Le Temps de Lausanne

Place de la Palud ©cclivaz

Faut-il un jour d’avril ensoleillé repasser par la place lausannoise de la Palud, et puis voir l’horloge interpellant les passants pour avoir l’impression que «l’esprit ne meurt pas», comme le chantait le poète local Gilles. Fragrances d’enfance: il fallait tirer sur la main de l’adulte à temps pour ne rater le passage des petits personnages à l’horloge de la Palud, à l’heure pile!

©cclivaz

Pourtant, sur un rayon de librairie, devant les volumes alignés de Jacques Chessex, la théologienne que je suis ne peut s’empêcher de percevoir l’ère du changement: quel est l’écrivain du cru qui pourrait encore choisir autant de titres à références bibliques pour ses romans, sans craindre d’être incompris. Ou qui seulement aurait l’idée de les employer: «Jonas», «Le Désir de Dieu», «L’économie du Ciel», «L’Eternel sentit une odeur agréable»… Impressionnant à les lire à la suite.

Sur les ondes de la 1ère, un journaliste rappelait le matin même ces mots de Gilles, toujours: «Lausanne, une belle paysanne qui a fait ses humanités». Aussitôt je me mets en quête de la référence, déformation académique oblige, pour constater que la liste de tous les vertiges, Google, nous montre qu’on attribue ces mots tantôt à Gilles, tantôt à Ramuz: la mémoire locale les embrasse d’un même souvenir heureux. Impossible de trouver le texte en ligne, mais heureusement Youtube nous livre les accords d’une chanson tout autant enjouée qu’oubliée, «Lausanne»: écoutez-la!

Le chant se conclut ainsi: «Le marché sur la Riponne, puis l’Université, et puis la cloche qui sonne, voilà notre cité. Car le charme de Lausanne, c’est qu’elle est en vérité, une belle paysanne qui fait ses humanités. Sonne donc, pour l’école le grand branle-bas … mais l’esprit ne meurt pas». Parler des «humanités», par-delà les sciences humaines, est revenu aujourd’hui à la mode via les «humanités digitales», que j’aurai l’occasion de commenter sur ce blog. Des humanités à faire, donc, au rythme d’une ville qui change quand bien même l’esprit demeure.

L’adage de «Lausanne la belle paysanne» avait notamment été utilisé en 1964, par le syndic de Montreux d’alors, R. Juri, lors de son allocution de bienvenue dans la cérémonie d’ouverture de l’Assemblée générale de la Confédération européenne de l’agriculture, la CEA (p. 11): «On prétend même que tout Vaudois, quelle que soit sa profession actuelle, a des attaches plus ou moins lointaines avec la terre. Le membre vaudois de notre gouvernement fédéral est un ancien viticulteur. Quant à la ville de Lausanne, chef-lieu de notre canton et siège de l’Exposition nationale, elle a été définie par un poète et homme d’esprit comme “une belle paysanne qui a fait ses humanités”. C’est dire que les problèmes que vous allez débattre à l’échelon européen sont aussi nos problèmes. Nous savons que de leur solution dépend, dans une large mesure, l’évolution future d’un pays tel que le nôtre».

Qu’est-ce qui a changé de fait? Il suffit, dans ces phrases, de remplacer l’allusion au conseiller fédéral Paul Chaudet à Guy Parmelin, et R. Juri par Laurent Wehrli, et le tour est joué, car la phrase conclusive sur notre lien à l’Europe vaut exactement à l’identique en 2016. A l’heure des humanités à faire, à refaire, c’est le moment favorable pour Lausanne, dans sa capacité à innover et à faire durer, elle dont la «main gauche tient la vigne, la main du coeur». Depuis une année, signe des temps, le Temps est à Lausanne: c’est le temps de Lausanne!

 

Claire Clivaz

Claire Clivaz est théologienne, Head of DH+ à l'Institut Suisse de Bioinformatique (Lausanne), où elle mène ses recherches à la croisée du Nouveau Testament et des Humanités Digitales.

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