Enfin un livre sur l’histoire du Conseil municipal de la Ville de Genève

Le Mémorial, chronique d’une ville qui s’écrit au présent. Travaux d’histoire sur le Conseil municipal de la Ville de Genève.

Jorge Gajardo (dir.), Christophe Vuilleumier, Philippe Berger, Allison Huetz, Claire Méjean, Hansjörg Roth, Baptiste Antoniazza, Paulos Asfaha, Lauriane Savoy, Sarah Scholl, Gérard Duc. Préface d’Uzma Khamis Vannini et Amar Madani. Avant-propos d’Isabelle Roch-Pentucci. Stéphane Pecorini (photographe)

 

C’est un ouvrage sur un sujet largement inédit qui vient de sortir de presse, l’histoire du Conseil municipal de la Ville de Genève.

Fondé sur plusieurs sources, et plus particulièrement sur le Mémorial du Conseil municipal – un corpus qui retranscrit fidèlement les séances plénières depuis 180 ans – ce livre est le fruit des efforts du secrétariat du Conseil municipal de la Ville de Genève conjugués aux recherches d’une dizaine d’historiens et des services qui se sont investis dans ce projet.

 

 

 

La Corraterie, Alexandre Calame/Jacques Freydid, 1835 [CIG]

 

 

Il est rare – et cela mérite d’être souligné – qu’une institution politique entame un tel travail par nature introspectif. Car ce projet a été rendu possible grâce au soutien du Conseil municipal lui-même qui estimait que son histoire méritait que l’on s’y attarde. Et le résultat est probant ; identité communale et lieux de pouvoir, cimetières, espaces verts, fusion des communes, profil des élus, rapport du Conseil municipal au monde, premières femmes élues, etc…, nombreuses sont les thématiques abordées par les chercheurs qui se sont penchés sur les archives durant plus d’une année.

 

 

 

 

Projet jamais réalisé d’Hôtel municipal, Joseph Marschall, 1902.

 

 

 

A relever également, pour les esprits chagrins, que ce livre ne relève pas d’une démarche visant à glorifier une instance politique, bien au contraire ; les textes se révèlent dénués de toute compromission et dépourvus d’éloges à bien plaire, mais proposent plutôt des regards critiques laissant apprécier les perspectives, des références académiques, et un ton accessible à tout un chacun mettant en lumière des aspects originaux de la démocratie municipale. Bien entendu, toutes les facettes de cette histoire ne pouvaient être évoquées dans un seul livre et les sujets méritant d’être explorés demeurent encore multiples ; quelles furent, par exemple, les dynamiques au sein du Conseil municipal et ses actions officielles et officieuses durant les deux conflits mondiaux ; comment les relations du Conseil municipal et du parlement cantonal évoluèrent-elles au cours du XXème siècle ; les relations entre le Conseil municipal et le Conseil administratif connurent-elles des fluctuations ?

Les chercheurs auront à l’avenir encore de belles problématiques à étudier grâce à ce premier pas qui vient d’être réalisé et qu’on ne peut que saluer.

Le livre peut être obtenu gratuitement, sur demande à l’adresse: [email protected]

 

 

 

AU RENDEZ-VOUS DES HISTORIENS ET DES ESPIONS

L’espionnage…, le renseignement, fait l’objet de nombreux films et sans doute d’autant de romans. Des histoires fictives, fantasmées, mais qui parfois recèlent des bribes de vérité ou du moins un fonds de réalisme dont nous percevons rapidement les limites.

Le domaine reste évidemment obscur par nature, mais il n’en reste pas moins un rouage opérationnel s’inscrivant dans le cadre de stratégies politiques, économiques ou militaires depuis des décennies, dont des échos parviennent au grand public lors de scandales dévoilés, d’indiscrétions ou d’échecs spectaculaires. Qui ne se souvient de l’affaire du Rainbow Warrior en 1985, des micros de l’hôtel Intercontinental à Genève en 2016 ou de l’espion suisse démasqué en Allemagne en 2017 ?

S’il est largement illusoire de vouloir sonder ces profondeurs pour la seconde partie du XXe siècle, non seulement en raison de la proximité temporelle mais également de la démultiplication des technologies brouillant plus encore les cartes, il reste envisageable pour les chercheurs de se pencher sur les pratiques, les réseaux et les acteurs du renseignement de la première partie du siècle des grands conflits.

Tel est l’objectif du colloque qui se déroulera à Genève, les 19 et 20 octobre prochain, à la Maison de la Paix, et qui ciblera les pays neutres. Des nations comme la Suisse qui, au cours des deux guerres mondiales mais également lors des périodes de paix, a connu de nombreuses affaires d’espionnage en raison de sa neutralité et des avantages que cette dernière procure.

