Midnight Express, aller simple

Que le président Erdogan se comporte plus en sultan tyrannique qu’en démocrate élu à la tête de son pays n’ait pas une nouveauté. Les communautés kurdes du Sud-Est de la Turquie autant que les partisans de mouvements politiques contestataires en savent quelque chose depuis longtemps.

Plusieurs milliers de soldats ont pris part à la tentative de renversement de ce mois de juillet. Ont-ils agi sur ordre de leurs officiers, choisissant en fin de compte la haute trahison ? L’ont-ils fait en raison d’une pression sociale savamment développée au sein de leurs unités, de promesses, ou alors ont-ils accepté de passer aux actes par conviction politique ? Difficile à estimer. Quoi qu’il en soit, les commanditaires de cette révolution se réclamant de Mustafa Kemal ont estimé que le gouvernement actuel n’était plus légitime et devait être liquidé.

Dès lors, que le maître d’Ankara réagisse après sa presque destitution comme Staline dans les années trente n’est guère étonnant. Par contre, il est bien consternant d’assister à cette compromission internationale et au soulagement exprimé par les gouvernements occidentaux qui saluent le rétablissement d’un gouvernement bafouant allégrement les droits de l’homme depuis des années. En 2013, Amnesty International condamnait la Turquie à la suite des manifestations du mois de juin de cette année-là, dénonçant des "violations des droits humains à très grande échelle" et mettant en lumière que "le droit de se réunir pacifiquement a été systématiquement bafoué et les violations du droit à la vie, à la liberté et à ne pas être torturé et maltraité ont été nombreuses"[1]. En 2015, l’ONG Humanrights dénonçait à son tour la situation dans la Turquie d’Erdogan, insistant sur la restriction de la liberté d’expression et de réunion, sur le manque de transparence des procédures judiciaires, sur la répression des Kurdes, des défenseurs des droits humains, des étudiants, des journalistes et des syndicalistes subissant des arrestations arbitraires, sur la torture, et sur l’impunité des violations des droits humains[2].

De gouvernement démocratiquement élu, il est surtout question d’un pouvoir conquis à force de malversations électorales, de mises sous tutelle étatique imposées autant à des entreprises privées qu’à de petites villes, de pressions diverses et d’une répression brutale, n’en déplaise aux touristes des stations balnéaires d’Antalya et de Bodrum. Autrement dit, il est question d’une dictature – guère éloignée de celles du Chili de Pinochet ou du Panama de Noriega – placée à l’ombre du Big Stick américain dont la doctrine était chère à Roosevelt il y a cent ans, et dont le but principal est de protéger les intérêts des États-Unis.

Mais quelles seront les conséquences internationales des événements turcs de ces derniers jours et les répercussions dans un Proche-Orient complètement déstabilisé par les criminels de Daesh, et où certains vieillards se souviennent que leurs parents craignaient les Ottomans et leur empire séculaire ?


[1] http://www.lemonde.fr/europe/article/2013/10/02/en-turquie-amnesty-international-denonce-la-violation-des-droits-de-l-homme-a-grande-echelle_3488489_3214.html

[2] http://www.humanrights.ch/fr/service/informations-par-pays/turquie/

 

Coup de frein à la science en 2017

La Commission de la science, de l’éducation et de la culture du Conseil des États est entrée en matière, il y a quelques jours, sur le Message relatif à l’encouragement de la formation, de la recherche et de l’innovation pendant les années 2017 à 2020, du 2 février 2016 https://www.admin.ch/opc/fr/federal-gazette/2016/2917.pdf[1]. Le projet soumis aux Chambres détermine la nouvelle période financière débutant donc l’année prochaine, avec une croissance revue drastiquement à la baisse pour 2017, et une reprise les années suivantes, une reprise mise toutefois largement au conditionnel au sein dudit message !

