La nouvelle loi sur le renseignement, un mal nécessaire

La loi proposée au peuple sur les services de renseignement, le 25 septembre, est longue et fouillée, démontrant que le sujet est particulièrement sensible. Collecte d’informations, port d’armes, fausses identités, investigations, un lexique rappelant des films d’actions hollywoodiens. Au-delà de cet exotisme romanesque pour lequel nous devons passer aux urnes, il est question pour la Suisse de se doter d’un instrument déployant des effets concrets et importants permettant de contrer des actes belliqueux et discrètement organisés.

Mais doit-on véritablement redouter les agissements d’éléments hostiles dissimulés en notre sein ?

Sans doute !

L’histoire démontre que la Suisse a été un terrain de prédilection pour les espions étrangers, notamment lors des deux guerres mondiales. Au cours du premier conflit, la Confédération ne possédait pas de services spécifiques de renseignement, assistant au fur et à mesure des mois de guerre à une multiplication des cas sur son territoire. Des agences étrangères allaient non seulement recruter en Suisse des agents – des mules servant à collecter des renseignements – mais encore concevoir des opérations militaires agressives, ainsi que des mesures de propagande et de déstabilisation de pays tiers d’une portée extraordinairement importante. La chance et la délation permirent à la Suisse d’intervenir en certaines occasions, comme lors de l’affaire de la Nordstrasse à Zurich en 1918, et de circonscrire des actes sanglants[1].

Ce furent les polices cantonales qui neutralisèrent les réseaux étrangers qui leur étaient signalés, le plus souvent par des services secrets antagonistes visant l’éradication d’agents leur étant hostiles. Plus de 120 affaires éclatèrent ainsi entre 1914 et 1918 grâce à des indiscrétions. Mais combien de filières et d’espions échappèrent aux autorités helvétiques, dépourvues, ou presque, de moyens ? La Confédération ignora complètement, par exemple, ces quelque 200 agents de renseignement que la France avait placés stratégiquement au cours de la guerre, qui dans une université, qui dans une usine d’armement[2].

Ce n’est qu’avec la Seconde Guerre mondiale que la Suisse se dota de moyens, bien qu’encore largement rudimentaires[3].

Si les périodes de guerre furent propices aux affaires d’espionnage sur notre territoire, les années d’entre-deux guerres ne furent pas pour autant sereines, comme le prouve l’affaire Ignace Poretski en 1937. Mais faute d’informations, la Suisse resta, sans doute fréquemment, l’hôte bien involontaire d’agents étrangers animés d’intentions peu recommandées au commun des mortels.

Pourtant, la Suisse coopéra avec les pays étrangers en matière de renseignements dès le début du XXe siècle, donnant et recevant des informations en fonction des relations personnelles et des penchants politiques des policiers ou des magistrats en charge des dossiers, une coopération « artisanale » bien évidemment plus efficace en période de conflit permettant à la Suisse de garantir le maintien de sa neutralité. La police zurichoise arrêta ainsi un recruteur allemand en 1917 après avoir appris des autorités françaises son nom, obtenu lors de l’interrogatoire du Genevois Paul Waldé, poursuivi à Paris pour espionnage pour le compte de l’Allemagne. Les bases de cette collaboration internationale avaient été jetées à la suite de la Conférence internationale de Rome de 1898, dans le but d’endiguer l’anarchisme dont l’impératrice Elisabeth de Wittelsbach (Sissi) avait été victime cette année-là.

Les actes organisés par des cellules terroristes qui se sont déroulés ces dernières années en Europe procèdent d’une structure qui, toute proportion gardée, est apparentée aux procédés des services secrets occidentaux du siècle passé (réseaux, confidentialité, organisation, déstabilisation, flux d’informations, cellules autonomes, …). Il ne semble ainsi pas déraisonnable de renforcer les moyens de la Confédération permettant de contrecarrer des tentatives criminelles de cette nature évoqués dans le rapport du SRC du début de l’année[4]. À noter que celui-ci met par ailleurs en lumière d’autres risques qui planent sur la Suisse comme l’espionnage industriel dont la récente agression du patron de la firme Swiss Space Systems (S3) semble être un malheureux écho.

 


[1] Christophe Vuilleumier, La Suisse face à l’espionnage, Gollion, Infolio, 2015.

[2] Christophe Vuilleumier, « Le personnel militaire français détaché en Suisse (novembre 1918) », Revue militaire suisse (avr.2015), pp. 52-54.

[3] Christian Rossé, Guerre secrète en Suisse, 1939-1945, Paris, Nouveau Monde, 2015.

[4] https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/43960.pdf

 

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est un historien suisse, actif dans le domaine éditorial, et membre de plusieurs comités de sociétés savantes, notamment de la Société suisse d'histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIème siècle et du XXème siècle, dont certaines sont devenues des références.