La Suisse et les Humanités

En Suisse et ailleurs, nombreuses sont les voix qui remettent en question les formations en Sciences humaines qui ne mèneraient à rien d’autre qu’au chômage.

Que nenni ! Les Humanités se défendent et démontrent leur utilité au travers d’études et de statistiques. Ainsi, la Faculté de philosophie, arts et lettres de l’Université catholique de Louvain a réalisé il y a peu une enquête de nature scientifique qui corrobore les résultats que l’université d’Oxford a recueillis sur le devenir professionnel de ses diplômés. Première observation, 90 % des diplômés ont un emploi. Seconde observation, la diversité des emplois occupés par les diplômés ès Lettres. Si 40% d’entre eux ont versé dans l’enseignement, 60% sont actifs dans le secteur socioculturel, la publicité et les médias, les institutions internationales, la traduction et l’interprétation, la recherche scientifique, le management et la finance, les nouvelles technologies, le secteur de l’édition et les librairies, les musées, les différentes formes d’administration, les banques et les assurances, le tourisme, la gestion du personnel, le secteur associatif, etc.

S’il est une formation en phase avec les réalités du XXIe siècle, c’est donc bien les Lettres. Mais pourquoi ?

L’étude belge démontre la forte capacité d’adaptation des personnes formées au sein de cette filière, un paramètre devenu essentiel. Jugées également stratégiques et particulièrement spécifiques aux Humanités, la capacité de gérer de manière autonome son travail, l’analyse critique, la compétence rédactionnelle et l’ouverture sur le monde acquise, notamment, au travers de la maîtrise de langues étrangères. Enfin, selon les auteurs de cette étude belge mais également de l’avis de différents chercheurs anglais et américains, la puissance créatrice, génératrice d’innovations, que génère la filière des Lettres constitue un atout capital non seulement pour les diplômés eux-mêmes, mais surtout pour l’ensemble de la société.

L’American Association of Colleges and Universities va encore plus loin en signalant dans son rapport 2015 que 74 % des employeurs conseillent aux jeunes gens une formation universitaire en philosophie, arts et lettres comme étant le meilleur moyen de se préparer à l’économie globale actuelle.

Ce constat est largement corroboré en Suisse par l’Office Fédéral des Statistiques dont les chiffres indiquent qu’en 2015, le taux de chômage des anciens étudiants des Sciences humaines et sociales (Humanités), cinq ans après l’obtention de leur diplôme, est plus bas (2,8%) que celui des diplômés en sciences exactes et naturelles (3,8%). Le président de la Conférence suisse des recteurs, Adriano Loprieno, rappelait également, il y a quelques mois, que le profil des étudiants en Humanités leur permet une grande flexibilité et est une source d’innovations importantes.

Pourtant, malgré ces conclusions auxquelles parviennent de multiples et différentes analyses, la part de l’enveloppe budgétaire du Fonds National Suisse de la recherche réservée aux Sciences humaines et sociales reste bien faible, une délicatesse concédée difficilement. Quel regrettable manque de clairvoyance ! 

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est un historien suisse, actif dans le domaine éditorial, et membre de plusieurs comités de sociétés savantes, notamment de la Société suisse d'histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIème siècle et du XXème siècle, dont certaines sont devenues des références.