Genève et ses frontières à l’examen de l’année 1917

Les frontières, délimitant les souverainetés nationales, sont des projections issues de constructions identitaires, résultantes des aléas de l’histoire, forgées sur les feux d’anciens pouvoirs régionaux autant que par des négociations inhérentes à des intérêts stratégiques, économiques ou religieux de gouvernements parfois contraints. Le traité de Turin de 1754, conclu entre Genève et le roi de Sardaigne permit ainsi d’apaiser les relations entre la Cité de Calvin et la Savoie grâce à des échanges de terres devant rationnaliser les territoires respectifs. Le Congrès de Vienne de 1815, suivi du traité de Paris quelques mois plus tard et du second traité de Turin en 1816 finalisèrent le troc entamé des décennies plus tôt en redistribuant les localités et les terroirs.

Genève recevait ainsi de la France les communes de Versoix, Collex-Bossy, Grand-Saconnex, Pregny, Vernier et Meyrin, alors que le roi de Sardaigne lui cédait les villages d’Avusy, Laconnex, Soral, Perly-Certoux, Plan-les-Ouates, Bernex, Aire-la-Ville, Onex, Confignon, Lancy, Bardonnex, Compesières, Troinex, Veyrier, Chêne-Thônex, Puplinge, Presinge, Choulex, Meinier, Collonge-Bellerive, Corsier, Hermance, Anières et Carouge. Genève renonçait, quant à elle, au littoral s’étendant au-delà d’Hermance ainsi qu’à Saint-Julien et au pied du Salève.

On perçoit dans ce jeu, fait de règles et de cartes, toute la subjectivité des identités respectives, soumises aux artifices d’une diplomatie répondant à la raison d’État, modifiant en l’espace d’une génération les sentiments de dépendance et de loyauté. On ressent également les liens organiques de régions s’enlaçant depuis des siècles dans des liaisons parfois dangereuses, voire incestueuses, et dont les équilibres concourent non seulement à la stabilité politique de l’ensemble du bassin lémanique – c’est une évidence – mais également à sa prospérité.

Les ambitions poursuivies par les promoteurs contemporains du projet du Grand Genève, bâtissant une agglomération transfrontalière franco-valdo-genevoise, ne sont rien d’autre que la suite des reconfigurations négociées au XVIIIe et au XIXe siècle, une tentative d’harmoniser un vaste territoire et d’en accorder les multiples intérêts sur une partition pour laquelle il reste à inventer les paroles.

Démonstration historique des interdépendances – et peut-être des antagonismes potentiels – régnant au sein d’une aire géographique cohérente mais toutefois divisée par deux souverainetés, le projet de colloque organisé par l’Université de Savoie-Mont Blanc sur les Pays de Savoie et les territoires voisins au cours de la Grande Guerre et plus particulièrement de l’année 1917. Une émulsion scientifique, que l’on espère émulation, devant réunir historiens français et suisses à Chambéry les 27 et 28 novembre prochains.

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est un historien suisse, actif dans le domaine éditorial, et membre de plusieurs comités de sociétés savantes, notamment de la Société suisse d'histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIème siècle et du XXème siècle, dont certaines sont devenues des références.

4 réponses à “Genève et ses frontières à l’examen de l’année 1917

  1. Intéressant, je vous signale que les séparatistes savoisiens rêvent de l'”option suisse”, c’est à dire le rattachement à la Suisse. Personnellement je pense que la Savoie, mais aussi la Valteline, le Vorarlberg, la Forêt noire, l’Alsace, du moins l’Alsace du sud ou Sundgau, éventuellement la Franche-Comté auraient vocation à devenir des cantons suisses.

    J’ai pensé un moment que le jacobinisme français se redresserait si Marine Le Pen devenait présidente. Mais puisque c’est Macron, la dissolution des grandes nations comme la France et l’Italie va continuer. (Pour l’Allemagne c’est moins sur). Des projets comme Interreg, auquel la Suisse participe, visent à désintégrer les frontières historiques. Si la Suisse reste indépendante, elle attirera comme un aimant ces contrées limitrophes.

  2. Intéressant article.
    J ai eu il y a quelques années une discussion avec un amis, membre depuis au moins 20 ans du conseil municipal de Mulhouse (Alsace) .
    Il me disait qu en petit comité, le conseil déplorait l accord de 1792 et se demandait s il n était pas possible de revenir desssus.
    Pour mémoire, cet accord de 1792 etait le rattachement à la France de l enclave Suisse qu etait alors Mulhouse.
    Aussi, depuis des années nous assistons à la création peut être pas d un état ou d un canton , mais bien de l union “trinationale” incluant Mulhouse, Bale, Fribourg en Allemagne .des ponts sont jetés sur le Rhin , les liens se tissent . Cela peut avoir des conséquences Inna tendue. En 2010 eu lieu l exposition internationale de shanghai . Les “trinationnaux” avait organisé une journée à cet effet au pavillon Alsacien , un diplomate Suisse facilitait les entrées des personnes invité à l entrée de l exposition. Du flammkueche bien alsacien était servi à foison .
    Vive la Suisse !
    Bonne journée.

    Laurent

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