La nouvelle “verrue” de Morges ?

Morges voit la fin du chantier pharaonique du quartier des Halles, dans le périmètre de sa gare; de nouveaux immeubles dont le propriétaire n’est autre que CFF Immobilier. Un projet sensible à bien des égards, notamment en raison des nuisances de bruit et surtout de trafic qui ont pénalisé la petite cité durant de nombreux mois.

Le projet touche donc à sa fin sans entraîner de véritable soulagement puisque les critiques sont vives et multiples. L’ensemble conçu par le bureau d’architectes genevois Aeby Perneger&Associés domine en l’occurrence la ville médiévale, donnant à ce petit quartier des aires de Manhattan avec ses tours de 16 à 17 étages et ses barres locatives : un ensemble décrié donc par de nombreux habitants qui lui comparent le palais de Ceausescu ou le siège du KGB et lui reprochent son aspect massif et bétonné étouffant, son absence de verdure, sa froideur disgracieuse et son absolu manque de cohésion dans l’ensemble architectural environnant. Une « grosse verrue » dénaturant l’ensemble de la ville de Morges que l’on verrait mieux dans un quelconque downtown américain !

Mais, comme le relève le journaliste Cédric Jotterand dans 24H[1], ces critiques n’empêchent pas de « susciter l’intérêt des professionnels puisque le projet du bureau d’architectes Aeby Perneger & Associés figure parmi une douzaine de récipiendaires du prix «Best architects 22» », un prix donné à des architectes par des architectes que la Ville de Morges et CFF Immobilier ont bien évidemment mis en avant pour réaffirmer tout le bien que ces derniers pensaient dudit projet…! On en reste pantois d’extase!

Un projet qui semble donc conçu pour les professionnels, empreint d’une rigueur toute technocratique, et non pour la population qui, pour sa part, pourra en apprécier toute l’étendue lorsque le montant des loyers de ces espaces influera sur l’ensemble du marché local. Mais il est vrai que CFF Immobilier n’a pas comme priorité la préservation du charme des sites que cette régie occupe, ni la qualité de vie de ses habitants, mais bien plutôt les profits pouvant être inscrits dans les colonnes de ses bilans.

Morges Avenir [www.morgesavenir.ch/projets/aujourd-hui/le-quartier-des-halles-55]

Certains pourront rétorquer que porter un avis sur l’esthétique d’un bâtiment n’est pas possible puisque la beauté est subjective. Un argument massue répété à l’envi par les promoteurs et les concepteurs dont le seul horizon se résume généralement aux plans financiers de ces projets. Mais, cette opinion si souvent répétée est-elle vraie ? L’histoire ne démontre-t-elle pas que des canons d’esthétisme ont existé par le passé, dans la peinture, la sculpture, la poésie et bien entendu l’architecture ? Et si ces canons d’esthétisme étaient par nature subjectifs, du moins remportaient-ils l’adhésion de la plupart. Et n’y a-t-il pas également des tendances générales dans notre monde contemporain nous portant de préférence vers des réalités que nous estimons plus agréables que d’autres? Qui, ainsi, pourrait considérer laide une aube naissance au-dessus des Alpes ou de l’océan ? Qui jugerait innommable un paysage champêtre ? Et dès lors, qui aurait envie d’élire domicile dans une ancienne prison réhabilitée en logement plutôt que dans une maison de maître du XIXème siècle ? Cette subjectivité de l’esthétisme architectural n’est rien d’autre en fin de compte qu’une hypocrisie crasse, un feu devant lequel faire danser quelques fous.

L’objectivité dans cette affaire, c’est bel et bien la dimension disproportionnée du projet d’Aeby Perneger & Associés autant que l’appétit gargantuesque de CFF Immobilier qui péjorent la ville de Morges et ses habitants. Espérons que cet exemple malheureux dont l’ancienne municipalité porte une large responsabilité ne sera pas suivi par d’autres !

 

 

[1] https://www.24heures.ch/le-quartier-des-halles-divise-le-public-pas-les-professionnels-361962001827

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est un historien suisse, actif dans le domaine éditorial, et membre de plusieurs comités de sociétés savantes, notamment de la Société suisse d'histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIème siècle et du XXème siècle, dont certaines sont devenues des références.

6 réponses à “La nouvelle “verrue” de Morges ?

  1. Si j’ai bien compris ce qui a justifié le prix, ce n’est pas l’esthétisme du projet mais le fait qu’il répond aux besoins des diverses populations et activités de la cité. Avec une mobilité bien pensée. Promesses d’une bonne qualité de vie et de développement économique.

    Concernant les choix esthétiques, un “paysage champêtre” ou “une maison de maître du 19e siècle” font l’unanimité. Mais comment décliner ces canons avec des écoles, des EMS, des activités économiques et des logements variés ?

