Etre baptisé ou prendre la communion en ligne ? Eglises et virtuel

A l’orée de la semaine des célébrations de Pâques, qui vont rassembler les chrétiens dans les églises, il est surprenant d’observer des premières réflexions ou tests pratiques sur le vécu en ligne de deux rites en usage dans l’ensemble des Eglises chrétiennes : le baptême et la communion (Eucharistie ou Sainte-Cène). Le premier rite implique de l’eau et signifie l’entrée dans la communauté ; il est célébré une seule fois dans la vie d’un/e chrétien/ne. Le second implique du pain et du vin, met le croyant en communion au divin, et est répété fréquemment au cours de la vie des croyants. A priori, rien qui ne puisse donc être vécu en ligne, le pain ou l’hostie pixellisés n’étant pas de mise. Et pourtant.

Arnad (Aosta Valley). Saint Martin parish church: Fresco of the mass of Saint Gregory (15th century) – detail: Eucharist. CC BY-SA 3.0; auteur: Wolfgang Sauber; Wikicommons

En avril se tiendra au CODEC Research Center de l’Université de Durham (UK), premier centre européen de recherche en théologie digitale, un colloque consacré aux « sacrements et à la liturgie dans les espaces numériques ». Le site d’inscription présente ainsi l’événement : « En ces temps de développements technologiques très rapides, la question de l’Eglise en ligne est à la fois d’actualité et très polémique. Le christianisme est profondément enraciné dans l’Incarnation [1] et ce qui est tangible, avec un attachement viscéral aux symboles et sacrements d’appartenance. Joignez-vous au CODEC Research Center et à ses invités de marque pour un symposium qui va explorer les questions des espaces sacramentels et liturgiques numériques ».

Si ce colloque a lieu, c’est que les discussions sur le baptême et la communion en ligne sont déjà présents dans le monde anglo-saxon depuis quelques années. On a  ici une différence de sensibilité culturelle. Si vous cherchez «baptême en ligne» via votre Google préféré, vous ne trouverez pas d’indications de baptême virtuel, mais de quoi être mis en contact avec les Eglises qui célèbrent des «vrais» baptêmes. Par contre, si vous tapez «baptism online», vous en trouverez plusieurs exemples : la vidéo d’une Eglise évangélique américaine ayant célébré en 2008 déjà un baptême en ligne, la candidate s’immergeant dans sa baignoire à domicile, ou des discussions sur ce type de pratiques. En 2016, l’Eglise protestante d’Ecosse l’a même évoqué en Synode, pour y renoncer dans l’immédiat. Le colloque de Durham signale que le sujet n’est pas clos.

Et bien sûr, si vous souhaitez vivre le rite de la communion à domicile, tout existe en ligne via certaines Eglises anglo-saxones : elles proposent de joindre un service organisé à une heure précise, ou des liturgies en vidéo pour communier ad libitum. Les Eglises les plus institutionnalisées, catholique, anglicane, réformée, luthérienne, ne semblent pas avoir franchi ce pas pour l’heure, même en contexte anglo-saxon. Tant mieux, pensera-t-on ! Il paraît bien normal de commencer par être interloqué devant ce type d’initiative, particulièrement si vous appréciez le fait de participer à un service liturgique dans une église de pierres, portés par la musique, la prière et la communauté. Mais si des pratiques s’établissent, même au sein d’Eglises moins traditionnelles, elles méritent d’être observées et réfléchies, comme le fait l’Université de Durham.

En première réaction, il me semble que le baptême, puisqu’il est un geste unique et profondément communautaire, peut difficilement être dissocié de son cadre liturgique public et collectif. L’Eglise Evangélique Réformée Vaudoise a toujours insisté pour que le baptême soit célébré dans le cadre de la communauté qui se rassemble le dimanche, et non pas de manière privée, alors qu’elle célèbre des Sainte-Cènes à domicile. La question de la communion en ligne pose naturellement beaucoup de questions du point de vue de la théologie des ministères, et peut-être faudrait-il trouver un terme spécifique pour ces moments vécus derrière son écran, à domicile. En France, les catholiques ont par exemple nommé «ADAP», assemblées dominicales en l’absence de prêtre, les célébrations dominicales qui ont lieu sans prêtre, conduites par un laïc, et où on distribue la communion sans célébrer la messe. Ces «communions en ligne» pourraient se rapprocher de cet état d’esprit, mais viser, à mon sens, un public différent de ceux et celles qui se déplacent à une célébration dans les églises physiques.

En effet, dans la pratique des visites pastorales, on rencontre fréquemment des personnes qui disent prier tous les jours, mais n’ont aucune autre pratique religieuse. Ce lien au divin très intime, mais fort et régulier, pourrait peut-être s’ouvrir à un aspect plus communautaire avec ce type de participation en ligne à des célébrations, avec ou sans communion. Il s’agirait alors d’un «plus communautaire», et non pas d’une perte de cette dimension. Le monde de l’internet n’est pas qu’une usine à isoler : accompagné par des Eglises qui sont prêtes à s’adapter à leurs contemporains, ce monde virtuel pourrait aussi permettre de rejoindre autrement celles et ceux qui prient régulièrement, mais sans plus avoir de contact avec une Eglise. Ils sont nombreux en Suisse.

[1] On appelle « incarnation » en christianisme l’accent mis sur l’anthropologie, le corps, les chrétiens considérant que Dieu s’est incarné en Jésus-Christ : https://fr.wikipedia.org/wiki/Incarnation_(christianisme)

Claire Clivaz

Claire Clivaz est théologienne, Head of DH+ à l'Institut Suisse de Bioinformatique (Lausanne), où elle mène ses recherches à la croisée du Nouveau Testament et des Humanités Digitales.

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