L’épidémie de 1957 en Suisse

A la fin de l’année 1956, une épidémie de grippe éclatait en Asie du Sud-Est alors que l’Europe était encore sous le choc de l’insurrection de Budapest et de la crise de Suez, et suivait semaine après semaine la situation en Algérie avec l’opération Djenad menée par les Français dans la forêt d’Adrar au mois d’octobre.

Et lorsque l’épidémie s’étendit à Singapour au mois de février 1957, infectant quelques 250’000 personnes, rares furent les personnes en Occident à remarquer la découverte réalisée par des scientifiques de Melbourne, Londres et Washington qui venaient d’identifier un nouveau virus, une grippe A de type (H2N2). L’actualité tout entière était portée vers d’autres préoccupations !

Et pourtant, la catastrophe était en marche et ne pouvait plus être stoppée. L’épidémie atteignait les États-Unis au mois de juin, entraînant en quelques semaines prêt de 70’000 morts.

Le monde était contaminé en six mois !

Fièvre, pneumonie, œdème pulmonaire, insuffisance respiratoire, un lexique qui nous est aujourd’hui familier allait être décliné sur les cinq continents. En France, la maladie devait causer la mort, selon les estimations réalisées à cette époque, de plus de 10’000 personnes. Des chiffres à prendre avec précaution tant il est vrai que si les décomptes réalisés de nos jours dans le cadre de la pandémie de Coronavirus sont soumis à des appréciations et des méthodologies fluctuantes selon les pays, ils l’étaient d’autant plus il y a soixante ans ! L’OMS allait ainsi estimer le nombre de morts de la grippe de 1957 à environ 2 millions, certains spécialistes avançant le chiffre de 4 millions, avec environ 20% de la population mondiale infectée.

L’épidémie de virus A (H2N2) communément appelée « Grippe asiatique » après avoir été baptisée « Grippe A/Singapour/57 » puis « Grippe A/Tokyo/57 » devait flamber jusqu’en 1958, et circuler durant encore onze ans à travers le monde avant de voir une mutation générant une nouvelle pandémie en 1968, dite « grippe de Hong Kong », bien moins mortelle.

Et en Suisse

En Suisse, le virus de la grippe asiatique était identifié pour la première fois le 9 septembre 1957 chez des écoliers bernois. Dès lors, le service fédéral de l’hygiène public allait recenser régulièrement de nouveaux foyers à travers l’ensemble du pays[1]. Dans la semaine du 29 septembre au 5 octobre 1957, la Confédération annonçait 13’726 cas de grippe, contre 5’931 la semaine précédente, et cinq morts[2]. La semaine suivante, le nombre de personnes infectées se montait à 25’580. Sept malades devaient mourir[3]. Une situation bien meilleure qu’en Angleterre par exemple, qui, le 22 octobre déplorait 591 morts, cumulant ainsi un résultat sinistre de 1787 morts depuis le début de la crise[4].

Les autorités fédérales répliquèrent rapidement en faisant produire dès le mois d’octobre un vaccin polyvalent contre l’influenza par l’Institut sérothérapique et vaccinal suisse de Berne dans le but d’entamer une vaccination de masse[5].

Du temps pour produire suffisamment de vaccins était toutefois nécessaire, délai durant lequel la maladie ne chôma pas. A Genève, à la fin du mois de novembre 430 nouveaux cas étaient enregistrés, puis 241 la semaine suivante avec treize morts en ville et dans les campagnes[6]. Et si l’épidémie semblait être enrayée à Genève à la veille de Noel, alors qu’un Genevois sur sept avaient été atteint[7], tel n’était pas le cas à Zurich qui au même moment décomptait 1’046 cas[8].

