Les humanités digitales à Paris: l’Europe de DARIAH

C’est dans le pittoresque chalet de la Porte Jaune, bois de Vincennes à Paris, que se réunissent pendant deux jours des chercheurs de nombreux pays européens sous l’étendard de l’infrastructure de recherche européenne – l’ERIC – nommé DARIAH, Digital Research Infrastructure for Arts and Humanities, infrastructure de recherche pour les arts et humanités, ou pour les sciences humaines, comme nous avons encore l’habitude de les nommer [1].

Cet événement annuel permet chaque année à quelques chercheurs suisses de croiser leurs collègues et de prendre la mesure des nouveautés et avancées scientifiques à la croisée de la recherche fondamentale et des infrastructures de recherche. A DARIAH, infrastructure rime en effet avec recherche, ainsi qu’avec enseignement, selon le nom que porte l’un des secteurs de DARIAH, «Recherche et Education ». Penser et écrire dans la matière digitale conduit à mettre constamment en synergie recherche, enseignement et infrastructure.

A quoi sert donc ce genre d’événement? Premièrement, à découvrir des projets et prendre la mesure du travail de fourmi au quotidien pour faire émerger les humanités digitalisées, par exemple dans le projet Women writers, conduit par la professeur de littérature française Amelia Del Rosario Sanz Cabrerizo (Madrid). Animé par des chercheurs et étudiants enthousiastes, ce projet en libre accès met en évidence l’apport méconnu et fascinant des femmes dans la littérature européenne. Les échanges furent nourris dans la rencontre sur ce thème, notamment sur ce qui stimule ou freîne les étudiants à entrer dans ce type de démarche. Toute transformation de l’enseignement demande du temps et une mise en place au jour le jour. Le résultat est là, accessible à chacune et chacun. Avec la culture digitale, les humanités sortent des murs académiques.

Deuxièmement, ce type d’événement est un bouillon à idées. Que de perspectives intéressantes sur l’Open Science, la «Science Ouverte». Parfois, on est aussi surpris: un orateur nous a demandé si nous considérions les articles scientifiques comme encore nécessaires, et s’il ne convenait pas plutôt d’encourager la mise à disposition de nos données en libre accès! Le propos, bien qu’extrême, m’a fait réaliser une fois de plus l’absence des éditeurs dans ce type de rencontres. Autour de la publication numérique, de nouvelles alliances sont à imaginer, le partenariat aux éditeurs restant un lieu essentiel de l’expression des humanités, de leur évaluation et certification, de leur lien à la société. Il y a encore des networks à construire, mais c’est bien à cela que sert DARIAH, l’ERIC des networks pour les humanités en voie de digitalisation [2].

Enfin ce colloque annuel permet de se familiariser avec la dimension européenne de la recherche, la diversité de ses langues et de ses idées, de ce qu’elle promeut et encourage. Avec Matthieu Honegger (Université de Neuchâtel), nous sommes partenaires pour la Suisse du projet de recherche H2020 DESIR, dont l’un des nombreux objectifs est de construire la candidature suisse à l’ERIC DARIAH, sous le lead de l’Académie Suisse des Sciences Humaines et Sociales. Les humanités digitales en Suisse sont en train de se mettre en réseau grâce à ce partenariat, qui rassemble désormais huit institutions académiques suisses (Bâle, Berne, EPFL, Lausanne, Genève, Neuchâtel, SAGW, Zurich). Un workshop sera la vitrine de ces activités suisses et de leurs liens à DARIAH, les 29 et 30 novembre prochains à l’Université de Neuchâtel, save the date!

[1] Les humanités numériques ou digitales sont en train de parvenir à faire revenir d’un usage courant en français le terme d’«humanités» au pluriel, qui était devenu désuet. Voir par exemple la nouvelle revue Les Cahiers d’Agora: revue d’humanités.

[2] CLARIN est le second ERIC en humanités digitalisées. Il n’y a pas d’ERIC pour les humanités sans la dimension informatique. L’ERIC des sciences sociales est CESSDA; la Suisse en est membre observateur. Sciences humaines et sociales se trouvent parfois associées à certains ERIC, comme SHARE.

Culture digitale et formation : la jungle d’un défi

Dans le flot des nouvelles, le nombre des jeunes de 25 ans sans formation en Suisse Romande est une information particulièrement alarmante, transmise le 23 janvier par la RTS : «A Genève, 16,9% des jeunes de 25 ans n’ont achevé aucune formation post-obligatoire. Ni apprentissage, ni gymnase, ni école de culture générale. Ils forment une population vulnérable, qui risque de ne trouver que des emplois précaires, voire de tomber au chômage ou à l’aide sociale». Le chiffre grimpe jusqu’à 21,8% pour les jeunes hommes d’origine étrangère.

