Noël, Hanouka, Diwali: nos patrimoines culturels immatériels… et numériques ?

2016 aura été une première pour la Suisse : pour la première fois, l’une de nos traditions a été reconnue comme «patrimoine culturel immatériel» (PCI) par l’UNESCO. Il s’agit de la fête des vignerons, présentée par une video enjouée qui montre bien l’ancrage de la fête dans une micro-société. Le carnaval de Bâle est en examen.

Lumières de la fête de Diwali, auteur: Indianhilbilly; © CC BY-SA 2.0, wikicommons

Cette démarche de l’UNESCO nous fait à nouveau flirter avec les contradictions de nos perceptions de «l’immatériel» (voir le blog du 2 juillet dernier). Ce patrimoine «immatériel» se matérialise en fait de plus en plus via le support digital : le voici enregistré, filmé, expliqué, commenté par les acteurs anonymes mêmes qui le portent. Comme l’explique Hughes Sicard dans le récent collectif Patrimoine culturel immatériel et numérique, lorsque l’UNESCO a ouvert la démarche du PCI en 2003, les textes fondateurs n’impliquaient pas le numérique, mais celui-ci avait été mentionné dès les discussions préparatoires de l’entreprise dès 1989 [1].  La matérialité digitale nous appelle à revisiter encore autrement notre perception de l’immatériel, pour penser ce patrimoine culturel qu’on estimait volatile.

A l’heure où la terre s’est enfoncée dans la nuit la plus sombre depuis 500 ans, nous dit-on, j’ai pour ma part bien envie de promulguer «patrimoine culturel immatériel» mondial toutes nos fêtes de la lumière : Noël, la fête chrétienne du 25 décembre ; Hanouka, la fête juive des lumières, qui a lieu cette semaine en 2016 ; ou Diwali, la fête indienne des lumières, en automne. Le fait de devenir «patrimoine culturel immatériel» pourrait-il protéger un temps soit peu nos marchés de Noël, devenus si fragiles depuis quelques jours ? Faut-il se dépêcher de les numériser pour qu’au moins on puisse s’y rendre virtuellement, en toute sécurité, muni de lunettes ad hoc ? Arrivés à ce point on hésite, on regrette même peut-être déjà de tant vouloir numériser cet héritage immatériel, de la fête des vignerons au vin chaud. Et pourtant, ce ne sont certes pas les lunettes virtuelles qui sont en train de nous contraindre à protéger nos marchés: nous n’avons pas eu besoin d’attendre leur arrivée pour avoir de la peine à regarder la réalité en face.

Incertaine, notre génération hésite entre le matériel, le virtuel, l’immatériel, et «on avance peu à peu, comme un colporteur d’une aube à l’autre», selon les mots de Philippe Jaccottet. On avance peu à peu d’une fête des lumières à l’autre, dans un marché de fin d’année aux dimensions planétaires. Et vous, mettrez-vous du matériel, de l’immatériel, du virtuel, du réel au pied de votre sapin ? Nous en avons débattu le 24 décembre au matin sur RTS la 1ère, dans l’émission d’Antoine Droux.

 

[1] Hughes Sicard, «Le numérique au secours du patrimoine culturel immatériel ?», dans Patrimoines culturel immatériel et numérique, Marta Severo et Martine Cachat (dir.), L’Harmattan, 2016, p. 32-40 ; ici p. 32 : «Au cours des années 1990, les réunions d’évaluation de la Recommandation de l’Unesco sur la sauvegarde de la culture traditionnelle et populaire (1989) laissent transparaître des questionnements sur les possibles effets de l’émergence des nouvelles technologies».

Claire Clivaz

Claire Clivaz est théologienne, Head of DH+ à l'Institut Suisse de Bioinformatique (Lausanne), où elle mène ses recherches à la croisée du Nouveau Testament et des Humanités Digitales.

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