    Personnellement je pense que si la vie grouille dans ce quartier, tout le monde l’adorera. Wait and see.

    1. Ce ne sont pas tant les besoins ni les motivations qui sont critiquables dans ce projet comme dans tant d’autres au demeurant, mais bien la déclinaison architecturale.
      Vous évoquez la “bonne qualité de vie” envisagée pour ce projet, et c’est prioritairement de cela dont il est question. Comment espérer une bonne qualité de vie dans un environnement qui, aux yeux d’un grand nombre de personnes, est laid? De multiples études sociologiques et psychologiques existent et démontrent que l’environnement dans lequel nous évoluons impacte lourdement notre perception de la vie.
      Concernant votre question sur la manière de déterminer une esthétique avec les différents besoins d’un cahier des charges certainement complexe, c’est à l’évidence l’un des aspects que les architectes doivent étudier. Pour le dire plus clairement encore, l’esthétique est le principe fondamental qui a conduit la pensée des architectes au cours des siècles précédents, principe complètement évacué de nos jours pour des raisons financières principalement puisque je ne doute pas que nombre d’architectes auraient le talent et les compétences pour bâtir des maisons qui, à défaut de rivaliser avec la Chapelle Sixtine, pourraient du moins faire preuve d’une certaine beauté. N’est-il pas étonnant d’observer les profondes différences entre les immeubles de la fin du XIXe siècle ou de la première partie du XXe siècle qui trônent dans nos centres villes – et qui les rendent attractifs et “grouillant de vie” – et la conception contemporaine de l’architecture qui est triste à mourir et aseptise justement cette vie et notre société? N’est-il pas du devoir des architectes de justement développer des concepts permettant d’allier les contraintes environnementales avec une esthétique partagée par le plus grand nombre en respectant dans la mesure du possible les plans financiers?

      1. Je ne vois pas pourquoi l’esthétique s’opposerait à la rentabilité financière. Il n’y a aucune raison pour ça et c’est précisément l’art des architectes et de d’urbanistes de concilier les deux.

        C’est vrai qu’autrefois on se souciait d’esthétique, et pourtant on construisait de manière très économique. Prenons l’exemple d’une place du XIXe siecle très réussie, dans une ville de Suisse romande: la place centrale, ou place du marché à Martigny. Elle est tres belle, ombragée, avec ces magnifiques platanes et ces belles façades. J’ignore qui étaient le promoteur et l’architecte, mais je constate que l’on a construi avec des matériaux pauvres, dans un style extrêmement sobre, en moellons et ciment avec juste des tours de fenêtres en pierre agrémentés d’une ornementation minimaliste. Ca a été bati avec très peu d’argent, c’est évident. Il s’agissait d’un plan très simples avec des échoppes et des cafés au rez, des bureaux et/ou logements à l’étage. Des terrasses sur la place était cette idée géniale des platanes, plus un petit kiosque à musique. Ça a été conçu pour durer. Résultat: aujourd’hui ça reste comme un chef d’œuvre et je suis sûr que les investisseurs ont eu un très bon rendement, pendant longtemps.

        Il est parfaitement possible de construire des quartiers nouveaux (surtout quand on a la chance, comme c’était le cas en l’occurrence à Morges de remodeler une zone très vaste où on peut vraiment faire de l’urbanisme), qui soient à la fois très rentables financièrement pour le propriétaire, beaux, fonctionnels, respectueux de l’environnement, incluant des espaces verts, gardant une référence au style régional (ce qui devrait être une exigence forte des autorités municipales), pratiques, agréables à habiter, etc. Encore faudrait-il le vouloir, et pour ça il aurait fallu que la municipalité se soucie de tous ces critères. Manifestement, ce n’était pas le cas à Morges, puisqu’une verrue pareille a pu sortir de terre.

        Cela mériterait qu’on fasse une enquête pour déterminer qui a décidé de choisir ce projet horrible, et pourquoi.

  2. Je me suis promené l’autre jour dans ce quartier. Il est affreux. C’est vrai que les anciens bâtiment étaient déjà assez moches (sauf les grandes halles en bois qui avaient du charme) mais vraiment, au point de vue urbanisme le nouveau quartier est un ratage absolu.

    C’est un véritable scandale. On peut soupçonner que des enveloppes bien dodues ont été distribuées pour que ce projet soit voté au conseil municipal, car vraiment les autres projets en lice ne pouvaient être que mieux. C’était impossible de faire pire.

  3. Tout sauf beau, manque d’élégance, aucune harmonie : Morges dont le surnom est “La Coquette” est à ranger aux archives communales.

    Le quartier des Halles ressemble à une cité dortoir et rien de plus !

    Cela va continuer puisqu’il existe un projet CFF pour moderniser la gare …

    Et le quartier Eglantine -Nord n’est guère mieux …

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