Nous aurions grand tort de ne pas prêter l’attention la plus vive à une telle nouvelle. Elle contraste fortement avec ce que Mark Zuckerberg annonce être un investissement aux consonances quasi philanthropiques de Facebook en France, «injecter dix millions d’euros dans le secteur de l’intelligence artificielle et […établir] un programme de formation aux outils du numérique», comme l’annonce un article du Monde du 22 janvier dernier, en libre accès. Il s’agirait, pour ce qui concerne la formation, «d’un partenariat avec plusieurs universités françaises (dont la liste reste à déterminer) pour financer des bourses d’études, d’excellence et de doctorats en mathématiques, physique, informatique et ingénierie des systèmes complexes».

Classe d’informatique à San Ramon, 1999; auteur: ZackClark ; domaine public; https://commons.wikimedia.org/wiki/File:HN999sRamon~ComptrFoto.jpg

Comment ne pas avoir l’impression d’un fossé digne du delta de Corinthe, et destiné à s’élargir inexorablement, entre ces deux nouvelles : d’un côté des jeunes laissés en rade de la société hyper-numérisée, de l’autre une tornade de recherches digitales menées peut-être bientôt par les grandes entreprises de réseaux sociaux en monde académique ! C’est évidemment la spirale caricaturale dont personne ne veut, j’ose espérer. Pour l’éviter, elle demande notre mobilisation claire et rapide, particulièrement parce que notre pays a toujours investi à raison dans la formation, et a la chance de pouvoir le faire.

En Suisse romande, il semble heureusement de plus en plus clair que différents acteurs, des politiciens aux enseignants, agitent la sonnette de l’importance de la formation, en particulier à la culture digitale. Lors de la Matinale sur la 1ère de la RTS ce matin, le doyen de la Faculté HEC de Lausanne dressait le tableau suivant : «On est dans une société plus instable et qui crée de l’incertitude pour tout le monde, en fait, et de l’instabilité, mais aussi de l’opportunité. […] Je pense qu’on a une responsabilité extrêmement importante pour donner la meilleure formation possible aux gens. Une partie des inégalités est liée à l’interaction entre deux facteurs, le talent d’un côté et l’éducation de l’autre». Et l’universitaire de souligner l’importance de savoir donner confiance et d’être crédible.

Si c’est bien cela que nous devons faire, alors l’équation sans inconnue posée en début de cet article se laisse résoudre : résistons aux sirènes de Mark Zuckerberg, et ce même si le monde académique français est plus en recherche de fonds que le monde académique suisse. Et misons urgemment sur la formation continue de tous les citoyens dès leur sortie des lieux de formation, et en particulier s’ils n’ont aucun diplôme à faire valoir. La formation continue est sans doute la plus urgente préoccupation que nous devrions avoir en matière d’éducation. Au vu des défis qui nous attendent tous sur le chemin de la mutation numérique, je ne vois aucune profession qui pourrait aujourd’hui réclamer d’en être dédouannée. A commencer par nos politiciens, dont ce reportage au téléjournal RTS du 4 janvier dernier expliquait que les «dossiers informatiques» sont «leur talon d’Achille», à notre grand dam. Il ne reste plus qu’à espérer que nos parlementaires se mettent à l’écoute de la loi qu’ils ont votée : la formation continue est de la responsabilité de chacun, en partenariat avec l’employeur et la Confédération [1].

[1] Voir https://alice.ch/fr/themes/politique-de-la-formation/: « Responsabilité : la loi précise que « la formation continue relève de la responsabilité individuelle ». L’employeur et la Confédération prennent cependant aussi une part de responsabilité en soutenant et en «encourageant» la formation continue » ; consulté le 24 janvier 2018.

«Radio Paris ment…» (1942): souvenons-nous avant d’aller voter

27 février 1942: la radio française libre égrène depuis Londres les célèbres «messages personnels» du jour, transmettant de fait des informations aux réseaux de la résistance: «Le manchot la serre dans ses bras; le fantôme n’est pas bavard; l’abbé est nerveux; la bibliothèque est en feu…». Précédés du célèbre refrain «Radio Paris ment, Radio Paris ment, Radio Paris est allemand». A écouter sur youtube, surtout si vous n’avez plus la mélodie en tête.

Ce refrain a bercé aussi les oreilles des Suisses romands durant les années de guerre. Il était le lien ténu avec un autre monde, qui préparait la résistance pour et avec ceux qui étaient au seul bénéfice de «Radio Paris». Pour moi, il suffit de nous replonger quelques instants dans ce contexte pour savoir immédiatement à quel point des médias d’information payés par la collectivité publique sont indispensables. Nous ne sommes pas en temps de guerre, rispoteront d’aucun, relativisant le contexte particulier dont il est question. Mais sommes-nous en temps de paix?

