Le bal des tarlouzes et des pucelles

Nous avons eu en Suisse, au cours de la Seconde Guerre mondiale, un certain nombre de compatriotes subjugués par la folie hitlérienne : le Lucernois Franz Riedweg, Obersturmbannführer de la Waffen SS, le Tessinois Léonardo Conti, SS-Obergruppenführer, ou l’eugéniste saint-gallois Ernst Rüdin, psychiatre mandaté par Hitler pour la rédaction de la loi du 14 juillet 1933 sur la stérilisation contrainte, en sont trois exemples célèbres.

On sait que la pestilence brune du IIIe Reich étend encore ses effets septante ans après sa chute, et la dénoncer relève d’une action citoyenne et démocratique importante. Des propos aussi nauséabonds que ceux tenus par le suprématiste Piero San Giorgio, engagé par Oskar Freysinger comme spécialiste sécurité, ne peuvent ni ne doivent passer par le filtre de notre indifférence forgée sous le flux constant des medias.

Le survivaliste évolue visiblement dans une mouvance clairement fasciste, comme le laisse à penser son interview qui a fait le buzz sur les réseaux sociaux, ou on le voit répondre aux questions du néo-nazi Daniel Conversano[1]. D’ailleurs, en demi-teinte ironique, ne se présente-t-il pas lui-même comme un nazi fasciste… gentil ?

Sous des dehors bonhomme, le consultant déclare soutenir un principe de fraternité…, entre les meilleurs éléments. Les autres ? Au diable ! Et quels sont-ils ces autres…. ? Mais ceux qui ne pensent pas de la même manière, et surtout les faibles considérés comme tels par ce « Ernst Röhm » valaisan.

L’expert ès Survie, ès Sécurité, SS tout court Piero San Giorgio affirme ainsi la suprématie de la force de l’Homme européen. Cet eugénisme crasse évacue une très large partie de la population, puisque selon lui, je le cite « ‘l’immense majorité des Européens sont irrécupérables, ce sont des tarlouzes, et c’est une bonne nouvelle, ils vont mourir… Ces gens-là ne devraient même pas exister car le socialisme et le gauchisme et l’humanisme et le droit de l’hommisme, et toutes ces merdes, ont fait en sorte que des gens qui n’auraient pas dû exister, existent. On sauve les malades, les handicapés, très bien, ça donne bonne conscience, mais ce n’est pas comme ça que tu bâtis une civilisation ». Heinrich Himmler n’en pensait pas moins et le disait également, mais, en fin de compte, avec un vocabulaire beaucoup plus riche !

Multipliant les références pseudo-historiques, en les tronquant, en les déformant, Piero San Giorgio soutient qu’un jour ou l’autre, il faudra «  passer de la main tendue au bras tendu ».

Il est ahurissant d’entendre de tels propos à peine estompés par un second degré qui se veut « politiquement correct », et que le président de l’UDC du Valais romand Jérôme Desmeules minimise, de manière tout aussi insupportable, en envoyant bouler les réactions d’indignation, qu’il traite de «bal des habituelles pucelles qui pleurent». Peut-on véritablement tolérer de telles affirmations appelant à la haine, niant les souffrances de millions d’êtres humains, insultant le genre humain, et son histoire ?

À se demander quelle est la force de persuasion de cet individu qui a réussi à se faire mandater par un Conseiller d’État, fût-il nommé Oskar Freysinger. Ce dernier aurait peut-être dû songer à engager un expert en marketing politique en lieu et place d’un nazillon promouvant la haine raciale !

Piero San Giorgio prétend donc défendre la civilisation occidentale tout en s’attaquant à ses fondements, rejetant aux abîmes les faibles que nos constitutions défendent depuis des éons, autant que l’humanisme ! Un véritable amicus humani generis !

Jetons au bûcher les livres qui ont permis les bases de nos Etats de droit et défini le bien du mal. Condamnons à l’autodafé Érasme, Montaigne, Montesquieu, Kant, Thomas Jefferson, Condorcet, Victor Hugo, Henri Dunant et Zola. À bas les idées, vive le règne de la force ! Voilà l’avenir que ces extrémistes nous proposent, un enfer, à bien y réfléchir, très voisin de celui des Djihadistes.


[1] www.letemps.ch/suisse/2016/12/02/survivaliste-indigne-presidente-gouvernement-valaisan

 

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est un historien suisse, actif dans le domaine éditorial, et membre de plusieurs comités de sociétés savantes, notamment de la Société suisse d'histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIème siècle et du XXème siècle, dont certaines sont devenues des références.