Michel Ier de Roumanie, un roi en Suisse

Lorsque l’on n’est pas expert d’une question, mieux vaut laisser la parole, ou la plume, à ceux qui savent. C’est le cas avec Michaël Flaks qui fait autorité à l’égard du roi Michel Ier de Roumanie.

Et pour cause ?

Il en fut l’avocat, l’ami et l’exégète privilégié. En octobre 2016, le Genevois publiait un article à propos du souverain dans la revue mensuelle romande d’histoire et d’archéologie maintenant bien connue Passé simple : « Un roi en Suisse, le long exil de Michel Ier de Roumanie ». Et c’est pour commémorer la mémoire de ce roi en Suisse que je lui laisse ici l’espace d’expression sur mon blog.

 

« Dernier commandant en chef de la Seconde Guerre mondiale et dernier souverain régnant de la Roumanie Michel Ier aurait eu 100 ans le 24 octobre 2021. Ses liens avec la Suisse sont anciens et solides. Il a fait figure d’exception en préservant son honneur de toute compromission.

 

Troisième et cinquième roi de Roumanie, roi-enfant à six ans, Michel succède le 20 juillet 1927 directement à son grand-père Ferdinand Ier, issu de l’illustre et très ancienne famille des Hohenzollern. Son père Carol, déchu de ses droits à la couronne en 1926, vit à l’étranger, sous le nom de Carol Caraiman. Trois ans plus tard, le 5 juin 1930, le petit Michel est renversé par son propre père, proclamé roi de Roumanie sous le nom de Carol II. Michel retrouve le trône le 6 septembre 1940, à l’âge de dix-neuf ans, quelques heures après que Carol II a suspendu la Constitution, nommé le général Antonescu, conducator de l’État puis abdiqué durant la nuit. Michel, souverain titulaire de la Roumanie, règne alors sans pouvoir, dans un pays dorénavant allié de l’Axe. Il refuse toutefois de contresigner l’annexion de la Transnistrie et les lois de persécution contre les Juifs. Sa mère, la Reine Hélène, lui avait expliqué que tout ce qui se passait n’était pas bien. Il se souvient de deux rencontres avec Hitler. La première se passe en 1938. Il accompagne alors son père Carol II dans une tournée européenne, qui les mènent à Londres, à Paris, puis à Berchtesgaden. C’est lors de ce voyage qu’il prend réellement la mesure, à Munich, raconte-t-il, de l’ampleur oppressante du nazisme. La seconde fois, c’est en janvier 1941, à la nouvelle Chancellerie à Berlin. Antonescu impose cette visite à Michel, redevenu formellement roi de Roumanie, l’armée roumaine combattant aux côtés des forces allemandes sur le front russe. Cette fois-ci, il est accompagné de sa mère. Il se souvient de l’agitation d’Hitler, de cet homme qui dégageait quelque chose de viscéralement déplaisant, de son regard à vous donner le frisson. Michel refuse aussi de se rendre sur le front, lorsque celui-ci se trouve au-delà des limites du territoire roumain.

Le 23 août 1944, Michel Ier dirige personnellement un coup d’État, prévu de longue date, dès 1943, pour sortir de la guerre, en concertation secrète avec les Alliés. Il arrête le Conducator, l’enferme dans l’armoire blindée de son bureau, et, avec quelques officiers et soldats fidèles, quitte Bucarest, ordonne le cessez-le-feu avec l’URSS, déclare la guerre à l’Allemagne, l’armée roumaine le suit, l’ambassadeur d’Allemagne, Manfred von Killinger se tire une balle dans la bouche. Michel, à vingt-trois ans, renverse ainsi les alliances. Son acte royal le fera vraiment roi et rentrer dans la grande Histoire. En représailles de cette « trahison » Hitler déporte les princes de Hohenzollern-Sigmaringen et attribue le château tutélaire de la famille à ce qui reste du gouvernement déchu de l’Etat français de Vichy. En 1946, les États-Unis d’Amérique confèrent au roi Michel la plus haute décoration américaine, la Légion of Merit, au grade de Chief Commander. A cette occasion, le président Truman put dire de Michel Ier qu’il contribua remarquablement, au péril de sa vie, à la cause de la liberté et de la démocratie. Staline, de son côté, honore également le courage de Michel, ce jeune homme, pour qui il a une certaine admiration et lui octroie l’Ordre de la Victoire, destiné uniquement aux chefs militaires victorieux. Sous la menace du gouvernement communiste de Roumanie de tuer un millier d’étudiants, le roi abdique finalement le 30 décembre 1947. Le 4 janvier 1948, le train aux armes royales roumaines s’arrête en gare de Lausanne. Le passeport diplomatique roumain du jeune exilé, délivré le 2 janvier 1948, l’est au nom de Sa Majesté Mihai I, roi de Roumanie à Michel, prince de Hohenzollern, roi de Roumanie, voyageant à l’étranger. Il est frappé du tampon humide de la République populaire roumaine.