Il est en l’occurrence question de l’ensemble du domaine scientifique de notre pays, notamment des Académies suisses des sciences, des universités et du Fonds national de la recherche. Cette prise de position de la Confédération entraînera obligatoirement des conséquences néfastes à court et moyen termes dont chacun, peu ou prou, fera les frais, et qui n’est pas sans rappeler les suppressions budgétaires que le gouvernement français a entérinées cette année. Dans une tribune publiée dans Le Monde, sept prix Nobel français ont déploré en mai dernier la décision du gouvernement de procéder à d'importantes annulations de crédits pour la recherche, qui « s'apparentent à un suicide scientifique et industriel »[2]. http://www.franceinfo.fr/actu/politique/article/budget-de-la-recherche-des-nobel-denoncent-un-suicide-scientifique-791957. S’inquiétant notamment d’un projet de décret prévoyant l’annulation de 256 millions d'euros de crédits dans le domaine de la recherche et de l'enseignement supérieur, ces sommités affirment que « Ce coup d'arrêt laissera des traces et pour de longues années », et « qu’Il n'y a pas de nation prospère sans une recherche scientifique de qualité ». 

Il est bien évident que ce constat s’applique également à la Suisse.

L’Académie suisse des sciences humaines et sociales n’a d’ailleurs pas tardé à écrire à ses sociétés membres, le 30 juin dernier, pour les informer des répercussions inévitables sur ses possibilités de soutien au vu des coupes budgétaires qu’elle va supporter. Une soixantaine de sociétés savantes, couvrant des champs de connaissances aux marges des universités sont concernées par cette politique désastreuse. Certaines de ces sociétés qui n'ont pour seule ressource que celle de l'Académie risquent de connaître un bien sombre futur! 

 

 

 

Sciences historiques

Archéologie Suisse

Association suisse pour l’étude de l’Antiquité (ASEA)

Société suisse pour l’étude du Proche-Orient ancien

Société suisse d’histoire (SSH)

Société suisse d’héraldique (SHG)

Société suisse de numismatique

Association Suisse Châteaux forts

Société suisse de recherches en symbolique

Association suisse des amis de l’art antique

 

Arts, musique et spectacles

Société d’histoire de l’art en Suisse (SHAS)

Institut suisse pour l’étude de l’art (ISEA)

Société suisse du théâtre (SST)

Association suisse des historiennes et historiens de l’art (ASHHA)

Société suisse de musicologie (SSM)

Association des musées suisses (AMS)/Conseil International des Musées (ICOM)

Centre national d’information sur le patrimoine culturel (NIKE)

Werner Oechslin Library Foundation

 

Sciences du langage et littératures

Société académique des germanistes suisses (SAGG)

Collegium Romanicum

Société suisse de linguistique (SSL)

Societàd Retorumantscha (SRR)

Association Suisse de Sémiotique et de Théorie de la Culture (ASSC)

Association suisse de littérature générale et comparée (ASLGC)

Association suisse des études nord-américaines (SANAS)

Société suisse d’études anglaises (SAUTE)

Société suisse d’études scandinaves (SGSS)

Institut suisse Jeunesse & Médias (SIKJM)

Sociedad Suiza de Estudios Hispánicos (SSEH)

Société Académique Suisses des Etudes de l’Europe 'Europe orientale (SASEO )

 

Cultures et anthropologie

Société suisse des traditions populaires (SSTP)

Société suisse d’ethnologie (SSE)

Société Suisse-Asie

Société suisse des américanistes (SSA)

Société suisse d’études africaines (SSEA)

Société suisse Moyen-Orient et Civilisation islamique (SSMOCI)

Société suisse pour la science des religions (SSSR)

Société suisse de philosophie (SSP)

Société suisse de théologie (SSTh)

Société suisse d’études juives (SSEJ)

Société suisse d'Etudes Genre SSEG

 

Sciences économiques et droit

Société suisse d’économie et de statistique (SSES)

Société Suisse de Statistique (SSS)

Société suisse de gestion d’entreprise

Société suisse de législation (SSL)

Société suisse des juristes

Société suisse de droit international (SSDI)

 

Sciences sociales

Société suisse pour la recherche en éducation (SSRE)

Société suisse des sciences administratives (SSSA)

Société suisse de psychologie (SSP)

Association suisse de science politique (ASSP)

Société suisse de sociologie (SSS)

Société suisse des sciences de la communication et des mass media (SSCM)

Association Suisse de Politique Sociale

Société Suisse d’économie et de sociologie rurale (SSE)

Société suisse de travail social (SSTS)

 

Science – technique – société

Association Suisse des Enseignant-e-s d’Université (AEU)