On reste sidéré de lire que Charlie Hebdo doit verser le gain d’un numéro vendu sur deux pour assurer la sécurité de ses locaux et de ses employés, désormais. Fabrice Nicolino, membre de l’équipe rédactionnelle, demande dans cet article du 6 janvier dernier : «Est-il juste que la République française ne garantisse pas réellement le droit de Charlie à réunir son équipe, à réaliser son travail hebdomadaire sous la protection efficace de policiers de la République ? ». Au point que l’ancienne secrétaire d’État française chargée de l’Aide aux victimes, Juliette Méadel, a proposé le 9 janvier de créé un «impôt Charlie Hebdo» pour financer la liberté d’expression. En France, on soulève donc la question des fonds publics même pour un représentant de la presse écrite.

… et nous, au contraire, nous supprimerions l’information subventionnée par la collectivité en acceptant l’initiative «No Billag» le 4 mars prochain? Nous aurions cette inconscience, vraiment? Les derniers sondages de décembre nous l’annoncent, semble-t-il. Que la RTS doive s’adapter, investir bien davantage les réseaux sociaux, cela va de soi. Mais, il faut le redire, il n’y a pas de plan B : si vous en doutez, écoutez l’interview de Jean-Philippe Gay-Fraret, vice-président des Jeunes UDC, au  journal de la RTS du 10 janvier. Il capitule très vite sur l’argument de la publicité, pour souligner essentiellement des apports financiers potentiels via l’abonnement individuel aux émissions.

Or c’est exactement là que se joue notre rapport à la démocratie. Si nous ne sommes plus capables de nous mettre d’accord sur une information commune, publique, en libre accès, c’est le début de la cohabitation des informations et des voix, celle de «Radio Paris ment» et les autres. L’enjeu est capital: en effet, la culture digitale montre chaque jour davantage l’importance et l’impact de l’oralité, comme je l’ai déjà souligné dans ce blog. C’en est au point qu’en France, on songe désormais à faire payer y compris les auteurs qui souhaiteraient faire une lecture publique de leur texte! Par-delà le côté hubuesque de cette proposition, qui suscite une pétition à son encontre, elle signale que plusieurs acteurs sociaux ont désormais fort bien compris la valeur et le pouvoir lié à l’oralité et aux informations qu’elle transmet, accompagnée d’images ou non.

Parce que la culture digitale donne le pouvoir de disséminer à loisir discours et images politques, nouvelles vérifiées et fake news, je souhaite et espère que nous continuerons à avoir le repère clair d’une parole publique commune, libre et gratuite, subventionnée par notre collectivité. Souvenons-nous, avant d’aller voter le 4 mars, de ceux et celles qui ont lutté pour une telle radio libre, aux jours de guerre.

A visage découvert. Du masque de fer à la burqa

Lorsque nous étions enfants, la grille télévisée des fêtes nous rassurait avec son rituel immuable de films, dont L’homme au masque de fer, qui nous effrayait ce qu’il fallait. Paul Sonnino a livré en 2016 l’une des plus récentes interprétations historiques de ce fait poussé au mythe [1]. Le masque aurait été plutôt de velours, porté en intermittence, mais quoi qu’il en soit, l’effet du récit et de toutes ses variantes dit bien notre angoisse culturelle liée au fait de ne plus pouvoir montrer son visage.

Ce sentiment est ravivé aujourd’hui à chaque fois que nous contemplons des images de prisionniers torturés sous d’autres latitudes que les nôtres, souvent les visages recouverts ou masqués. Réfléchir au visage, à sa place dans notre culture, c’est bien sûr aussi faire mémoire de la pensée du philosophe Emmanuel Lévinas qui estimait notamment que « l’épiphanie du visage suscite cette possibilité de mesurer l’infini de la tentation du meurtre, non pas seulement comme une tentation de destruction totale, mais comme impossibilité – purement éthique – de cette tentation et tentative » [2]. Martin Grandjean, doctorant en histoire à l’Université de Lausanne, a fait une analyse synthétique de la pensée de Lévinas sur ce thème dans un billet de blog de 2013.

Impossible donc de penser à la burqa, au visage caché, sans que ne reviennent en mémoire ces souvenirs culturels, cette matrice culturelle, du masque de fer à Lévinas. Et cela sans même encore avoir abordé la question du statut de la femme. A mon sens, cacher un visage touche à des fondamentaux qui englobent certes la question féminine, mais la dépasse en exprimant aussi notre rapport à la sécurité, à la menace, à l’altérité, comme le montrent les exemples ci-dessus. Devant la complexité de la thématique, qui touche toute une société et ne peut se satisfaire de la réponse de quelques-uns, je ne peux que me réjouir de voir le Conseil Fédéral proposer un contre-projet indirect à l’initiative visant à interdire la burqa. Mais si ce premier pas était indispensable, il reste encore un énorme travail à faire de concertation politique et sociale sur cette thématique.