L’affaire Masson que Pierre Streit viendra éclairer, le réseau Micromégas qu’Yves Mathieu nous dévoilera, les services de renseignement polonais en Suisse en 1940 que Tadeusz Panecki évoquera, ou encore Hans Schreck, cet aventurier du renseignement actif à travers l’Europe de 1915 à 1933, dont j’aurai le plaisir de brosser le portrait, appartiennent tous à cette communauté du renseignement active en Suisse que Christian Rossé détaillera pour les années de la Seconde Guerre mondiale. Un prélude à l’intensification des opérations d’espionnage sur le territoire helvétique durant les années de guerre froide que Titus Meier esquissera.

Un colloque destiné non seulement aux spécialistes mais également au grand public !

 

 

Le renseignement dans les pays neutres au cours de la Première partie du XXe siècle

Colloque organisé par l’Association suisse d’histoire et de sciences militaires & le Geneva Centre for Security Policy

Maison de la Paix

19-20 octobre 2018

Renseignements :           https://ashsm.ch/colloque2018

Conférenciers :

19 octobre

11:00 Sioblan Martin

11:30 Alexandre Vautravers

13:30 Christian Rossé

14:00 Hervé de Weck

14:30 Pierre Streit

15:30 David von Felten

16:00 Jean-Jacques Langendorf

16:30 Olivier Lahaie

 

20 octobre

09:00 Yves Mathieu

09:30 Titus Meier

10:30 Jean-Michel Gilot

11:00 Jean-Christophe Emmenegger

11:30 Gérald Sawicki

13:30 Tadeusz Panecki

14:00 Christophe Vuilleumier

14:30 Emmanuel Debruyne / Elise Rezsöhazy

15:30 Gérald Arboit

 

 

 

 

Champ-Dollon, 40 ans de détention

La prison de Champ-Dollon, construite en 1977 est, à bien des égards, le récipiendaire d’un héritage, d’une expérience et d’une réflexion qui s’est développée au cours du XXe siècle et qui s’est accélérée après la Seconde Guerre mondiale. Les années Foucault l’ont déterminé en partie, à l’instar d’une vague philosophique interrogeant l’homme et son avenir. La décision de scinder l’unité médicale de la prison, alors Saint-Antoine, des autorités pénitentiaires et judiciaires en 1964, et de refondre le service de patronage la même année ne sont pas un hasard. Ces évolutions étaient les fruits de cette mouvance intellectuelle. 1964, la Guerre froide battait alors son plein, la Chine annonçait la création de sa première bombe atomique, et une nouvelle édition des Rencontres Internationales se tenait à Genève du 2 au 11 septembre, portant sur le thème « Comment vivre demain ? »[i]. Un événement réunissant des scientifiques comme le célèbre physicien Robert Oppenheimer ou Victor Frederick Weisskopf, le directeur du CERN, ainsi que des philosophes et des écrivains dont Jean Starobinski, Jeanne Hersch et Francis Jeanson n’étaient pas les derniers venus, et qui posaient la question de la condition humaine. Et si André Malraux était absent cette année-là, du moins aurait-il pu se reconnaître dans l’énoncé du programme des conférences :

« Nos sociétés, dans la situation révolutionnaire qu’elles vivent : promotion historique des peuples autrefois colonisés, accroissement des populations, inégalité dans la répartition des biens de consommation, accumulation d’armes nucléaires dont la puissance même interdit aux États d’envisager la guerre comme ultima ratio, sont simultanément la proie de techniques bouleversant toutes les conditions sociales et les relations humaines, tant publiques que privées : surindustrialisation, aéronautique, automobile, cinéma, radiotélévision… Tant et si bien que les hommes d’aujourd’hui doivent, pour survivre, non seulement s’adapter à des modes de vie sans précédent historique, mais surtout, s’ingénier à trouver des solutions neuves à des problèmes entièrement nouveaux »[ii].

Ce texte, à lui-seul, résume les défis et les problématiques sociales des années précédant la création de Champ-Dollon. Mais, ces observations pourraient tout aussi bien s’appliquer à notre époque contemporaine tant il est vrai que les hommes d’aujourd’hui, confrontés à des degrés de complexité sans équivalent, doivent s’adapter à des dynamiques évolutives si l’on considère seulement les ressacs de cultures multiples se mélangeant dans le creuset d’un univers mondialisé, les flux de population, l’Internet ou les fossés sociaux devenus les tranchées d’une guerre économique de plus en plus agressive. Un contexte dans lequel faire respecter les valeurs de notre société exprimées au travers de lois, dont la densité des corpus aurait fait grimacer Grotius, est devenu un défi constant, mettant sous pression tant les forces de l’ordre que le ministère public, et dont les effets influent directement et de manière très concrète sur la prison.