Malgré la pandémie, ni la Confédération, ni les cantons ne devaient prendre de mesure de quarantaine – à l’exception de quelques classes d’école dans lesquelles des cas s’étaient déclarés – le médecin-chef du service des écoles du canton de Genève résumant ainsi la situation :

 

« L’épidémie de grippe ne justifie pas pour le moment la fermeture des écoles. Cette mesure serait même défavorable, beaucoup d’enfants dont les parents travaillent risqueraient d’incuber la grippe en jouant dans la rue »[9]. Évidemment la PS4 n’existait pas encore !

 

Les systèmes sanitaires helvétiques suivaient toutefois de prêt l’épidémie et communiquaient avec moult précisions ses différents aspects. En septembre, le Journal de Genève publiait ainsi un très long article scientifique du docteur Pierre Rentchnik dans sa rubrique « Vie médicale »[10]. La télévision suisse dont le service régulier avait débuté le premier janvier 1958 dans trois studios, à Genève, Zurich et Lugano devait également relayer les informations concernant la grippe.

Le calme, tout au long de ces mois de maladie, devait prédominer dans la société helvétique. 1% des malades seraient pourtant hospitalisés, mais l’inexistence de réseaux sociaux, évidemment, permit d’éviter d’attiser les peurs au sein de la population dont le comportement ne changea guère. Il est vrai que l’absence de mesures fortes, comme cela avait été le cas en 1918 lors de la grippe espagnole, n’avait pas mis les esprits en ébullition. Et l’épidémie, au demeurant, devait rester bégnine avec, par exemple, cinquante morts à Genève entre l’automne 1957 et le printemps 1958[11].

La létalité de la grippe de 1957, qui s’éleva à 0,37 %, devait pourtant servir de référence, notamment pour l’élaboration du Plan suisse de pandémie Influenza [12].

 

 

 

[1] Gazette de Lausanne, 21.07.1957.

[2] Journal de Genève, 11.10.1957.

[3] Journal de Genève, 18.10.1957.

[4] Journal de Genève, 22.10.1957.

[5] Journal de Genève, 24.10.1957.

[6] Journale de Genève, 04.12.1957.

[7] Journal de Genève, 03.01.1958.

[8] Journal de Genève, 06.12.1957.

[9] Journal de Genève, 19.10.1957.

[10] Journal de Genève, 28.09.1957.

[11] Journal de Genève, 11.02.1959.

[12] Plan suisse de pandémie Influenza. Stratégie et mesures pour la préparation à une pandémie d’Influenza, 5e édition, Confédération suisse, 2018.

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est un historien suisse, actif dans le domaine éditorial, et membre de plusieurs comités de sociétés savantes, notamment de la Société suisse d'histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIème siècle et du XXème siècle, dont certaines sont devenues des références.

5 réponses à “L’épidémie de 1957 en Suisse

  1. Mayday, m’aider, mayday…

    A tous les médias et autres blogueurs, si vous voulez participer à la reconstruction de l’après, arrêtez de parler du virus, comme si vous en saviez quoique ce soit. Vous voyez bien que l’OFS n’en sait rien.
    Après, stratégie de déni, ce pourrait être une solution à la suédoise?

    Il faut rassurer les peuples et non accuser Paul, Jacques ou Jean de forfanterie.

    Vous ne masquez que vos propres carences, ce faisant!
    Merci à tous

  2. Petit rappel en matière de maladies infectieuses :
    Tuberculose, paludisme et sida tuent environ 2.600.000 personnes dans le monde chaque année.
    Il n’existe aucun vaccin efficace contre ces maladies, tout au plus des traitements médicaux plus ou moins efficaces.
    Alors, quelques centaines de milliers de morts du COVID 19 ne changeront rien au résultat !
    La seule chose qui change, ce sont de pays dit développés qui sont atteints, le 1/3 ou le 1/4 monde peut bien attendre…

  3. Oui c’est vrais en Afrique 100000 personnes décèdent du paludisme chaque année. Et ça effreil personne

      1. Ça c’est envoyé !
        “Pan dans l’mille Émile !”👌
        Ah, “l’effrailleur de l’ortograffe” ! 🤣
        Tonton Zinzin Zigomar-19 🤓

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