Guerre de l’ombre en Suisse

Le Service de renseignement helvétique (SRC) identifie, selon son directeur, Markus Seiler, différentes menaces pesant sur le pays, à commencer par le terrorisme. Les drames qui se sont déroulés en Europe au cours des quinze derniers mois ne contrediront pas ce constat. Ce d’autant plus que des menaces ont été proférées à l’encontre de la Suisse par des sicaires du pseudo-calife de l’EI. « Schatten des Terrorismus im Tessin » titre la NZZ dans un article secondaire de cette semaine, à croire que rien ne change entre hier et aujourd’hui, entre l’époque des colonels Redl et Nicolaï, durant la guerre de 14, lorsque le Tessin était parcouru d’agents des empires centraux pressés de faire sauter quelque dépôt de munition en Italie du Nord, et notre présent mondialisé.

Le rapport annuel du SRC, outre parler de 400 djihadistes potentiels se trouvant sur le sol helvétique (500 selon la NZZ dans son édition du 4 mai), évoque les espions, et plus particulièrement les espions chinois qui seraient intéressés par les résultats de sociétés suisses à la pointe de la technologie.

Terroristes et espions, deux visages de la guerre de l’ombre, intimement liés selon les contextes. Le Nachrichtendienst allemand de la Première Guerre mondiale comportait ainsi un service terroriste en charge des opérations de sabotage ! Gageons qu’il n’en va pas de même de nos jours et que les agents de renseignement se contentent de renseigner. Quoi qu’il en soit, terroristes et espions représentent un danger se mouvant derrière des paravents, pourvus de moyens, de hiérarchies et de cibles, entraînant des pertes, en vies humaines, en informations, en argent ou en pouvoir.

Les moyens semblent manquer au SRC, selon les autorités, pour assurer sa mission, malgré l’engagement en 2016 d’analystes en conflits armés, en terrorisme et en extrémismes (http://www.infoclio.ch/fr/search/node/SRC). Une carence qui elle aussi n’est pas nouvelle.

Quel doit être l’effort consenti pour adapter le SRC aux besoins, sachant que ces derniers ne peuvent guère être estimés en raison de la nature des activités devant être contrecarrées ? On peut évidemment imaginer que la technologie joue un rôle primordial dans cette guerre de l’ombre et que des moyens informatiques seraient éminemment utiles. Mais tout ne passe pas forcément par Internet et les réseaux sociaux, quand bien même ces biais semblent être des portes d’entrée évidentes des arcanes de l’espionnage et du terrorisme.

Sans parler des libertés individuelles potentiellement remises en question par un renforcement de la surveillance étatique, ne faut-il pas craindre, quelques soient les mesures prises, qu’il ne s’agisse pour les services de Markus Seiler de Mission impossible ? Comment surveiller constamment 400 à 500 suspects, tout en sachant que d’autres menaces non identifiées peuvent surgir ? Ne faudrait-il pas surtout renforcer la police fédérale ? Cette dernière – ou plutôt les polices cantonales – furent prioritairement sollicitées entre 1914 et 1918 pour lutter contre les réseaux d’espionnage qui se développaient en Suisse, parvenant en quatre ans à déjouer près de 120 affaires de renseignement. Il est vrai qu’en ce temps-là, la police était fréquemment informée de l’existence d’un réseau d’espions par des agents rivaux cherchant à supprimer leurs ennemis. Mais enfin, la police qui servait de contre-espionnage dans une Suisse dépourvue de services de renseignement allait réussir tout de même à déjouer des opérations d’envergure. Des résultats d’autant plus efficaces que le Conseil fédéral avait modifié en 1916 des pans de l’architecture administrative de la Confédération, permettant au Parquet fédéral, à l’armée et à la police de travailler en étroite collaboration.

Si les moyens manquent au SRC, il semblerait qu’il en aille de même pour certaines polices, notamment la police genevoise de plus en plus sollicitée par la sécurisation des conférences internationales qui se multiplient. (http://www.tdg.ch/geneve/actu-genevoise/accaparee-syrie-police-lche-enquetes/story/23454319)

Espérons qu’en lieu et place d’adopter des lois liberticides, nos autorités fédérales parviennent à déterminer l’efficacité des mesures envisagées, facilitent les liens entre les différents services et soutiennent les polices cantonales dans leurs efforts.

 

Voir :

–         Christian Rossé, Guerre secrète en Suisse 1939-1945, Nouveau Monde éditions, Paris, 2015.

–         Christophe Vuilleumier, La Suisse face à l'espionnage, 1914 – 1918, Slatkine éd., Genève, 2015.

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est un historien suisse, actif dans le domaine éditorial, et membre de plusieurs comités de sociétés savantes, notamment de la Société suisse d'histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIème siècle et du XXème siècle, dont certaines sont devenues des références.