C’est pourquoi on écoutera à profit les propos clairs de la conseillère nationale Géraldine Savary, dans le journal télévisé de la RTS du 20 décembre dernier. Elle y affirme que « c’est une évidence qu’on doit s’opposer à la burqua, c’est une première chose, mais il faut élargir le débat ». Ce débat doit porter sur « le respect des femmes, des inégalités, de la sécurité publique. Tous ces domaines-là sont à discuter peu ou prou dans un contre-projet indirect », ponctue-t-elle. Il s’agit là d’un travail concernant toute notre société, tous les partis et opinions, tant il est fondamental.

Pour s’en convaincre, il suffit de regarder cette vidéo de l’action I’m here, « Un selfie pour un innocent », d’Amnesty International, lancée début décembre. Elle propose d’aider à libérer un prisionnier en téléchargeant un selfie, avec cette injonction : « accomplissez quelque chose d’incroyable avec votre visage ».

Espérons que 2018 offrira aux acteurs politiques nationaux et cantonaux l’espace nécessaire à ce débat fondamental.

En mémoire de Raimondo Natalino, mon grand-père né un jour de Noël, postier et chef du parti socialiste de Cagliari sous Mussolini, à visage découvert.

 

[1] Paul Sonnions, The Search for the Man in Iron Mask, Rowman & Littlefield Publishers, 2016.

[2] Emmanuel Lévinas, Totalité et infini, Livre de Poche, Paris, 2006, p. 217.

 

La mémoire et les maux. Collecter les individus

Que signifie porter un regard le plus complet et lucide possible sur l’histoire de son pays, de sa famille? Voir sur les deux en même temps? Est-il possible de «collecter les individus» dans ce qui serait une mémoire au moins partagée, à défaut de commune? De telles questions sont particulièrement vives dans un pays comme la Roumanie, qui a traversé les transformations politiques que l’on sait dans les dernières décennies. Au gré du premier colloque roumain consacré aux humanités digitales à fin novembre, à l’Université de Cluj, j’ai pris connaissance d’un projet à la fois enthousiasmant et questionnant, A collective memory 1950-2000.

Colloque DigiHubb, Cluj, Roumanie, projet Collective Memory 1950-2000; 29.11.2017 © Claire Clivaz

D’une manière coutumière dans les humanités numériques, ce projet transgresse les frontières disciplinaires et mêle histoire, anthropologie, art, sociologie. Une large moisson d’images, privées ou publiques, a été faite dans les archives des citoyens roumains souhaitant participer au projet: familles, cités, régions, événements, individus se croisent. Comme le site l’indique, «cette archive n’est pas juste un assemblage d’images et d’histoires dans un grand album nostalgique de la Roumanie. Notre but est de récupérer, rassembler et faire connaître un nombre d’images considérable, et de faire usage de l’importante charge mnémotechnique de l’archive, propre à être la ressource de futures études culturelles-anthropologiques, artistiques, historiques, sociologiques».

Andrada Catavei, Cluj, colloque DigiHubb, 29.11.2017; © Claire Clivaz

Une exposition organisée le 25 mai 2012 a en particulier sollicité le potentiel numérique pour différentes performances et mises en scènes artisitiques, le public étant convié à interagir numériquement avec les images, à traverser un rideau d’eau digital, etc. Les réactions des visiteurs ont été filmées et analysées: les émotions sont au rendez-vous, et la conférencière a reconnu le potentiel de manipulation d’une telle présentation historique, pointée dans le débat. Mais n’empêche qu’une telle exposition-performance réussit, en partie au moins, à permettre à des citoyens de connecter leurs mémoires individuelles à celle de leur pays.

J’attends toujours qu’on nous aide à faire de même à propos de notre mémoire suisse de la deuxième guerre mondiale. J’avais été sidérée de voir qu’Expo 02 n’avait pas laissé place à une reprise quelconque de notre mémoire de cette période en Suisse. En ce qui me concerne, je trimballe toujours dans ma mémoire individuelle un hiatus entre les récits transmis par ma famille – ce petit Michel, réfugié juif des bombardements français, accueilli pendant deux ans chez mes grand-parents, et qui faisait des cauchemars toutes les nuits, laissant ses hôtes suisses dans un profond sentiment d’impuissance à l’aider – et l’attitude globale de notre pays durant ces années de guerre, que nous n’avons pas fini de digérer collectivement, malgré la vaste enquête menée au plus haut niveau en 2001-2002.

Tenter une exposition-performance qui ose aller sur le terrain de l’émotionnel, reste absolument à expérimenter pour notre mémoire suisse de la deuxième guerre mondiale. Il y a tout le matériel nécessaire à un tel événement historico-artistique dans le fabuleux site «Notre Histoire» de la RTS, qui nous fait prendre conscience de ce que permet un service d’information publique, pour le bien de notre mémoire collective.

