Jugé coupable ?

Un Schutzstaffel signifie en français « un échelon de protection », connu sous l’appellation courante de SS. Oskar Gröning en 1944, était l’un de ces échelons menant à l’enfer d’Auschwitz, un bourreau qui va comparaître devant une cour allemande en avril prochain pour complicité d'assassinat de 300’000 personnes.

Ce Waffen-SS, puisque l’Allemagne considère que Waffen-SS un jour, Waffen-SS toujours, comptabilisait l’argent confisqué aux déportés franchissant les portes de la Géhenne. Ces gardes de camp, qu’ils aient été SS-Totenkopf, un corps, dissous en février 1941, spécialement en charge des camps de concentration, ou Waffen-SS, formaient selon le Obergruppenführer Theodor Eicke, l’un des créateurs des camps de concentration, une élite, une SS dans la SS, ce que l’Ebola est à la peste bubonique !

Ce procès n’est donc que justice, et peu importe s’il tombe à pic à l’égard de l’opinion internationale qui suit des yeux les égarements de la mouvance Pegida depuis plusieurs semaines.

Pour rappel, depuis les célèbres procès de Nuremberg, 106'000 nazis ont été jugés et 13'000 d’entre eux reconnus coupables. Sur ce nombre, plus de 7'000 ont été condamnés ! [1]

Pour rappel également, en avril 1945, des unités de la IIIe armée américaine libéraient le camp de Dora-Nordhausen, une dépendance du camp de Buchenwald, qui fournissait les esclaves nécessaires à l’usine souterraine de production de Dora-Mittelbau se trouvant sous la montagne de Kohnstein. Environ 60’000 personnes se succédèrent dans ces souterrains, extrayant la roche pour certains, coulant des métaux en fusion pour d’autres, une humanité réduite à l’état de bêtes, aux corps brisés. 20'000 hommes y moururent, d’épuisement, de mauvais traitements, de maladie, de famine, d’une balle dans la nuque, ou pendus à des madriers[2]. Des détails insignifiants pour les scientifiques en blouse blanche procédant aux réglages des V-2 produits en masse dans le complexe secret. De septembre 1944 à février 1945 près de 5’300 fusées de ce type furent produites là, des fusées qui devaient tuer plus de 2'700 Anglais, et en blesser plus de 6’000 autres.

Avec l’arrivée des GI à Nordhausen ainsi que dans d’autres complexes scientifiques, l’opération Overcast, rebaptisée par la suite Opération Paperclip, allait être appliquée par les États-Unis qui allaient exfiltrer quelques 1'500 scientifiques allemands dans le but de récupérer les « armes secrètes d’Adolf Hitler ». Loin d’être condamnés, voire inquiétés, ces scientifiques allaient se voir confier par le Département de la Défense américain la direction de programmes de recherches, dans les bases de White Sands, ou de Fort Bliss. Seule une dizaine de ces hommes allaient passer devant des juges, lors du procès dit « des savants » à Nuremberg, et être condamnés à des peines largement atténuées malgré leur implication dans des crimes contre l’humanité[3]. Si certaines personnes, dont tout de même Albert Einstein, s’opposèrent à ce traitement de faveur, le commun des mortels ignora tout de l’opération Paperclip jusque dans les années 70. Bien évidemment, ces scientifiques allaient placer les États-Unis en tête dans la concurrence technologique que le pays livrait à l’Union Soviétique, grâce notamment au célèbre Wernehr von Braun, les Russes n’ayant pu mettre la main que sur l’assistant de ce dernier, Helmut Gröttrup. Les travaux de balistique, notamment, réalisés pour l’armée allemande allaient au final servir aux programmes scientifiques de l’US Air Force et de la Nasa…. Sans doute devrions-nous nous estimer heureux que les travaux du docteur Mengele n’aient pas eu l’ampleur scientifique de ceux de von Braun !

Celui-ci, après avoir arpenté les corridors de Dora-Mittelbau et contribué à bombarder les populations civiles d’Angleterre, avait pu non seulement mener une nouvelle vie en Amérique, mais allait encore se voir décerner la National Medal of Science en 1975 avant de mourir deux ans plus tard !

On va donc juger le comptable d’Auschwitz, mais pourrait-on juger le scientifique de Dora s’il était encore en vie ?


[1] Le Monde, 02.02.2015.

[2] André Sellier, Histoire du camp de Dora, Paris, La Découverte,‎ 1998.

[3] Siegfried Racher par exemple qui avait mené des expériences sur des malheureux, internés à Dachau, en testant leur temps de résistance dans de l’eau glaciale.

 

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est un historien suisse, actif dans le domaine éditorial, et membre de plusieurs comités de sociétés savantes, notamment de la Société suisse d'histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIème siècle et du XXème siècle, dont certaines sont devenues des références.