Le management 3D (Directif, Débile, Défaillant)

Le management est présenté de plus en plus souvent comme le maniement de techniques. Techniques qui abrutissent plus souvent qu’elles ne libèrent.

Avez-vous remarqué qu’il y a souvent un nombre magique pour présenter une méthode, une technique ou une approche managériale ? Visez un peu : les 3 étapes du changement de Lewin, le management avec les 5 accords toltèques, la 5ème discipline de Senge, les 5 phases du Design Thinking, les 7 habitudes de ceux qui réalisent tout ce qu’ils entreprennent de Covey, le programme de changement en 8 étapes de Kotter* etc. Au-delà du caractère marketing de la chose, cette façon de concevoir le management est révélateur de ce qu’est devenu ce noble art : la transformation des managers en algorithme, l’avènement d’un management 3D : directif, débile et défaillant.

Exécutons… le plan

Loin d’être un art ou un artisanat, le management consiste désormais largement en l’application de techniques dérivées d’une “science”. Revues, ouvrages, formations, séminaires sont autant de supports pour transmettre aux managers des outils qu’ils n’ont qu’à appliquer dans leurs organisations pour favoriser l’innovation, le changement, la créativité, le bonheur au travail ou le transit intestinal. Les “talents” vantés urbi et orbi par les RH, qui en ont fait l’alpha et l’oméga du recrutement, ne sont que le cache-sexe d’une stratégie qui vise à sélection des “soft-skills” ; skills d’autant plus softs qu’elles doivent principalement servir aux managers à faire passer la dernière technique managériale à la mode comme un truc cool, efficace, efficience, créatif et innovant. Bref, le manager est transformé en app : une interface cool et design (soft skills) à l’extérieur, un algorithme directif à l’intérieur (méthode).

It’s the method… stupid !

Sur le papier, ces techniques seraient dérivées de l’observation scientifique du fonctionnement des organisations. Elles sont donc censées correspondre à une certaine réalité de la vie des organisations. C’est malheureusement de moins en moins souvent le cas. Pour au moins deux raisons. Premièrement, pour se démarquer sur la marché des modes managériales, chaque auteur doit se distinguer et proposer “sa” méthode. Et ce qui marche furieusement de nos jours ce sont les approches spiritualo-égotico-neuneuroscientifico-new-age. Le principe en est simple : le manager doit se transformer lui-même avant que de transformer son organisation. Scharmer, Laloux, Covey, Sinek et cie alimentent le flux de ces fadaises qui visent à faire internaliser au manager (et aux employés plus généralement) des règles de comportements prédéfinies. Le deuxième raison tient à ce que certaines méthodes visent délibérément à s’extraire de tout lien avec la réalité de l’organisation. Conçues in abstracto ou s’appuyant sur les “neuneurosciences“, elles consistent en l’application d’un plan, d’un schéma que l’on applique quelle qu’en soit la réalité de l’organisation. Les “méthodes agiles” et le design thinking en sont de bons exemples. Résultat doublement débile : on prend le manager pour un idiot et on met en oeuvre des outils qui manquent de vigueur intellectuelle, de puissance et d’efficacité, car détachés de la réalité quotidienne des organisations.

Un management hydroponique

Ces techniques font naître des espoirs qui ne peuvent dès lors qu’être déçus, car hors-sols, sans consistance conceptuelle ou empirique, transformant le management en l’application d’un algorithme. Rien de surprenant à ce que les résultats soient rarement au rendez-vous. Si l’on considère que le management est l’art de s’accommoder du réel, de l’imprévu, voire du tragique, ces techniques ne fournissent que des outils défaillants au manager.

Au final, le manager en sait-il plus sur son organisation en recourant au management 3D ? Est-il mieux en mesure de naviguer au sein de son organisation et d’agir ?

Clairement pas.

On ne lui en demande pas tant.

Comme tout app, il fonctionne sur le principe d’une éolienne à faible rendement : beaucoup de vent, faible puissance développée.

 

*Il y a un intrus dans la liste. Encore que…