Un monde à la dérive

2018, le monde couche avec sa décadence, les problèmes sociétaux sont légions. De la précarité du 3e âge au gavage des assurances, de l’asphyxie de nos voies de communication au réchauffement planétaire, de l’appauvrissement des médias à la désintégration progressive de certaines démocraties placées sous la férule de gouvernements oublieux des principes de Montesquieu, nombreuses sont nos sociétés qui se sont éloignées des idéaux de liberté, d’émancipation et d’humanité qui prévalaient il y a quelques décennies. Inefficace pour résoudre les conflits ravageant le Yemen, la Syrie ou le Donbass, désarmée pour gérer la crise des migrants ou contrer les effets du réchauffement climatique, l’ONU proclamait récemment le début de la décennie internationale d’action sur le thème de « L’eau et le développement durable », s’engageant encore pour l’élimination de la pauvreté. Ses résultats se révèlent pourtant aussi médiocres que ceux de la SDN en son temps. Certains, comme l’économiste François Bourguignon, font ainsi remarquer que les méthodes de calcul de la banque mondiale pour évaluer l’évolution de la pauvreté sont basées sur des seuils ridiculement bas. En d’autres termes, une méthodologie d’estimation qui, si elle devait être basée sur des critères plus humains que mathématiques, viendrait nous démontrer que la pauvreté dans le monde s’est en réalité multipliée par trois depuis le début du siècle[1].

Un monde à la dérive acceptant les noyades collectives de migrants en Méditerranée pour qui les moyens déployés par l’Otan ou la Russie ne sont pas à l’ordre du jour, tolérant par ailleurs l’existence de media ouvertement nazis établis aux Etats-Unis où le Premier Amendement interdit de limiter la liberté d’expression[2]. Car alors que l’Otan d’une part[3], et la Russie et ses alliés chinois et mongoles d’autre part[4], exhibaient il y a quelques semaines leurs capacités militaires respectives au travers d’une rivalité onaniste, la fange brune d’une extrême-droite de plus en plus fasciste, de moins en moins marginalisée – qu’elle soit brésilienne, polonaise, italienne ou allemande – souille régulièrement notre quotidien surconnecté qui ne parvient plus à distinguer informations réelles et fake news.

Nos champs de références s’effritent ainsi progressivement, modifiant peu à peu nos valeurs, nous faisant admettre doucement la perte de nos libertés sapées plus encore par un éréthisme sécuritaire engendré par des cohortes de promoteurs de violence, une dérive inconsciente occultée par des sensations de normalité nous faisant accorder à des instances privées une légitimité dans l’exercice d’un pouvoir par nature régalien, celui de de la surveillance de nos concitoyens.

Pouvons-nous espérer, comme le mélioriste Jacques Attali qui estime qu’il est des solutions permettant de résoudre simultanément des problématiques comme celles de la pauvreté, du réchauffement climatique, de l’identité européenne et de la prochaine crise financière ? On peut en douter comme le laissent pressentir le durcissement des relations entre les USA et la Chine, ou entre la Russie et l’Ukraine. Nul examen de conscience ne permettra de modifier le cours des choses tant que le monde admettra à la table des puissants des individus faisant primer l’opposition à la conciliation, cherchant dans le court terme des solutions à des problèmes s’étalant sur des temps moyens ou longs, et faisant prévaloir le matérialisme à la culture.

 

[1] https://live.worldbank.org/experts/fran%C3%A7ois-bourguignon

[2] https://democratieparticipative.biz/category/emissions

[3] http://www.leparisien.fr/international/norvege-les-grandes-manoeuvres-de-l-otan-fachent-la-russie-23-10-2018-7925748.php

[4] http://www.leparisien.fr/international/la-russie-organise-ses-plus-grandes-manoeuvres-militaires-depuis-la-guerre-froide-11-09-2018-7884303.php

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est un historien suisse, actif dans le domaine éditorial, et membre de plusieurs comités de sociétés savantes, notamment de la Société suisse d'histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIème siècle et du XXème siècle, dont certaines sont devenues des références.

9 réponses à “Un monde à la dérive

  1. Merci pour cet excellent résumé historique de notre situation contemporaine. Je reste malgré tout plutôt optimiste.

  2. Cher monsieur, vraiment c’est navrant, votre propos sur la frange fasciste polonais qui souille votre quotidien. Déjà, l’extreme.droite polonaise donc apparemment “fasciste” (?) selon vous n’as rien avoir avec les “fascistes”, toute apologie de cette ideologie est puni en Pologne, victime justement des “fascistes”. De plus, si vous parlez de fascistes, parlez des Suisses, au quotidien je vois ici des comportement franchement fascistes. Et foutez nous la pais , aux Polonais, enfin et allez y voir de près !!!