Allier l’indivu et le collectif, l’émotionel et la rigueur, est l’équilibre qui me paraît avoir été tenu de main de maître par l’historien français Ivan Jablonka dans sa thèse d’habilitation: il l’a retraversée hier dans une conférence de haute teneur à l’Université de Lausanne [1]. Ne lâchant pas d’une semelle l’honnêteté scientifique prônée en 1954 par Henri-Irénée Marrou, Jablonka a mené un long travail d’enquête pour restituer la vie de deux de ses grand-parents qu’il n’a pas connus, décédés à Auschwitz en 43/44. C’est par le travail de mécanique d’orfèvre de l’écriture qu’il parvient à dépasser les oppositions qu’il juge fausses entre grande et petite histoire, histoire et mémoire, émotion et rigueur.

Replaçant ses deux grand-parents «dans la chaîne des vivants», Jablonka parvient à connecter les individus à la mémoire collective, en racontant «comment deux jeunes gens ont été détruits en moins de 30 ans dans l’Europe du 20ème siècle». A l’heure où la digitalité émancipe l’écriture hors des couvertures, il se pourrait bien que nous ne fassions que commencer à faire histoire de cette manière, en misant sur la collecte des individus, des mémoires et des maux.

[1] Ivan Jablonka, Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus. Une enquête, Seuil, 2012 (rééd. poche 2013).

“Que les femmes se taisent dans l’assemblée”. Relire un manuscrit chrétien

En plein épisode médiatique des #metoo, entendre la Conseillère fédérale Simonetta Sommaruga faire le point à la télévision sur la femme dans la société suisse, le soir du 100ème anniversaire des femmes socialistes, ce n’est pas anodin. Il faut parler, encourage-t-elle, absolument, semble-t-il. Un tel discours, à ce niveau d’autorité, est si nouveau qu’il vaut la peine, pour chacun et chacune d’entre nous, selon ses compétences professionnelles, de s’interroger sur ce qui aura permis un si long silence imposé aux femmes, cantonnées des siècles durant à la sphère privée.

Certains passages de la Bible et leurs lectures auront contribué – contribuent encore, suivant les Eglises – à assimiler la femme à un être destiné au silence public. Mais ce qui est étonnant, c’est que la lecture même de ces passages dans les manuscrits anciens est en train d’évoluer, grâce notamment à la culture digitale, un facteur décidément prompt à rebrasser les cartes. Qu’on s’arrête à cet exemple.

Dans le Nouveau Testament, dans la première lettre aux Corinthiens 14, 34-35, l’apôtre Paul demande aux femmes de se taire dans l’assemblée: «34. Que les femmes se taisent dans les assemblées, car il ne leur est pas permis d’y parler; mais qu’elles soient soumises, selon que le dit aussi la loi. 35 Si elles veulent s’instruire sur quelque chose, qu’elles interrogent leurs maris à la maison; car il est malséant à une femme de parler dans l’assemblée». Or ce passage est en contradiction directe avec le chapitre 11 de la même lettre, qui invite la femme à se couvrir la tête pour prier et prophétiser en public (1 Co 11,5). 

Codex Vaticanus, 4ème siècle; © domaine public; 2 Th 3,11-18 et He 1,1-2,2

Cette contradiction célèbre n’a toutefois pas été suffisamment forte pour qu’on se mette vraiment à l’écoute de l’un des manuscrits les plus importants qui en fait mention, le Codex Vaticanus (4ème siècle de notre ère). Bien des chercheurs l’avaient regardé, lui ou son facsimilé, rangé à l’abri des bibliothèques. Mais ce n’est que depuis quelques années que les spécialistes des manuscrits du Nouveau Testament s’accordent à reconnaître que le passage porte indiscutablement des signes critiques indiquant qu’il a été ajouté au texte [1].

D’une certaine manière, ce manuscrit «parlait» depuis des siècles, sans être entendu. Il a fallu qu’il devienne accessible à beaucoup de personnes pour qu’on l’écoute enfin: aujourd’hui, chacun peut aller voir le folio en question. Cette expérience faite par ce vénérable manuscrit vaut aussi pour les femmes: plusieurs d’entre elles ont tenté de parlé, depuis longtemps, depuis toujours, mais encore fallait-il qu’elles puissent être entendues par beaucoup de personnes – via la culture digitale – pour que leur voix porte enfin. La sortie du silence s’organise, s’accompagne, se prépare. J’espère que ce mois d’octobre aura permis une réelle sortie du silence des femmes. Le chemin sera encore long, sans doute.

