Les maquisards de la pensée

La présidence de Donald Trump suscite, semaine après semaine, des réactions oscillant entre dégoût, consternation, révolte ou stupéfaction dans la plupart des pays du globe, mais en premier lieu aux États-Unis. De long mois passés dans une angoissante expectative pour de nombreux Américains !

Certains historiens ont toutefois décidé de résister à la déferlante des alternative facts et de références historiques tronquées par l’administration Trump en répliquant sur les blogs de grands medias[1]. Une réaction épidermique qui a mené plusieurs universitaires ès Lettres à prendre conscience de l’importance des nouvelles technologies de l’information et de leur portée sociale au point que certains, comme Jason Steinhauer de l’Université de Villanova[2], estiment qu’il n’est plus possible, pour les historiens, et plus largement pour les universitaires, de laisser le champs des medias les plus populaires aux seuls chroniqueurs et politiques dont les opinions, au mieux simplistes et au pire faussées, contribuent à une vision erronée du passé, entraînant inévitablement des conséquences sociales et politiques à moyen terme.

Et parmi ces maquisards de la pensée – que certains, qui ne les auront pas lu et qui ne font guère preuve d’esprit critique, considéreront comme des bien-pensants – Brian Rosenwald qui publie dans le Washington Post tout en étant membre de l’Université de Pennsylvanie[3], ou Brian Balogh de l’Université de Virginie[4].

Faut-il considérer que les universitaires ont une part de responsabilité dans l’avènement de certaines dynamiques politiques lorsqu’ils se taisent ? Qui ne dit mot consent précise l’adage… C’est du moins l’avis de Jason Steinhauer, un avis somme toute empreint d’une certaine logique puisque les universitaires en poste fonctionnent – et c’est le cas en Suisse contrairement aux États-Unis – sur des deniers publics. Ne doit-on pas dès lors attendre de leur part la probité morale exemplaire dont l’université se veut le récipiendaire depuis un âge, mais également un rôle de gardien d’une raison frappée au coin de références académiques difficilement contestables sous l’angle scientifique ? Car se taire revient à tolérer les manipulateurs d’opinion, pour ne pas dire à collaborer avec eu ad silentio. Chacun d’entre nous sait ce que le silence peut avoir de criminel. L’histoire nous donne assez d’exemples évidents pour éviter de gagner un point Godwin dans ces quelques lignes en évoquant le passé européen du XXe siècle. Plusieurs universités américaines en sont convaincues et ont mis sur pied une nouvelle formation intitulée « History Communication », aux confins de l’histoire et du journalisme, afin de permettre aux historiens, la plupart ne sachant pas s’exprimer autrement que dans l’hermétique langage académique, d’apprendre à s’adresser aux foules. Un cours de vulgarisation, en d’autres termes, prenant en compte également les aspects spécifiques des nouvelles technologies de l’information.

Que des professeurs d’université suisses s’expriment dans les medias est une pratique ancienne, la presse du XIXe siècle et de la première partie du XXe siècle conservant nombre de communications, de prises de position ou de réactions. Et si cette tendance a diminué au cours de ces dernières décennies, on constate une réviviscence des velléités de communication de leur part depuis quelques années. Jacques Neirynck[5], Michel Porret[6], Jakob Tanner[7] ou Leila el-Wakil[8] en sont des exemples – il serait évidemment possible de rallonger cette liste en évoquant des scientifiques appartenant au corps intermédiaire des universités tel Martin Grandjean – et l’on ne peut qu’espérer qu’ils montrent la voie à d’autres professeurs.

 

 

 

 

[1] https://motherboard.vice.com/en_us/article/gyd5b9/historians-calling-out-trump-online

[2] https://www.jasonsteinhauer.com

[3] http://www.brianrosenwald.com

[4] http://history.as.virginia.edu/people/bb9s

[5] https://blogs.letemps.ch/jacques-neirynck

[6] https://blogs.letemps.ch/michel-porret

[7] http://www.zeit.de/2015/44/historiker-jakob-tanner-schweiz

[8] http://lelwakil.blog.tdg.ch/archive/2017/10/20/demeures-genevoises-xixe-et-debut-xxe-s-c-est-l-hecatombe-287235.html

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est un historien suisse, actif dans le domaine éditorial, et membre de plusieurs comités de sociétés savantes, notamment de la Société suisse d'histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIème siècle et du XXème siècle, dont certaines sont devenues des références.

4 réponses à “Les maquisards de la pensée

  1. Il est tout à fait vain, et dérisoire, de vous imaginer que l’intervention d’universitaires dans le débat public, s’érigeant en censeurs des “dérives” populistes, puisse avoir le moindre effet, hormis celui d’exaspérer les gens et donc de renforcer le “populisme”.