Une indifférence de plomb entoure progressivement le jeune monarque dans son exil suisse. Michel doit prendre en main les finances quotidiennes et se mettre aux tâches domestiques. Pour Anne de Roumanie, née princesse de Bourbon-Parme, son époux peut être un bon roi constitutionnel, s’il en a la possibilité, mais il peut aussi devenir un bon ingénieur, mécanicien, pilote ou photographe. C’est à cette époque qu’intervient la rencontre avec William Lear, l’avionneur précurseur. Michel devient son directeur des essais en vol des instruments. Il est appelé par les employés suisses « Monsieur Michel » et par les Américains « King Michael ». Il s’abstient aussi de participer outre mesure à la vie publique, sauf lors de circonstances exceptionnelles, Ses enfants suivent les écoles locales. Les Versoisiens croisent la Reine à la Migros et les fonctionnaires du bureau genevois des autos expertisent les jeeps de « Monsieur Michel », dont celle de commandement offerte par le Général Patton. Elles sont démontées et remontées dans le petit atelier de mécanique, attenant à la maison des Roumanie. Parfois, un car de voyageurs venus de Roumanies s’arrête à Versoix, pour observer, de loin, cet homme, en bleu de mécanicien, qui sort du garage pour les saluer. D’autres observent différemment l’ancien souverain : des agents de la Securitate roumaine ont progressivement investi certaines maisons alentours. La police fédérale a informé et des rondes sont faites quelquefois.

En 1989, les événements se précipitent à l’Est. La plupart des jeunes Roumains ignorent tout de Michel et de son combat pour la démocratie, car longtemps, l’histoire officielle de la République populaire de Roumanie avait effacé jusqu’à son existence ! Le roi tente un retour à l’occasion des fêtes de Pâques 1990. Voyage inopportun et prématuré, décrètent les autorités roumaines et le roi est débarqué de l’avion Swissair en partance de Zurich pour Bucarest. Le roi a vécu en exil pendant 43 ans, il peut bien attendre encore un peu, souligne Petre Roman, le premier ministre. Autre tentative en décembre 1990. En route pour Curtea de Arges, lieu de sépulture de la famille royale, un barrage de véhicules militaires et de tracteurs bloque le convoi et le roi est refoulé en Suisse par avion militaire roumain. Les images de cette expulsion manu militari font le tour du monde et de la Roumanie. Le 26 avril 1992, le souverain est enfin autorisé par le président Iliescu à se rendre en Roumanie pour les célébrations de Pâques. A Bucarest, plus d’un million de personnes l’acclament. Inquiet de son immense popularité, les autorités roumaines interdisent à nouveau l’entrée de Michel de Roumanie dans son pays.

Le 4 novembre 1993 le roi Michel reçoit la médaille de Juste parmi les Nations. Elle est conférée par l’Institut Yad Vashem de Jérusalem à titre posthume à sa mère, la reine Hélène de Roumanie. Commencé plus tôt qu’ailleurs, en 1938, le processus d’anéantissement des Juifs de Roumanie s’est arrêté plus tôt, dès l’automne 1942. Alexandre Safran, jeune grand rabbin de Roumanie âgé de 28 ans, à l’aube de la Seconde Guerre mondiale, puis grand rabbin de Genève après la chute de la monarchie roumaine, a toujours relevé l’intercession constante du roi Michel Ier et de la reine mère de Roumanie pour tenter de protéger les Juifs de Roumanie.

Ce n’est qu’en 1997, sous l’égide du nouveau président Emil Constantinescu, que la situation se normalise. Le 25 octobre 2011, à l’occasion de son 90ème anniversaire, les deux chambres du Parlement reçoivent en séance solennelle l’ancien souverain. Décédé à Aubonne le 5 décembre 2017 ses funérailles en Roumanie sont d’État et royales. La Roumanie s’est réconciliée avec son Histoire ».

 

Michaël Flaks

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est un historien suisse, actif dans le domaine éditorial, et membre de plusieurs comités de sociétés savantes, notamment de la Société suisse d'histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIème siècle et du XXème siècle, dont certaines sont devenues des références.

6 réponses à “Michel Ier de Roumanie, un roi en Suisse

  1. Belle évocation d’un personnage royal extraordinaire et tragique.

    Vous m’avez appris une chose que j’ignorais: c’est en représailles pour la rébellion du jeune roi Michel contre lui, qu’Hitler avait confisqué le château de Sigmaringen où allait être transporté le Maréchal Pétain.

    1. Merci beaucoup de votre aimable commentaire. J’ajoute que non seulement Hitler a confisqué le château de Sigmaringen, mais encore ordonné la déportation des membres de la famille princière de Hohenzollern-Sigmaringen.

      1. @ Michaël Flaks : Hitler voulait ce château pour permettre aux hauts dignitaires Nazis de couler une retraite paisible …

        Information qui m’avait été donnée par un historien à Munich du Centre de documentation sur l’histoire du national-socialisme.

  2. Ayant à l’époque (2008-2009), épousé une Roumaine, et passant au bord du Léman en direction de Genève par des chemins sortant des Itinéraires Habituel, J’ai passé à proximité de l’Habitation du Roi Michel Ier de Roumanie en Suisse, et viens de voir qu’il es décédé en 2011, et en connaissait déjà ses qualités de résistants, ainsi que son engagement pour la démocratie de son pays, reconnu actuellement par ses successeurs, et qui clos malheureusement son Histoire, pratiquement dans un certain anonymat,

  3. Il mérite un tableau … Noble Ame , on le voit dan ses yeux … L’ Histoire a besoin d’images … Merci pour cette page éclairante de l’ Europe … Je vais m’ y atteler … Serge , Montpellier , France le 12 12 2021 . Non d’artiste : stal fa

  4. Le roi Michel, lors de son exil en Angleterre, avait travaillé comme ingénieur dans une usine d’aéronautique. exposé au bruit des moteurs, il était devenu pratiquement sourd et portait une prothèse. Malicieusement, certains de ses proches disaient que celà l’arrangeait bien parfois, quand il ne voulait pas entendre des propos embarrassants ou s’extraire d’une conversation ennuyeuse.

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