du budget cantonal.” (Crédit image: Gzzz)

 

De manière plus générale, la nécessité de veiller à une efficience optimale dans la maîtrise des coûts et la gestion des ressources exige une approche moderne et ouverte de la gouvernance hospitalière. Les enjeux sont colossaux. La spécialisation des domaines de pointe le dispute à l’importance croissante des traitements ambulatoires, à la pression démographique grandissante, à des traitements lourds toujours plus chers, et à une concurrence internationale très forte pour continuer de s’assurer le concours des meilleurs.

Sur le plan financier, le budget du CHUV n’occupe que deux des 283 pages du budget cantonal. La proportion en francs est différente : le CHUV touche 1,3 milliard là où l’Etat en dépense au total 9,3 milliards ! Ces chiffres démontrent presque à eux seuls la nécessité d’une réflexion de fond autour de la façon dont est régi le géant hospitalier vaudois.

Pour faire face à ces défis, il doit pouvoir s’appuyer sur des partenariats de tous ordres. Ceux-ci doivent répondre à des critères de qualité et d’efficacité. Une approche pragmatique, et non dogmatique, est indispensable pour permettre de dégager les meilleures pratiques. La supervision du CHUV par un organisme indépendant – où l’Etat aurait naturellement sa place, mais pas de manière prépondérante – s’inscrirait dans cette approche « métier ». Et permettrait une analyse indépendante, dynamique et novatrice de sa stratégie.

Le 22 août dernier, les quatre principales organisations économiques vaudoises ont présenté un catalogue de mesures qu’elles estiment utiles à l’avenir du canton. La transformation du CHUV en établissement autonome de droit public, doté d’un conseil d’administration, y figure en bonne place. Partout, la pression augmente pour une meilleure gouvernance, plus transparente, plus indépendante. Financé par les deniers publics et privés, pourvoyeur de plus de 10’000 emplois, stratégique pour le canton et le pays, le CHUV ne peut échapper à cette indispensable mise à jour.

Claudine Amstein

Claudine Amstein est la directrice de la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie, depuis 2005. Après avoir été juriste et secrétaire générale de la Chambre vaudoise immobilière, elle en reprend la direction en 1993. Elle a été constituante au Grand Conseil vaudois, avant d’en être députée pendant dix ans. Elle est très engagée dans les associations faîtières de l'économie suisse.

4 réponses à “Le CHUV mérite une gouvernance moderne

  1. Chère Madame,
    Je ne peux que vous féliciter de cette analyse et de vote prise de position. J’ai moi-même quitté la direction du service de Gastro-entérologie et un poste de vice-doyen pour l’aventure du privé en bonne partie en raison de la dictature de Mr P.-Y. Maillard. Le dogmatisme politique dominait beaucoup trop sur le pragmatisme et aussi sur les réalités de la pratique médicale et du recrutement de talents.
    Les problèmes de gouvernance que vos citez sont en outre aggravés par une sérieuse tendance à noyauter le pouvoir du CHUV par des membres du parti socialiste, aggravant le manque d’indépendance de l’hôpital. L’affaiblissant les aspects académiques, notamment la recherche, au sein de l’institution, reflète également le malaise des cadres médicaux.
    Je reste à votre disposition et à celle du CHUV, qui pourrait, je pense, encore bénéficier de mon expérience des grands hôpitaux américains ainsi que de celle que j’ai accumulée dans le privé, pour autant qu’émerge une volonté de changer le mode de fonctionnement du centre hospitalier.
    Avec mes meilleures salutations.
    Pr P. Michetti

  2. Offrir une fois de plus notre santé à des personnes avides d’argent et de pouvoir, non merci. Que le CHUV reste le dernier irréductible hôpital et acteur de la santé face à ces loups. Merci Monsieur P.-Y. Maillard pour votre dévouement, votre travail et votre intégrité exemplaire.

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