Les ombres d’Alexandrie

 

Alexandrie, ville cosmopolite à la croisée de plusieurs mondes. Plus de deux fois millénaires, la cité a vu bien des merveilles, bien des misères. De dominations en soumissions, la belle Égyptienne a rayonné des siècles durant sur la Méditerranée et un Proche-Orient rival et pourtant si proche. Les Alexandrins comptent aujourd’hui leurs morts, comme les Parisiens ou les Bruxellois il y a peu, après une frappe gratuite mais pas si aveugle, ordonnée par les satrapes d’un Islam perverti en religion de mort. Une boucherie à consonance religieuse visant la communauté copte en représailles à la déroute de Daesh en Syrie et en Irak, ou un acte calculé pour attiser les braises toujours rougeoyantes au sein des courants radicaux égyptiens que la répression venue du Caire ne manquera pas de raviver ? Un acte qui intervient peu après la première opération militaire officielle des États-Unis contre le gouvernement de Damas, un gouvernement dont les liens avec Daesh que l’on pouvait supputer dès 2015[1], semblent de plus en plus étroits, comme le relève l’historien Jean-Pierre Filiu[2].

Les agendas des belligérants ne connaissent pas de hasard, mais seulement une suite d’opportunités sanglantes.

Le chaos oriental rentre à l’évidence dans une nouvelle phase qui mènera certainement à la perte du gouvernement mortifère syrien, mais qui entérine par ailleurs un antagonisme exacerbé entre Russes et Américains. Une rivalité d’autant plus délicate que des bâtiments militaires US croisent à portée des navires de guerre russes. On ne peut certes rien attendre de bon de cette proximité, ni du voisinage sur le terrain entre forces spéciales américaines et spetsnaz moscovites, même si les deux molosses se sont confrontés à maintes reprises en Indochine, au Viêt Nam ou en Afghanistan au cours de la guerre froide, sans que le monde connaisse l’apocalypse. La situation glisse à nouveau inexorablement vers ce que Raymond Aron appelait une « paix belliqueuse », ce d’autant plus que les enjeux véritables se mesurent en barils et en m3 de gaz.

Que les Européens soient entrés en guerre contre le régime syrien eut été une voie peut-être moins dangereuse, mais encore aurait-il fallu que les nations du vieux continent en aient eu l’audace et la volonté ! Et cet aplomb qui a manqué aux gouvernements européens, voilà que le Pape en fait la démonstration en maintenant sa visite en Égypte pour prouver au monde que la guerre de religion entre Islam et Chrétienté n’est rien d’autre qu’un simulacre destiné à masquer des réalités sonnantes et trébuchantes. Une leçon de courage du Pape François qui, espérons-le, ne se terminera pas en messe funèbre.

 

[1] https://blogs.letemps.ch/christophe-vuilleumier/page/9/

[2] https://www.rts.ch/info/monde/6595984–bachar-al-assad-et-daesh-sont-les-deux-faces-du-meme-monstre-.html

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est un historien suisse, actif dans le domaine éditorial, et membre de plusieurs comités de sociétés savantes, notamment de la Société suisse d'histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIème siècle et du XXème siècle, dont certaines sont devenues des références.

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