Le jour des fous, les masques tombent !

L’accession de Donald Trump à la Maison blanche semble avoir permis de briser les barrières de la décence de beaucoup qui se déchaînent à présent sur les media sociaux, attisant la violence et l’animosité, appelant à l’incarcération de Michael Moore, criant à la trahison d’Eveline Widmer-Schlumpf, allant jusqu’à remettre en question la Shoah. La disparition de l’Hebdo sert bien évidement aussi de champ de bataille. On ne peut être que stupéfait de lire toute la haine, toute la satisfaction que certains, trop nombreux, ne parviennent plus à contenir à la nouvelle de la disparition de ce journal. Les réactions que cet événement entraîne sont les échos d’une crise plus profonde, plus ancrée et représentent sans doute l’une des dernières batailles symboliques de l’Hebdo.

Or donc, les masques tombent. Non pas ceux des élus qui entretiennent une culture politique démocratique fondée sur le débat et l’échange d’idées, et qui font preuve pour la très grande majorité d’entre eux de retenue et de décence à l’annonce de la fin d’un media. Mais tel n’est pas le cas de nombreux individus qui, se sentant protégés dans une meute de pseudo-amis Facebook ou de piliers du Café du commerce, se permettent tous les excès, toutes les dérives, se faisant pour l’occasion un peu juriste, un peu historien, un peu journaliste. Je lis avec horreur les commentaires de biens petites gens qui insultent et vomissent ceux qui ne partagent pas leur opinion, certains allant même jusqu’à inverser le sens des propos pour mieux attaquer, mélangeant à l’envi les thématiques et passant sans plus de logique d’une agression verbale à l’encontre d’une tendance politique ou d’un journal d’idées à l’expression d’un racisme atavique. Non pas ce racisme de pacotille, dont le sens échappe le plus souvent au vulgaire, mais cette croyance en une anthropologie de la race au sens où l’entendait Hans Günther, le maître incontesté de ce qui était une discipline scientifique sous le IIIe Reich. Mais les excès ne sont pas l’apanage de ceux-ci, car bien d’autres empruntent des raccourcis tout aussi faciles et outranciers. À vouloir se complaire dans cette vision du ptit intello, du ptit socialo, du ptit fascho, du ptit bobo, du ptit coco, nous finirons tous en salauds dans un monde un peu crado.

On m’a fait l’honneur et la gentillesse de me donner l’occasion d’écrire dans les blogs de l’Hebdo et même d’être parfois publié dans le magazine. Et pourtant je ne suis pas en faveur de l’entrée de la Suisse dans l’Europe. Les thèses de Denis de Rougemont auraient sans doute pu fonctionner s’il avait été question d’une autre Europe, fondée sur d’autres valeurs. Mais voilà, cette Europe-ci ne convainc pas, du moins ma modeste personne. Et je ne suis, au demeurant, pas plus de gauche que de droite car je n’aime pas les idéologies. Celles-ci, n’en déplaise et quelles qu’elles soient, contiennent en leur sein les germes d’une hégémonie que seul l’esprit démocratique peut contrer. Un esprit de plus en plus crispé.

Cette polarisation ne surgit pas soudainement et il faut sans doute considérer ses origines dans la guerre du Golfe de 1990-1991 et ses conséquences, jusqu’aux dernières crises proche-orientales ponctuées de nombreuses attaques terroristes sur le sol occidental. Une histoire récente réarticulant les champs de références, entraînant une banalisation de la violence et une « brutalisation » des postures politiques, condamnant des mots comme « élite » ou « patriotisme » à la géhenne du politiquement incorrect, et promouvant dans une mauvaise foi généralisée des concepts néologiques tels « pensée unique » ou « alternative facts » ! Et pour continuer sur la référence à l’historien américain George Mosse, on ne peut que constater que cette évolution constitue une « matrice des totalitarismes » que Daech a matérialisé, et que l’archange de la démagogie de la Maison devenue si blanche a commencé à mettre en œuvre.

Cet article de blog sera le dernier que je signe pour l’Hebdo et je tiens à vous remercier de m’avoir lu, d’avoir parfois réagi, d’avoir été « curieux ». Merci également à la rédaction de l'Hebdo de m'avoir permis de m'exprimer au-delà d'un petit cercle de personnes versées dans les sciences historiques. Bonne route aux uns et aux autres.

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est un historien suisse, actif dans le domaine éditorial, et membre de plusieurs comités de sociétés savantes, notamment de la Société suisse d'histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIème siècle et du XXème siècle, dont certaines sont devenues des références.