La Turquie, une bombe à retardement

Depuis cet été, la Turquie procède, dit-on, à des purges dans le but d’éliminer les partisans de Fethullah Gülen, ou les personnes susceptibles d’avoir de la sympathie pour la tentative de putsch du 15 juillet dernier. Une réaction autoritaire renvoyant les principes de la démocratie loin dans les ornières.

Selon France Info, 50'000 personnes auraient été arrêtées, 110'000 personnes renvoyées de leur poste de travail, 19 universités auraient fermé leurs portes, tout comme 1'000 écoles. 28'000 fonctionnaires, enseignants et universitaires auraient été licenciés et 3'400 magistrats démis de leurs fonctions. 4'500 militaires auraient été limogés, 12'800 policiers renvoyés. Le gouvernement aurait encore interdit 170 medias et fait arrêter 200 journalistes turcs, ainsi qu’une dizaine de députés du parti pro-kurde HDP. 500 entreprises, par ailleurs, auraient vu leurs biens confisqués, pendant que 1'200 organisations caritatives auraient été fermées, 370 ONG suspendues, et 19 syndicats fermés. France Info n’évoque pas les passeports retirés d’un nombre de plus en plus important de citoyens turcs que ces derniers doivent ensuite racheter à prix d’or !

Une purge consiste en l’élimination de la société des membres jugés indignes d’en faire partie ou considérés comme indésirables. Historiquement, on parle de purge pour plusieurs événements historiques, sanglants pour la plupart. On pensera aux Grandes Purges d’Union soviétique en 1930, à l’épuration commise par le régime de Vichy, à l’épuration communiste en Europe de l’Est, ou aux purges maoïstes en Chine communiste, par exemple.

Les universitaires, des enfants que l’on souhaite éduqués, sans compter des juges ou des journalistes doivent dès lors être considérés comme des éléments indésirables en Turquie. Et pour cause ! Tous les tyrans craignent le sens critique qui nourrit l’opposition, voire la résistance. Le gouvernement Erdogan étouffe ainsi toutes voix pouvant le critiquer et contester sa politique arbitraire, jusqu’aux ONG que l’on étrangle.

Et alors qu’Ankara propose à présent un projet de loi permettant aux violeurs d’épouser leur victime rappelant des pratiques esclavagistes et le temps des harems, Recep Tayyip Erdogan demandait il y a peu à Bruxelles de se décider, et ce rapidement, pour l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne.

l’Europe, sommée de se positionner en fin de compte sur la politique intérieure du sultan d’Ankara, va devoir mesurer dans la balance les principes démocratiques qu’elle défend aux enjeux relevant non seulement des réfugiés qui transitent par la Turquie mais encore de projets de gazoducs comme Nabucco qui doit permettre à l’Europe de diversifier ses sources d'approvisionnement énergétique et qui est soutenu par l’Union européenne. Une alternative à l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan, détenu par un consortium de compagnies emmenées par BP et dont la sécurité n’est guère assurée.

Accepter la Turquie dans l’Union européenne reviendrait toutefois à avaliser les pratiques arbitraires du gouvernement Erdogan, quoi qu’en disent certains analystes imaginant que cette intégration permettrait de dulcifier la situation.

Une évidence, c’est le danger à long terme que pourrait représenter une Turquie vidée de son héritage de laïcité et qui se replierait sur des valeurs ultra-conservatrices. Si l’Europe n’y prend pas garde, elle risque d’appuyer sur un détonateur dont les effets se feront ressentir d’ici quelques malheureuses années. 

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est un historien suisse, actif dans le domaine éditorial, et membre de plusieurs comités de sociétés savantes, notamment de la Société suisse d'histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIème siècle et du XXème siècle, dont certaines sont devenues des références.