Les USA, pays belligérant par excellence

Les États-Unis ont mené près de 70 guerres depuis leur création jusqu’à l’éclatement de la Première Guerre mondiale, des conflits parmi lesquels les guerres indiennes occupent une place prépondérante. Des opérations de police selon certains historiens américains qui occultent d’autres guerres oubliées comme la confrontation américano-philippine, qui se déroula à la suite de la guerre hispano-américaine de 1898 ou des opérations militaires exécutées par des corps expéditionnaires comme lors de la Révolte des Boxers en Chine entre 1899 et 1901 ou, plus connue, la guerre de l’Opium des années 1850.

Washington n’est pas resté passif au cours du XXe siècle, loin s’en faut, avec l’engagement des États-Unis dans les deux guerres mondiales, puis de la Guerre de Corée, de 1950 à 1953, de la Guerre du Viêt Nam, de la Guerre du golfe, de la Guerre civile somalienne, de la Guerre d’Afghanistan, de la Guerre d’Irak et de la Guerre contre ISIS. Il faudrait encore évoquer les multiples interventions onusiennes auxquelles les USA prirent part comme en Yougoslavie ou à Beyrouth entre 1982 et 1984, ainsi que des opérations multipartites contre des régimes d’obédiences communistes. La répression de la rébellion Simba au Congo en 1964 qui avait mis en place la sanguinaire République populaire du Congo en est un exemple méconnu de nos jours. Depuis 1783, les États-Unis n’ont connu officiellement que 52 ans sans aucune guerre. L’armée américaine est donc restée sur le pied de guerre pendant 182 années. Une omniprésence façonnant de nombreuses mentalités, participant au succès de la National Rifle Association et à la défense du Deuxième amendement de la Constitution.

Une guerre quasi permanente qui est entrée dans l’ADN de l’économie américaine. Le président Eisenhower annonçait en 1961 l’avènement d’une industrie offrant de nombreux postes de travail et des profits importants, une industrie de défense contre laquelle il mettait en garde la nation : « Dans les conseils du gouvernement, nous devons prendre garde à l’acquisition d’une influence illégitime, qu’elle soit recherchée ou non, par le complexe militaro-industriel. Le risque d’un développement désastreux d’un pouvoir usurpé existe et persistera [1] ». Une position tranchant avec la politique à laquelle il avait contribuée, démontrant que sa mise en garde se fondait déjà en 1961 sur une certaine réalité.

Complexe militaro-industriel, une appellation désignant les relations spécifiques entre forces armées, législateurs et industrie, impliquant inévitablement des problématiques de financements de campagnes politiques, de lobbying, de budgets, voire de corruption. Un système auquel les spécialistes allaient donner le nom d’Iron triangle. Un mode de fonctionnement issu des années d’efforts de guerre nécessaires pour remporter la victoire contre l’Allemagne nazie et le Japon impérial.

La Première Guerre mondiale avait déjà constitué un jalon important dans la création de l’industrie de l’armement américain. Le Président Wilson avait dès 1916 instauré le Council of National Defense dont la mission première visait à réorganiser la production d’armement militaire. Une économie dirigée vers la guerre était en train de se mettre sur pied, mobilisant de nombreuses administrations fédérales, à l’instar des exemples français et britannique d’alors. Le bon réalisé par les États-Unis entre 1916 et 1919 devait être spectaculaire, le parc de camions passant de 3’000 unités à près de 90’000. De 3 millions de dollars dépensés quotidiennement avant 1917 par l’État, les investissements passèrent en août 1918 à 60 millions. Un effort colossal encore renforcé au début 1918 par la nomination de Bernard Baruch à une fonction similaire à celle d’un commissaire à l’armement. Doté de pouvoirs spéciaux, l’industriel développa de son mieux l’économie de guerre, réquisitionnant en cas de besoin des usines. Le Congrès parachevait cette volonté en votant le 4 juin 1920 le National Defence Act, permettant à la Maison Blanche d’axer l’économie du pays vers la guerre en cas de conflit.

Et c’est bien ce qui allait se passer au cours des années 30 avec la menace allemande n’ayant de cesse d’inquiéter les gouvernements occidentaux. Les États-Unis actualisèrent leur politique en entamant une conversion industrielle qui allait permettre l’effort de guerre sans précédent développé au cours des années 40. Des programmes scientifiques furent mis en place menant notamment au projet Manhattan, employant plus de 130’000 personnes, dont la résultante allait éclater à Hiroshima. Une nouvelle loi fut édictée le 11 mars 1941, la loi Lend-Lease, permettant de fournir les pays alliés en matériel de guerre. La défaire de Pearl Harbour en décembre de cette même année venait justifier cette politique belligérante. Le pays vota alors des budgets astronomiques, levant par ailleurs des bons de souscriptions. Les États-Unis devinrent dès lors les fourriers des nations en guerre tout en assumant le front du Pacifique et celui de l’Europe. Les arsenaux de la baie de San Francisco se muèrent au cours de ces années en un gigantesque chantier naval ou plus de 100’000 ouvriers travaillaient à la fin de la guerre. Boeing, Douglas Aircraft, Lockheed, Bell, Curtiss, autant d’entreprises actives dans l’aéronautique allaient par ailleurs devenir les fers de lance de l’armée de l’air américaine.

