Les humanités digitales à Paris: l’Europe de DARIAH

C’est dans le pittoresque chalet de la Porte Jaune, bois de Vincennes à Paris, que se réunissent pendant deux jours des chercheurs de nombreux pays européens sous l’étendard de l’infrastructure de recherche européenne – l’ERIC – nommé DARIAH, Digital Research Infrastructure for Arts and Humanities, infrastructure de recherche pour les arts et humanités, ou pour les sciences humaines, comme nous avons encore l’habitude de les nommer [1].

Cet événement annuel permet chaque année à quelques chercheurs suisses de croiser leurs collègues et de prendre la mesure des nouveautés et avancées scientifiques à la croisée de la recherche fondamentale et des infrastructures de recherche. A DARIAH, infrastructure rime en effet avec recherche, ainsi qu’avec enseignement, selon le nom que porte l’un des secteurs de DARIAH, «Recherche et Education ». Penser et écrire dans la matière digitale conduit à mettre constamment en synergie recherche, enseignement et infrastructure.

A quoi sert donc ce genre d’événement? Premièrement, à découvrir des projets et prendre la mesure du travail de fourmi au quotidien pour faire émerger les humanités digitalisées, par exemple dans le projet Women writers, conduit par la professeur de littérature française Amelia Del Rosario Sanz Cabrerizo (Madrid). Animé par des chercheurs et étudiants enthousiastes, ce projet en libre accès met en évidence l’apport méconnu et fascinant des femmes dans la littérature européenne. Les échanges furent nourris dans la rencontre sur ce thème, notamment sur ce qui stimule ou freîne les étudiants à entrer dans ce type de démarche. Toute transformation de l’enseignement demande du temps et une mise en place au jour le jour. Le résultat est là, accessible à chacune et chacun. Avec la culture digitale, les humanités sortent des murs académiques.

Deuxièmement, ce type d’événement est un bouillon à idées. Que de perspectives intéressantes sur l’Open Science, la «Science Ouverte». Parfois, on est aussi surpris: un orateur nous a demandé si nous considérions les articles scientifiques comme encore nécessaires, et s’il ne convenait pas plutôt d’encourager la mise à disposition de nos données en libre accès! Le propos, bien qu’extrême, m’a fait réaliser une fois de plus l’absence des éditeurs dans ce type de rencontres. Autour de la publication numérique, de nouvelles alliances sont à imaginer, le partenariat aux éditeurs restant un lieu essentiel de l’expression des humanités, de leur évaluation et certification, de leur lien à la société. Il y a encore des networks à construire, mais c’est bien à cela que sert DARIAH, l’ERIC des networks pour les humanités en voie de digitalisation [2].

Enfin ce colloque annuel permet de se familiariser avec la dimension européenne de la recherche, la diversité de ses langues et de ses idées, de ce qu’elle promeut et encourage. Avec Matthieu Honegger (Université de Neuchâtel), nous sommes partenaires pour la Suisse du projet de recherche H2020 DESIR, dont l’un des nombreux objectifs est de construire la candidature suisse à l’ERIC DARIAH, sous le lead de l’Académie Suisse des Sciences Humaines et Sociales. Les humanités digitales en Suisse sont en train de se mettre en réseau grâce à ce partenariat, qui rassemble désormais huit institutions académiques suisses (Bâle, Berne, EPFL, Lausanne, Genève, Neuchâtel, SAGW, Zurich). Un workshop sera la vitrine de ces activités suisses et de leurs liens à DARIAH, les 29 et 30 novembre prochains à l’Université de Neuchâtel, save the date!

[1] Les humanités numériques ou digitales sont en train de parvenir à faire revenir d’un usage courant en français le terme d’«humanités» au pluriel, qui était devenu désuet. Voir par exemple la nouvelle revue Les Cahiers d’Agora: revue d’humanités.

[2] CLARIN est le second ERIC en humanités digitalisées. Il n’y a pas d’ERIC pour les humanités sans la dimension informatique. L’ERIC des sciences sociales est CESSDA; la Suisse en est membre observateur. Sciences humaines et sociales se trouvent parfois associées à certains ERIC, comme SHARE.

Claire Clivaz

Claire Clivaz est théologienne, Head of DH+ à l'Institut Suisse de Bioinformatique (Lausanne), où elle mène ses recherches à la croisée du Nouveau Testament et des Humanités Digitales.

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