Car enfermer l’homme, le punir, le mettre hors d’état de nuire lorsqu’il viole certaines limites n’est pas de la responsabilité de la prison, mais bien des juges. Et la politique appliquée en matière de justice et de répression force à la hausse ou à la baisse le nombre de condamnations et, par effets successifs, les possibilités de réinsertion des détenus, autant que les finances publiques. Une équation dont les résultats divergent dans les pays européens en fonction des choix opérés par les gouvernements respectifs[iii].

Les exemples de la Hollande et de la Suède sont bien connus avec les chutes spectaculaires de leurs populations carcérales, rendues possibles par la mise en place de mesures alternatives à la peine d’enfermement, comme les bracelets électroniques, des injonctions de soins ou les peines d’intérêts généraux, et par les faibles taux de récidive. Des résultats qui sont expliqués en partie par les politiques sociales optées par ces pays qui ont développé des thérapies de «décriminalisation» en misant prioritairement sur la réhabilitation, mais également – pour ne pas dire surtout – par une baisse générale de la criminalité ordinaire. Une diminution dont les causes restent très disputées et qui est expliquée tantôt par des actions soutenues de la police et le développement des systèmes de surveillance, plus rarement par le vieillissement de la population ou l’éducation[iv]. Des résultats dépendant donc d’un faisceau de raisons qui ne sont pas toutes objectivables et qui ne prennent pas forcément en compte toutes les facettes d’une problématique s’étendant au-delà du seul condamné et des institutions, comme les attentes légitimes du besoin de justice des victimes et de leurs familles.

Genève, à l’instar de la France, s’est basé sur un principe de réalité mathématique et a opté pour un scénario de développement de ses infrastructures carcérales pour lutter contre la surpopulation de la prison qui, pour citer le ministre de la justice français Jean-Jacques Urvoas, contribue à un « ensauvagement » de la détention et des personnes détenues[v]. S’en tenir à ce constat serait partial puisque le système de probation développé à Genève depuis bientôt deux siècles s’axe dans le même sens que les modèles de réinsertion utilisés dans le Nord de l’Europe, avec des « sas » de sortie, des encadrements évolutifs dépendant du statut de la personne détenue puis libérée, et un travail de réseaux important. L’histoire de Champ-Dollon reste fortement marquée par les problèmes de surpopulation que l’établissement rencontre depuis les années 90. Et rien ne permet de conjecturer qu’il en ira différemment dans le futur comme le démontre l’histoire de l’enfermement qui met en lumière ce problème de surpopulation à de nombreuses époques. Un problème dont les variables sont nombreuses et difficilement maîtrisables.

Dès lors, l’univers des détenus, des agents de détention et de l’ensemble des intervenants qui évoluent « dedans », entre des murs créés pour obliger et protéger, revêt une dimension éminemment symbolique pour chaque personne intéressée par la gouvernance politique et judiciaire, mais également pour le simple citoyen dont la société, si l’on se rappelle de la phrase d’Albert Camus, se juge à l’état de ses prisons.

Il sera possible demain d’invoquer les figures emblématiques de l’histoire de la prison de Champ-Dollon ; le directeur Denis Choisy, le pasteur Barde, le gardien chef Philippe Schaller ou le directeur Constantin Franziskakis qui, tous, ont marqué de leur empreinte cette institution et qui ont tous démontré que « le temps passé en prison doit être appréhendé comme un temps de vie à investir »[vi].

 

[Photographies Victor Fatio]

 

[i] Rencontres internationales de Genève, Comment vivre demain ? Histoire et société d’aujourd’hui, éd. de la Baconnière, Neuchâtel, 1964.

[ii] Ibid.

[iii] Julien Morel d’Arleux, « Les prisons françaises et européennes : différentes ou semblables », Pouvoirs 135 (2010), pp. 159-170.

[iv] Franklin M. Zimring, The City That Became Safe : New York’s Lessons for Urban Crime and Its Control, Studies in Crime and Public Policy, Oxford University Press, 2012.

[v] En finir avec la surpopulation carcérale, Rapport au Parlement sur l’encellulement individuel, Ministère de la Justice, Paris, 2016, p. 8. Thérèse Delpech, L’ensauvagement, le retour de la barbarie au XXIe siècle, Grasset, 2005.

[vi] En finir avec la surpopulation carcérale, Rapport au Parlement sur l’encellulement individuel, Ministère de la Justice, Paris, 2016, p. 33.