La fin du conflit ouvrait un nouveau chapitre, celui de la Guerre froide permettant à l’industrie de l’armement de se renouveler. Celle-ci, devenu un secteur économique permanent profitant de crédits fédéraux était assurée d’un avenir radieux. Avec l’avènement de Reagan au pouvoir en 1981, le budget des contrats et des subventions accordées aux firmes du complexe militaro-industriel explosèrent. Ce flux constant s’atténua sous l’ère Clinton avant de reprendre de l’ampleur avec le président Bush. Les programmes antimissiles développés par Washington auront coûté, de 1957 à 1999 quelques 122 milliards de dollars.

Si les investissements accordés à l’armement américain de ces vingt dernières années n’atteignent plus les sommets des budgets militaires de la Guerre froide, ils alimentent toujours des centaines de milliers d’ouvriers travaillant sur des sites comme Los Alamos, Hanford, l’usine de Raytheon à Tucson, celle de Lockheed Martin à Marietta, le chantier naval Northrop Grumman de Newport News, le chantier naval Avondale en Louisiane, celui de Bath Iron Works dans le Maine, ou le fameux chantier naval de Portsmouth Naval Shipyard. Des ouvriers qui étaient au nombre de 1’300’000 en 1989, diminuant à plus de 540’000 en 2004. Ces dernières années connaissent une nouvelle embellie dans ce domaine, les États-Unis restant largement en tête des exportations d’armes à destination de 96 États entre 2006 et 2010[2]. De 2000 à 2010, les prestataires de services sont passés de 60’000 à 157’000, et les premiers d’entre eux, Lockheed Martin, Northrop Grumman, Boeing, Raytheon et General Dynamics, détiennent près de 20 % d’un budget se montant à 198 milliards de dollars. Un volume financier pharaonique qui permet de prétendre que les dépenses publiques consenties à l’armement constituent un pilier fondamental de l’économie du pays et de sa croissance.

La guerre représente dès lors le débouché naturel de cette industrie, consommant ses productions et justifiant son existence. La guerre, sans laquelle les profits encaissés par de nombreuses entreprises disparaîtraient, envoyant dans les bureaux de chômage des centaines de milliers d’ouvriers et asséchant les portefeuilles d’actionnaires avides de dividendes, est devenue depuis la Seconde Guerre mondiale un marché fondamental. Un business offrant en outre de nombreux « produits dérivés ». La reconstruction de pays comme l’Irak a ainsi profité à des entreprises américaines tel KBR, ancienne filiale de Halliburton dirigée jusqu’en 2000 par Dick Cheney, qui a obtenu de 2003 à 2013 plus de 39 milliards de dollars des autorités américaines[3]. Un univers ou compromission règne volontiers avec corruption. C’est du moins ce qu’indique le rapport de l’inspecteur américain pour la reconstruction de l’Irak, Stuart Bowen, soumis au Sénat en mars 2013[4], évoquant inévitablement le discours annonciateur d’Eisenhower en 1961.

Les États-Unis semblent à présent prospecter puisque le débouché du Proche-Orient semble se tarir. La Corée pourrait offrir un marché sans doute intéressant, remportant une adhésion internationale compte-tenu du régime à la tête de ce pays. Un conflit entre la Mer du Japon et la Mer Jaune paraît également moins déstabilisateur qu’une confrontation entre la Mer d’Azov et la Mer Noire à moins que le Soudan ou le Yémen ne soient des voies plus praticables pour le président Trump.

[1] 17 janvier 1961.

[2] https://www.monde-diplomatique.fr/index/sujet/industriedarmement

[3] “Financial Times”, 18 mars 2013.

[4] http://investigations.nbcnews.com/_news/2013/03/19/17362769-waste-fraud-and-abuse-commonplace-in-iraq-reconstruction-effort

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est un historien suisse, actif dans le domaine éditorial, et membre de plusieurs comités de sociétés savantes, notamment de la Société suisse d'histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIème siècle et du XXème siècle, dont certaines sont devenues des références.

Une réponse à “Les USA, pays belligérant par excellence

  1. Excellent article. Deux remarques s’imposent. La première est le constat de l’inefficacité de cette politique: hormis la guerre de Corée qui s’achève sur le partage de la péninsule, on ne compte plus les défaites (Vietnam) et échecs (Iraq, Afghanistan),les retraits (Liban) subis ou effectués par les Etats-Unis. La deuxième concerne le coût de cette politique. Aussi, à côté du complexe militaire-industriel, convient-il de souligner le rôle du dollar. Les Etats-Unis l’imposent de fait au reste du monde comme monnaie de réserve, en font un monopole dans le financement des matières premières et sanctionnent les déviants, Paribas (Suisse) par exemple. Car faire la guerre coûte cher: les guerres d’Afghanistan et d’Irak ont coûté mille milliards de dollars chacune, soit au total 15% de la dette publique. En imposant le dollar, les Etats-Unis contraignent ainsi de fait le reste du monde à financer leur politique belliqueuse.

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