Commerce local: l’émotion face au net

Avec chaque changement dans les habitudes des consommateurs viennent les craintes des commerçants. Ces craintes sont légitimes même si elles ne sont pas nouvelles. L'obsolescence de certains produits ou métiers inquiète, car avec eux s'en vont des emplois et même des entreprises. Mais, en réalité, chaque nouvelle technologie apporte son lot de nouvelles opportunités. Les entreprises et les économies s'adaptent, à condition de s'en donner les moyens. Ainsi, des secteurs entiers se sont accrus grâce à un changement dans la manière de consommer. L'exemple le plus récent reste le modèle low-cost d'aviation Easyjet, qui fête ses vingt ans cette année. La part de vols opérés par la compagnie représente 40 % des vols partant de Genève aéroport. Cette réussite est due au fait qu'Easyjet a proposé, au moment opportun, une nouvelle façon de voyager, basée sur la réservation en ligne et avec un service de base minimal. Les autres compagnies n'ont pas eu d'autres choix que de suivre. Il y a eu des conséquences négatives comme des disparations, des fusions…mais, dans les faits, le transport n'a fait que de se développer depuis la naissance de ces modèles d'affaire. La concurrence a fait baisser les prix, le voyage par avion est devenu plus accessible car moins coûteux, donc de nouveaux clients ont pu s'offrir des billets d'avion.

C'est l'innovation de rupture, un changement pour les consommateurs qui apporte des bénéfices supérieurs pour un coût considérablement inférieur. C'est le cas des applications mobiles et de cette nouvelle façon de consommer. En Suisse, on a encore un peu de retard sur le e-commerce par rapport à des pays comme l'Angleterre (où plus du 20 % du chiffre d'affaire de la distribution se fait en ligne), mais la tendance va clairement vers une augmentation du commerce en ligne, ce qui peut représenter des opportunités pour le commerce local, car le changement de la manière de consommer a aussi changé le consommateur. Il est devenu plus volatile. L'aviation nous le montre clairement : le même client peut être habitué à voyager en première classe et prendre Easyjet une fois de temps en temps. A l'inverse, une personne au revenu plus modeste peut s'offrir un produit ou un service de luxe occasionnellement. C'est le cas dans d'autres secteurs : affectionner les grands restaurants n'empêche pas le fast-food et inversement.

Ainsi, et bien que la concurrence générée par le web se traduise forcément par des pertes de clients et de volume d'affaires dans certains domaines, elle génère aussi des opportunités pour le commerce local. Car, révolution web ou non, le consommateur a toujours besoin des mêmes choses qu'avant (alimentation, vêtements, distractions…). Les occasions de convaincre d'acheter local restent entières. On peut, par exemple, mettre en avant la qualité, la proximité et la disponibilité immédiate du produit. Il y a aussi les préférences personnelles. Certaines personnes préfèrent aller chez le libraire du coin, par habitude ou par affection. C'est la même chose pour d'autres types de commerces. Les souvenirs associés à des endroits, la discussion engagée avec un marchand, le fait de s'imprégner d'un cadre sont autant d'émotions qu'on ne retrouve pas avec la commande sur internet. Les prix plus avantageux ne sont pas une raison suffisante pour décider de tout acheter sur internet. Avec un conseil avisé, un cadre sympathique, le commerçant local garde ses chances face à la concurrence du web.

Il peut aussi voir cette façon de communiquer comme un allié, qui lui permet de toucher un bassin de population quasi infini et d'accroitre sa clientèle en organisant des événements ou en proposant aux clients de commander sur son site internet. Contrairement à l'idée répandue, internet n’est pas en train de tuer le modèle commercial traditionnel. Ces transformations nous obligent à innover constamment, à chercher des solutions pour convaincre le consommateur. Et c’est bien là que les commerçants locaux ont une carte à jouer en misant sur la qualité et l'émotion. Internet a révolutionné la manière de préparer et réserver ses vacances, de regarder la télévision, d'acheter et même de travailler. Il est possible jusqu'à un certain point de freiner ces changements, pas de les empêcher. La seule chose à faire est de s'adapter. Mais les commerçants ne sont pas les seuls à devoir s'adapter. Rappelons qu'une grande partie des lois a été créée avant l'arrivée d'internet, elles doivent aussi s'adapter pour éviter une concurrence déloyale et que tout le monde puisse jouer avec les mêmes règles.

Claudine Amstein

Claudine Amstein est la directrice de la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie, depuis 2005. Après avoir été juriste et secrétaire générale de la Chambre vaudoise immobilière, elle en reprend la direction en 1993. Elle a été constituante au Grand Conseil vaudois, avant d’en être députée pendant dix ans. Elle est très engagée dans les associations faîtières de l'économie suisse.