Le Codex Vaticanus offre encore un autre lieu de méditation sur le silence des femmes. L’Evangile selon Marc s’y conclut en 16,8 par les femmes qui fuient la tombe de Jésus, vide, et qui «ne dirent rien à personne, car elles avaient peur». Depuis le 4ème siècle, ce manuscrit conclut cet évangile par ce silence féminin apeuré, sauf qu’il laisse ensuite presque deux colonnes vides, un phénomène inattendu dans ce document. Selon un éminent collègue, on aurait là la preuve qu’il y avait une autre fin, ou qu’on aurait voulu en mettre une [2] : on ne saura pas. Mais toujours est-il que ces deux colonnes vides après Mc 16,8 peuvent servir d’image symbolique pour dire la possible sortie du silence, via cette interruption du texte biblique. Ce blanc – littéral – du texte a attendu patiemment son heure: que les lecteurs en ligne le regardent, le scrutent, s’interrogent à son propos. Ces deux colonnes sont autant d’espace laissé aux femmes pour qu’elles puissent une fois surmonter leur peur, briser le silence, et reprendre l’histoire [3].

[1] Philip B. Payne, “Vaticanus Distigme-obelos Symbols Marking Added Text, Including 1 Corinthians 14.34-5”, New Testament Studies 63 (2017), p. 604-625.

[2] Elliott, J. K., “The Last Twelve Verses of Mark: Original or Not?”, in Black, D. A. (ed.), Perspectives on the Ending of Mark, 4 Views,  Nashville, Broadman & Holman Publishers, 2008, 80-102.

[3] Lors d’un tout prochain colloque en sciences bibliques à Boston, Kimberley Wagner (Emory University) commentera ce texte en théologie pratique, comme exemple de sortie d’un traumatisme, dans une conférence intitulée “Le récit de la résurrection chez Marc (Mc 16, 1-8) pour prêcher le réveil d’un violent traumatisme”.

De l’encre aux pixels : la mue de l’écriture scientifique

C’est à Montréal que sont rassemblés du 8 au 11 août les chercheurs en Humanités Digitales (DH) du monde entier, pour le colloque annuel DH2017. Innovations et recherche de pointe sont au rendez-vous, et ce 10 août – ou cette orée du 11 août selon l’heure européenne – se conclut par la remise du prix Antonio Zampolli qui récompense tous les trois ans une réussite particulière de chercheurs en DH, à quel que stade de carrière que cela soit.

DH2017, Montréal, conférence du prix Zampolli, Nancy Ide © Claire Clivaz

Antonio Zampolli (1937-2003), linguiste italien, appartient aux pionniers qui ont lancé et créé la méthode principale d’encodage électronique des textes, le Text Encoding Initiative (TEI). Cette méthode reçoit précisément le prix Zampolli en ce 10 août : elle permet à un texte écrit sur support informatique de devenir interopérable dans une base de données, soit de pouvoir être relié à d’autres textes de recherche scientifique.

Ce soir à Montréal, nous fêtons donc la reconnaissance internationale de ce qui a changé dans l’écriture scientifique : le passage de l’encre aux pixels. Cet événement intervient alors même que le Fonds National Suisse vient de prendre un tournant décisif pour tous les domaines de recherche en publiant le 24 juin dernier son formulaire de gestion des données, data management plan, qui devra désormais accompagner toutes les soumissions de projet de recherche.

Cette innovation, qui peut paraître technique aux profanes, est un vrai séisme. En effet, elle postule que le lieu digital est désormais l’environnement naturel de l’écriture scientifique, en exil ou émancipée de l’encre et du papier. Mener un projet de recherche dans un environnement virtuel, sur une plateforme numérique, équivaut à faire de l’écriture une expérience flexible, évolutive, faite de pixels semblabes à des cellules nageant en éprouvette. Il faut prendre soin de cette écriture pixellisée, depuis sa production et sur la durée. Elle est vivante, dans son environnement virtuel.

Tous les acteurs de la production scientifique sont concernés par cette mue, et un dialogue intense doit continuer à être mené entre bibliothèques, chercheurs, institutions et éditeurs. En Suisse romande, ce dialogue est nécessaire en particulier avec les éditeurs scientifiques, dont l’auteure de ces lignes imagine sans peine les soucis et interrogations suscitées par cette transformation. Des éditeurs scientifiques tel Brill sont déjà en quête de nouveaux modèles, et des pistes existent.

Le passage de l’encre aux pixels demande un surcroît de travail à tout le monde : elle exige de la recherche sur la recherche et sur les modèles économiques viables. Tous les acteurs de la production de l’écriture scientifique ont besoin que leur institution ou leur entreprise leur accordent le temps nécessaire à accompagner ce tournant.

  • Pour découvrir le TEI: BURNARD, Lou. Qu’est-ce que la Text Encoding Initiative ? OpenEdition Press, 2015  books.openedition.org/oep/1237
  • Pour s’initier au TEI, module en ligne dans le cadre du projet Erasmus+ #dariahTeach, préparé par Susan Schreibman (teach.dariah.eu)

Le film “L’ordre divin” pour mettre en ordre notre mémoire collective

Cela fait donc 46 ans que la moitié de notre population a accordé à l’autre le droit de vote sur le plan national. C’est avec finesse, brio et humour que le film L’ordre divin raconte la mémoire de ces semaines incroyables de 1971, via le personnage de Nora, une femme d’un village suisse allemand, comme tant d’autres. Mais elle ose se confronter au discours social et ecclésial sur «l’ordre divin» qui serait assigné à la femme.