Société académique suisse pour la recherche sur l’environnement et l’écologie (SAGUF)

Fondation suisse pour la paix – swisspeace

Société suisse d’éthique biomédicale (SSEB)

Swiss Association for the Studies of Science, Technology and Society (STS-CH)

swissfuture – Association suisse pour la recherche prospective (SZF)

 

 

 

 

 


[1] À noter que les décisions sur les arrêtés fédéraux relatifs au financement du Domaine FRI ont été reportées à la séance du 25 août 2016. http://www.netzwerk-future.ch/index.php?p=news&l=fr

[2] lundi 23 mai 2016 21:36, France info. Françoise Barré-Sinoussi, prix Nobel de médecine, Claude Cohen-Tannoudji, prix Nobel de physique, Albert Fert, prix Nobel de physique, Serge Haroche prix Nobel de physique, Jules Hoffmann, prix Nobel de médecine), Jean-Marie Lehn, prix Nobel de chimie, Jean Jouzel climatologue, vice-président du Giec au moment où celui a reçu le Nobel de la Paix et Cédric Villani, médaille Fields, la récompense la plus prestigieuse en mathématiques.

 

La Suisse et les Humanités

En Suisse et ailleurs, nombreuses sont les voix qui remettent en question les formations en Sciences humaines qui ne mèneraient à rien d’autre qu’au chômage.

Que nenni ! Les Humanités se défendent et démontrent leur utilité au travers d’études et de statistiques. Ainsi, la Faculté de philosophie, arts et lettres de l’Université catholique de Louvain a réalisé il y a peu une enquête de nature scientifique qui corrobore les résultats que l’université d’Oxford a recueillis sur le devenir professionnel de ses diplômés. Première observation, 90 % des diplômés ont un emploi. Seconde observation, la diversité des emplois occupés par les diplômés ès Lettres. Si 40% d’entre eux ont versé dans l’enseignement, 60% sont actifs dans le secteur socioculturel, la publicité et les médias, les institutions internationales, la traduction et l’interprétation, la recherche scientifique, le management et la finance, les nouvelles technologies, le secteur de l’édition et les librairies, les musées, les différentes formes d’administration, les banques et les assurances, le tourisme, la gestion du personnel, le secteur associatif, etc.

S’il est une formation en phase avec les réalités du XXIe siècle, c’est donc bien les Lettres. Mais pourquoi ?

L’étude belge démontre la forte capacité d’adaptation des personnes formées au sein de cette filière, un paramètre devenu essentiel. Jugées également stratégiques et particulièrement spécifiques aux Humanités, la capacité de gérer de manière autonome son travail, l’analyse critique, la compétence rédactionnelle et l’ouverture sur le monde acquise, notamment, au travers de la maîtrise de langues étrangères. Enfin, selon les auteurs de cette étude belge mais également de l’avis de différents chercheurs anglais et américains, la puissance créatrice, génératrice d’innovations, que génère la filière des Lettres constitue un atout capital non seulement pour les diplômés eux-mêmes, mais surtout pour l’ensemble de la société.

L’American Association of Colleges and Universities va encore plus loin en signalant dans son rapport 2015 que 74 % des employeurs conseillent aux jeunes gens une formation universitaire en philosophie, arts et lettres comme étant le meilleur moyen de se préparer à l’économie globale actuelle.

Ce constat est largement corroboré en Suisse par l’Office Fédéral des Statistiques dont les chiffres indiquent qu’en 2015, le taux de chômage des anciens étudiants des Sciences humaines et sociales (Humanités), cinq ans après l’obtention de leur diplôme, est plus bas (2,8%) que celui des diplômés en sciences exactes et naturelles (3,8%). Le président de la Conférence suisse des recteurs, Adriano Loprieno, rappelait également, il y a quelques mois, que le profil des étudiants en Humanités leur permet une grande flexibilité et est une source d’innovations importantes.

Pourtant, malgré ces conclusions auxquelles parviennent de multiples et différentes analyses, la part de l’enveloppe budgétaire du Fonds National Suisse de la recherche réservée aux Sciences humaines et sociales reste bien faible, une délicatesse concédée difficilement. Quel regrettable manque de clairvoyance !