Les femmes soldats de la Première Guerre mondiale

Les femmes, lors de conflits, s’investissent généralement dans le domaine des soins. L’image de l’infirmière de la Croix-Rouge est ainsi récurrente. Ces dernières décennies voient toutefois ces dames devenir de plus en plus souvent de farouches combattantes. Ainsi, ces femmes kurdes qui crapahutent avec un AK47 dans le dos sur les chaînes des monts Taurus, ces miliciennes africaines, ou encore ces djihadistes de l’obscurantisme aussi fanatiques que les hommes sont quelques exemples contemporains, auxquels il faudrait ajouter celui des femmes incorporées dans des unités militaires occidentales que Demi Moore est venue illustrer dans le film « À armes égales ».

Si cette tendance s’est accentuée, le sexe, dit faible, a pourtant été engagé dans des combats durant tout le XXème siècle. Au cours des deux guerres mondiales, les femmes ont non seulement servi comme infirmières ou comme soldats de transmission et espionnes – on se souvient ainsi de Mata Hari fusillée pour espionnage en 1917 par la France, et de Joséphine Baker qui recueillait des informations durant la Deuxième Guerre mondiale sur les troupes allemandes grâce à son métier – mais également comme combattantes. La France a gardé en mémoire un certain nombre d’héroïnes de ses maquis de résistance.

Les Russes sont sans doute les femmes qui se sont le plus démarquées dans ce domaine. Plusieurs milliers d’entre elles servirent de sniper dans l’Armée soviétique, payant un lourd tribut, notamment lors de la bataille de Stalingrad. Elles venaient alors pallier au manque d’hommes, tombés au front. Certaines d’entre elles devinrent des héros de la Nation comme Marina Mikhaïlovna Raskova (1912-1943) qui fonda trois régiments d’aviation féminins, volant à bord de Yakovlev Yak-1, de Sukhoi Su-2 et des vieux Polikarpov Po-2 destinés à l’origine aux travaux agricoles. Harcelant les troupes allemandes au sol ou défiant les redoutables Messerschmitt de la Luftwaffe, ces femmes pilotes étaient les héritières, plus spirituelles que politiques, de Maria Leontievna Botchkareva, la Jeanne d'Arc russe de la Première Guerre mondiale.

Celle-ci constitue à elle seule une véritable révolution des mœurs. Dans la Russie de Nicolas II, où la tradition cédait difficilement sa place au modernisme, elle allait recevoir la permission du Tsar de créer une unité combattante composée uniquement de femmes et nommée le « bataillon féminin de la mort ». Engagées sur le terrain en juillet 1917 dans les environs de Minsk, ces femmes-soldats allèrent essuyer des pertes importantes. Si Maria Botchkareva devait survivre à cet engagement sanglant, sa fidélité au Tsar allait la faire arrêter peu après la Révolution d’Octobre. Parvenant à s’échapper, elle allait gagner Vladivostok d’où elle rallia les États-Unis. Reçue par Woodrow Wilson  à Washington, puis par Churchill à Londres, elle allait obtenir la permission d’accompagner les troupes britanniques à Arkhangelsk , sur les rives de la Mer Blanche. Sa vie aventureuse allait se terminer au cours du repli des Armées blanches. Capturée par la Tcheka, la police politique du nouveau régime bolchevique, elle fut exécutée en 1920 d’une balle dans la nuque à Krasnoïarsk.

Une autre femme, à la même époque mais en d’autres lieux, allait suivre un parcours relativement similaire, l’Anglaise Flora Sandes, infirmière volontaire sur le front serbe. Moins évoqués que les tranchées de Verdun, les combats en Serbie n’en n’étaient pas moins meurtriers. La situation était d’ailleurs à ce point dramatique pour les populations civiles que nombreux furent les Européens « de l’Ouest » à se rendre sur place. Archibald Reiss, le célèbre criminologue lausannois devait ainsi enquêter, armé de son appareil photographique, sur les exactions commises sur les civiles. La très aristocratique anglaise Eglantyn Jebb, visita également ces champs de bataille, décidant, après avoir constaté l’ampleur des désolations, de créer l’association Save the Children Fund (1).

Flora Sandes resta, quant à elle, dans la boue des charniers. Prise dans la tourmente des combats et des mouvements de troupes, cette femme d’action dotée d’un moral d’acier, prit la décision après le repli de son « ambulance », de s’enrôler dans l’armée serbe. Ses faits d’armes, et sans doute sa connaissance des langues, allaient lui permettre d’obtenir rapidement le grade de sergent-major. Devenue capitaine après la guerre, elle devait s’éteindre en 1956 plus calmement que Maria Botchkareva.

Combien d’autres femmes, restées anonymes, ont livré bataille au cours de ces guerres que l’homme domine de sa présence virile ?

 

 

(1)  Celui-ci, avec le concours du Comité international de secours aux enfants de Berne, allait fonder l’Union internationale de secours aux enfants (UISE), sous le patronage du Comité internationale de la Croix-Rouge.

 

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est un historien suisse, actif dans le domaine éditorial, et membre de plusieurs comités de sociétés savantes, notamment de la Société suisse d'histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIème siècle et du XXème siècle, dont certaines sont devenues des références.