  3. Il me semble que votre analyse laisse supposer qu’il n’y a pas de « mauvais peuples » mais que de « mauvais gouvernements », et que ce sont ceux-ci qui font obstacle à l’espoir d’un monde meilleur. Un peuple de caractère dépendant dans sa grande majorité pourrait théoriquement devenir « meilleur » si influencé par un « meilleur gouvernement »… Je doute de ce pouvoir d’influence même dans des pays démocratiques où les citoyens ont acquis une autonomie de pensée leur permettant de concevoir de vraies opinions. Le gouvernement hongrois par exemple, qui méprise largement les accords européens sur la migration des réfugiés, semble en bon accord avec la volonté de son peuple. Peu d’espoir donc qu’un gouvernement plus humanitaire et solidaire de ses voisins proches ou éloignés parvienne ici à prendre place ou se maintenir pour créer un renouveau. Je pense que le renouveau est possible avec l’arrivée des nouvelles générations, mais dans ce paysage la forêt a la vie plus longue que le champs rasé chaque année avant l’hiver.

  4. … et faisant prévaloir le matérialisme à la culture et à la nature.

    Nous acceptons la mort des migrants, et la pollution et destruction de notre merveilleuse nature.
    Le cœur des hommes devient dur lorsqu’il est trop longtemps trop loin de la nature.

    Merci pour ce beau texte, il est un peu rassurant de voir que certains pensent encore.

    1. La nature est merveilleuse, l’homme en fait partie, et faute de griffes et de dents tranchantes il assure sa survie par d’autres moyens. Dans le domaine médical il se protège des infections en éradicant si possible d’autres formes de vie tout aussi naturelles. Il tue pour se nourrir, tue pour protéger sa famille, son territoire, sa maison… et d’une certaine manière redresse l’équilibre local ou distant en recourant aux outils modernes qui heureusement ont évolué depuis la lance, la flèche, le sabre, les boulets. L’idéal de paix n’est pas partagé par la totalité de l’espèce humaine appartenant tout autant que les autres à cette nature que l’on aime voir merveilleuse à l’image du paradis. La vie est parfois merveilleuse sur terre quand on a les moyens de la sauvegarder sans souffrir, elle est cruelle pour les plus faibles, ceci parfaitement en accord avec la nature qui ne se mêle pas de protéger une culture au détriment d’une autre. La terre pourrait être couverte d’insectes sans pensée ou d’humains aux yeux bridés qu’elle ne se porterait pas plus mal dans son nouvel équilibre. La dureté du coeur humain ne la compromet nullement, autant qu’elle ignore les sensibilités de ce coeur animal particulier.

  5. Malheureusement j’ai peine à lire vos envolées. Je vous résume : le monde va de plus en plus mal. Pas besoin de le prouver, tout le monde le sait. Mais tout le monde sait aussi que les murmures d’espoir que ça ira mieux sont des petits bonheurs qu’il faut répandre. Quand chercherez-vous ces merveilleux petits bonheurs?

    1. Tout le monde le sait? Sans doute, mais le quidam afféré à ses occupations quotidiennes parvient-il à mesurer l’évolution de notre société, la rapidité de sa dégradation, ou ne fait-il pas un constat ponctuel en se disant “ouais… encore une guerre quelque part!” ? Il est vrai que ces dernières sont au nombre de 51. 51 guerres en cours mais qui s’en souvient? La guerre, une thématique parmi d’autres. Je ne cède pas à la sinistrose mais à l’impression d’une banalisation des crises et des dérives multiples.
      Quant aux merveilleux petits bonheurs témoins d’un espoir murmuré, le bruit ambiant les étouffe trop souvent. Mais promis, si je mets la main sur l’un de ces moments trop rares, j’en ferai le panégyrique, encore que la civilisation, pour plagier le philosophe Malek Bennabi, ne soit pas un entassement de bonheurs instantanés, mais une construction, une architecture !!

      1. Le quidam pressé dans sa vie quotidienne prend le temps de parcourir les premières nouvelles dans le journal gratuit à portée de main, pas souvent plus…

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