    En effet les gens votent pour des “populistes” pour des raisons fondamentales et très sérieuses. Il s’agit d’une prise de conscience confuse, et générale, d’une réalité menaçante. Une menace réelle, pas phantasmée comme les idéologues du politiquement correct tentent de le faire accroire pour mieux nier la réalité.

    On prend conscience, dans les profondeurs de la conscience collective, du fait RÉEL que des groupes oligarchiques agissant de concert, tentent de parachever un projet de “global governance” c’est à dire un gouvernement mondial, afin d’unifier l’humanité selon une certaine conception à la fois économique et idéologique. Or, une telle unification n’est possible (en réalité elle n’est absolument pas possible et c’est pourquoi elle échouera nécessairement) qu’à la condition que toutes les souverainetés, tous les particularismes, tous les avantages comparatifs durement obtenus d’un peuple ou d’une nation, toutes les identités culturelles, ethniques, soient supprimées. Il faut que tous les peuples soient métissés, que toutes les frontières disparaissent, que tous les intérêts nationaux cèdent le pas à un intérêt mondial IMPOSSIBLE à déterminer. Bref c’est une utopie mais atroce, effrayante, inhumaine.

    Les gens le sentent, ils sentent que le péril est imminent et ils ne veulent pas être sacrifiés sur cet autel là. Alors ils deviennent “populistes”.

    Et même s’il était possible (vue de l’esprit) d’aménager un tel “level playing field” celà contrarierait nécessairement trop d’intérêts puissants, de sorte que des soubresauts épouvantables deviendraient inévitables.

    Et parmi l’élite dirigeante mondiale, quels intérêts doivent-ils prédominer? Ceux de l’Amerique? De la Chine? De la Russie? De l’Europe? (Mais elle n’existe pas, l’organisme sis à Bruxelles et qui devrait être appelé l’Eurotan, n’est qu’un protectorat américain). On voit bien que la coordination est absolument exclue.

    On est donc arrivés à une impasse due l’hubris des dirigeants.

    Ils n’ont pas compris que pour avoir un certain succès on ne devait avoir recours à des solutions multilatéralistes que de manière homéopathique et en ménageant toutes sortes de correctifs permettant de tenir compte des intérêts vitaux des peuples: ethniques, culturels, sociaux, etc. Or les peuples ont continué d’exister. Ils ne veulent pas mourir. Ils ne mourront pas car les peuples ont une très grande longévité contrairement aux élites oligarchiques et aux idéologies. C’est donc pour les peuples un instinct vital de survie que de se lever et de dire STOP! Et celà, c’est ce que les médias du système, qui sont aux gages des oligarchies, ont cru, dans leur arrogance autiste, pouvoir disqualifier en le désignant du nom de “populisme”.

    Et vous, vous vous imaginez que si un certain nombre d’intellectuels, de savants, de prix Nobel, etc., descendaient dans l’arène médiatique pour se faire les porte paroles de ces projets fous des oligarchies mondialistes, il y aurait la moindre chance que leur voix soit entendue…

    Vous voulez rire, je pense.

  2. “La seule chose qui permet au mal de triompher est l’inaction des hommes de bien” disait Edmund Burke.
    On peut en être convaincu ou pas. Vous semblez avoir votre opinion! Certes, les appels à la paix de Carl Spitteler (prix nobel de littérature en 1919) ne permirent pas de mettre un terme à la Première Guerre mondiale, mais son message ne resta pas, et de loin, lettre morte! C’est un exemple parmi d’autres!
    Cela étant, je suis pas certain que vous avez bien compris mon propos puisque les “intellectuels et autres savants” que j’évoque dans mon article critiquent – je l’espère bien – le populisme, mais n’hésitent pas non plus à critiquer les dérives – et je reprends vos mots – de “groupes oligarchiques agissant de concert”. Les historiens américains que je cite s’élèvent justement contre le politiquement correct de dirigeants qui n’ont cure des “intérêts vitaux des peuples”.
    De l’importance de la sémantique !!!

    1. Vous n’avez pas le droit d’insulter la mémoire de Karl Spitteler ainsi.
      Karl Spitteler n’était pas un de ces utopistes aux mains sanglantes comme les mondialistes d’aujourd’hui. Son discours était celui d’un patriote suisse qui rappelait l’importance de la neutralité armée. Il se plaçait exactement sur le même terrain que moi.

    2. Vous n’avez pas le droit d’insulter la mémoire de Karl Spitteler ainsi.

      Karl Spitteler n’était pas un de ces utopistes aux mains sanglantes comme les mondialistes d’aujourd’hui. Son discours était celui d’un patriote suisse qui rappelait l’importance de la neutralité armée. Il se plaçait exactement sur le même terrain que moi.

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