On ira voir ce film entre copines, en couple, avec sa mère, sa fille, seul(e). On en ressortira un peu silencieux, car à plus d’un moment, on ne sait pas toujours si on nous parle de 1971 ou de 2017. En effet, il y a encore fort à faire pour continuer à rendre paritaire les relations hommes-femmes en Suisse.

Par-delà la tarte à la crème de l’égalité salariale, on pensera au congé paternité qui tente une timide percée via une initiative raisonnable, et à l’attente sans doute encore longue de l’introduction de l’imposition individuelle, respectueuse de l’autonomie des parcours de vie. Et que dire du fait que la pillule contraceptive ne soit toujours pas remboursée par l’assurance maladie, alors qu’elle sert l’entier de la population, et non seulement la moitié. De même, l’Office Fédéral de la Santé a dû réclamer longtemps que «la vaccination contre les HPV [s’adresse] à tous les adolescents âgés de 11 à 14 ans». Jusqu’au 30 juin 2016, seules les jeunes filles peuvent se la voir rembourser, alors même que «70 à 80 % des femmes et des hommes sexuellement actifs sont infectés au moins une fois dans leur vie par ces virus». Voici un progrès dont on se réjouira, mais un intense travail d’information se révèle nécessaire.

C’est sur toutes ces questions que l’égalité doit continuer à être établie, pas à pas. Elle a aussi à faire sa place dans la mémoire historique : pour commémorer les 500 ans de la Réformation, l’Office protestant d’éditions chrétiennes (OPEC), éditeur des réformés romands, a publié un jeu pour enfants dès 10 ans composé exclusivement de figures masculines. Et pourtant Marie Dentière, réformatrice contemporaine de Calvin, a son nom gravé sur le mur des Réformateurs à Genève. Plusieurs théologiennes et femmes protestantes essaient de la faire sortir de l’ombre, telle la conteuse Isabelle Bovard.

Donner son plein espace aux voix des femmes est pourtant un facteur d’innovation culturelle et scientifique. La professeur Londa Schiebinger, qui a fondé à l’Université de Standford en 2005 l’institut d’innovations par le genre, a donné une conférence à l’Université de Genève le 30 juin dernier, où elle a livré en avant-première les résultats d’une enquête saisissante : plus une université fait place à l’innovation, plus elle tend à augmenter le nombre de femmes qui travaillent en son sein (voir 5min12 à 5min33 de l’interview). Les deux questions sont corollaires, sans qu’il ne soit encore possible d’établir de lien de cause à effet. C’est à ce point que nous en sommes : vivre la parité et développer une société innovante sont certainement des corollaires. A nous de tisser des liens de causalité entre ces deux dimensions.

Marie Dentière et Pierre Viret. To be or not to be sur le mur des Réformateurs

Pierre Viret, Lausanne; CC BY-SA 1.0; auteur: Arnaud Gaillard

Pierre Viret (1509-1571), cela vous dit peut-être quelque chose : en montant les escaliers du marché de la Cathédrale de Lausanne, on aperçoit son bas-relief. Seul Réformateur né sur sol romand, il devrait être à l’honneur en cette année du 500ème anniversaire de la Réforme, mais tel un chaînon manquant toujours négligé, il peine à faire sa place.

Et pourtant, il remplissait les églises et on l’a surnommé le «sourire de la Réforme» ; on craignait la «foudre de Farel» et appréciait le «miel de Viret». Il affronta beaucoup de résistances, fut persécuté, poignardé et même empoisonné, sans perdre son côté amène. Mais il reste négligé dans notre mémoire de la Réforme en Romandie.

Si la Ville de Lausanne a récemment nettoyé la moitié du mur qui porte son nom, le Canton a reporté de poutzer sa demi, comme le signale avec humour un article du 8 décembre 2016 dans 24Heures. Quand il s’agit d’honorer d’une affiche les hommes de la Réforme pour une série de conférences à Rumine, on ira jusqu’à y faire figurer Luther en playmobile, mais pas de trace de Pierre Viret. Enfin et surtout, Genève n’a jamais gravé son nom sur le mur des Réformateurs, alors qu’une femme, Marie Dentière, y a pris place en 2002.

Marie Dentière (1495-1561), belge d’origine et active à Aigle puis à Genève au temps de la Réforme, émerge de manière de plus en plus assurée dans notre mémoire collective. Tout est à faire pour donner sa place à cette femme dont les écrits méritent de sortir de l’ombre. Vous n’avez qu’à vous rendre sur mariedentiere.ch pour la découvrir davantage.

Mur des Réformateurs, Genève, parc des Bastions. CC BY-SA 4.0; auteur: MHM55

Prieure catholique du couvent des Augustines à Tournai, en Flandres, elle sera acquise dès 1520 aux idées de la Réforme. Elle épouse d’abord Simon Robert, ancien prêtre devenu pasteur, puis en secondes noces Antoine Froment, bras droit de Farel. Grâce à Marguerite de Navarre, elle pourra mener une activité théologique importante et défendre la prédication des femmes. Calvin ne l’appréciait guère, évidemment. Elle se bat tant contre les inégalités sociales que de genre en écrivant en 1539 son Epitre tres Utile : «Jésus a-t-il dit : Allez, prêchez la bonne nouvelle aux sages et aux docteurs? N’a-t-il pas dit ‘à tous’? Avons-nous deux évangiles, l’un pour les hommes et l’autre pour les femmes? Un pour l’élite, l’autre pour la multitude?».

La voilà donc depuis 15 ans gravée sur le fameux mur du parc des Bastions. Reste à nos amis du bout du lac d’y ajouter encore un jour le nom du vaudois Pierre Viret!

NB: Des soirées de contes dans les caveaux vignerons dans la région de Morges rendent hommage ce printemps et cet automne à ces deux personnages, ainsi qu’à quatre autres Réformateurs. On boira à leur santé les bouteilles de la Cuvée de la Réforme, confectionnées à partir de raisins offerts par les vignerons de la région Morges-Aubonne.

Vous iriez au cinéma écouter l’Irlande yeux fermés ?

Depuis le 17 février dernier, le cinéma de Bellevaux à Lausanne accueille parfois une expérience déjà bien ancrée à Paris ou à Copenhague : le cinéma sonore. La salle est plongée dans la nuit, on finit par fermer les yeux, et on écoute ! C’est l’émission de RTS Espace 2 «Le labo», menée par David Collin, qui s’est lancée dans l’aventure avec une première séance où nous étions invités pendant 45 minutes à écouter dans l’obscurité “Aran, une autre histoire de vent” de Jean-Guy Coulange (2014).

Champs d’Inishmore dans les îles Aran en Irlande, août 2006. Auteur: Sebd; CC BY-SA 3.0

Loin des sollicitations visuelles constantes de notre culture contemporaine, cette expérience permet de se laisser emmener en balade en Irlande : c’est à vous de mettre des formes et des couleurs sur les sons. On en ressort tout reposé et transformé, m’a-t-il semblé. Du côté de Copenhague, les danois ont pris sérieusement goût à ce type d’expérience depuis 2013, au rythme d’une séance mensuelle : les places s’arrachent.

C’est également du Danemark, de l’université d’Aarhus, que nous vient le premier cours online en humanités numériques sur les Sound Studies, les «études sons», préparé par Jakob Kreutzfeldt : il sera inauguré ce jeudi 23 mars sur le campus de Dorigny, dans le cadre du lancement d’une plateforme d’enseignement en ligne en humanités numériques, #dariahTeach, née d’un partenariat stratégique Erasmus+ entre sept pays. Quatre vidéos en «études sons» sont d’ores et déjà disponibles sur la chaîne YouTube du projet.

Comme je l’ai déjà souligné dans deux blogs précédents, le retour de l’oralité et de l’attention à l’écoute me paraît être le corollaire de la culture digitale, qui mélange dans un tourbillon détonnant les images, les textes et les sons. Alors que textes et images pensent encore s’affronter frontalement dans un vis-à-vis millénaire, le son, les paroles et les musiques se faufilent allégrement en toutes circonstances sur le support numérique, et mènent de plus en plus le bal.

Même l’histoire antérieure aux enregistrements réclame le droit à être entendue, comme dans le site Virtual St. Paul’s Cathedral Project. Jouant entre le réel et le virtuel, ce site vous permet d’être un quidam du 17ème siècle, qui écoute des sermons donnés dans la cour de la cathédrale Saint-Paul de Londres. Vous pouvez vous déplacer dans la cour, tester les différents endroits, avec plus ou moins d’auditeurs présents. Sorte de cinéma pour les oreilles.

Le son, l’oralité, ne font que commencer à prendre leur revanche sur la culture imprimée qui les a tenus en bride pendant des décennies. L’oralité demande même à se dédouaner des règles de l’écrit, pour qu’on l’entende jusque dans les mots imprimés. Preuve en est le sujet du prochain congrès de l’association américaine pour le langage moderne (MLA) en 2018 à New York : He Said WHAAT??!! Editing Oral Texts for Print Publication («Il a dit QUOOI ??!! Editer des textes oraux pour la publication imprimée »).

Yeux fermés au cinéma sonore, yeux grand ouverts devant l’écran : l’oralité est de retour sur le devant de la scène. Place aux sons !